En ces temps marqués par le COVID-19, l’argent liquide perd du terrain

Points de vue

En ces temps marqués par le COVID-19, l’argent liquide perd du terrain

Le règne des espèces touche à sa fin

En l'espace de quelques semaines, le COVID-19 a profondément modifié nos comportements. Nous sommes passés au télétravail, aux achats en ligne et aux expérimentations culinaires à domicile, plus ou moins réussies. Lorsque nous nous aventurons à l'extérieur, nous gardons nos distances, désinfectons nos mains et limitons les contacts humains, y compris au moment de payer nos achats. Si les Suisses sortent beaucoup moins leur monnaie et privilégient les paiements sans contact, il faudra bien plus qu'une pandémie pour passer à une société sans espèces.

En avril, nous avons interrogé 1’500 personnes vivant en Suisse sur les méthodes de paiement qu'elles utilisaient pour leurs achats au supermarché, compte tenu de la situation liée au COVID-19. Le mois d'avril a également été celui où les principaux prestataires de services de paiements comme Mastercard, Visa, Postfinance et American Express ont augmenté temporairement le plafond des transactions sans contact à 80 CHF sans avoir à saisir son code PIN, et donc sans toucher le terminal de paiement. Et si les espèces restaient acceptées dans les magasins en Suisse, le directeur exécutif de la Swiss Retail Federation conseillait à ses membres de demander à leurs clients d'utiliser des modes de paiement alternatifs numériques ou sans contact.

C'est fou la différence que peuvent faire quelques années, n'est-ce pas ?

Ce n'est pas la première fois que Deloitte évalue les comportements des Suisses en matière de paiement. En 2017, l'enquête de Deloitte intitulée « Goodbye wallet ? Hello, smartphone » concluait que s'il était peu probable que les smartphones remplacent les paiements en espèces dans les années à venir, les paiements mobiles allaient certainement gagner en popularité. Revenons en 2020 et observons les habitudes de paiement en cette période de COVID-19 : de plus en plus de personnes recourent aux moyens numériques et sans contact.

Parmi les personnes interrogées, plus d'un tiers déclare avoir augmenté le nombre de paiements numériques ou sans contact avec des cartes de débit dans les supermarchés. Plus de 50% des répondants ont soit réduit leurs paiements en liquide, soit cessé totalement d'y recourir. En ce qui concerne les paiements par smartphone, seuls 41% des répondants déclaraient n'avoir jamais utilisé cette méthode. Cela constitue un changement notoire par rapport à notre enquête de 2017 où 83%  des personnes interrogées déclaraient n'avoir jamais payé avec un smartphone. Du point de vue de l'hygiène, selon SRF, les paiements par carte, et surtout par smartphone, sont les plus sûrs.

Graphique 1 : J'ai une carte, j'achète. La crise du coronavirus a-t-elle modifié de quelque manière que ce soit la façon dont vous payez vos courses ?

Du point de vue générationnel, on observe des différences auxquelles on pouvait s'attendre. Les plus de 50 ans sont les moins susceptibles d'utiliser les paiements sans contact via smartphone (par ex. Twint, Apple Pay, Samsung Pay, application PayPal) ou d’utiliser les caisses en libre-service dans les supermarchés, avec respectivement 56% et 44% des répondants qui n'utilisent jamais ces options. Les moins de 30 ans ont augmenté leur utilisation des paiements sans contact par carte de débit (38%), des paiements par carte de débit (33%), des paiements par carte de crédit (31%) et des paiements sans contact via smartphone (27%).

Que cela soit parce que les générations plus âgées sont réticentes aux nouvelles technologies, ou parce qu'elles ne voient pas la nécessité d'adopter de nouvelles méthodes de paiement - seulement 1% de cette tranche d'âge a payé avec un smartphone pour la première fois - des études plus approfondies sont nécessaires pour en déterminer précisément la raison. Parmi les plus jeunes, 7% déclarent avoir essayé les paiements mobiles pour la première fois. Il faudra plus que des motifs d'hygiène pour convaincre nos seniors aguerris de scanner leurs portefeuilles électroniques, et c'est pour cela que les détaillants sont bénéficiaires seulement s’ils offrent des méthodes de paiement variées, traditionnelles et innovantes, qui satisfont l'ensemble des préférences de paiement des différentes générations.

Nécessité est mère d'invention

Si aucune nouvelle méthode de paiement n'a encore émergé de la pandémie du COVID-19, on a pu voir à cette occasion les consommateurs abandonner les espèces en faveur des paiements sans contact et numériques. L'histoire en est témoin : en 2003, selon le Forum économique mondial, les paiements numériques et l'e-commerce ont démarré en Chine en réponse à l'épidémie de SRAS, afin d'éviter les contacts humains inutiles, et ont poursuivi leur croissance par la suite.

Les inconnues étant encore nombreuses concernant le COVID-19, notamment sa durée de vie sur différentes surfaces, un certain nombre de banques centrales, comme celles de Chine, des États-Unis et de Corée du Sud, nettoient les billets de banque avec diverses méthodes telles que les rayons ultraviolets ou les hautes températures, et vont même jusqu'à mettre les billets en quarantaine pendant deux semaines avant de les remettre en circulation.

De plus, le règne de l’argent liquide touche peut-être à sa fin sur la scène mondiale en général. Comme le rapportait Forbes, les banques centrales de Chine et de France travaillent respectivement sur un yuan et un euro numérique, tandis que les États-Unis évoquent le dollar numérique depuis un certain temps, et que la Suède mène un projet pilote de couronne électronique jusqu'à la fin 2020. L’impulsion est là, les paiements sont de plus en plus numérisés, non seulement au niveau micro, mais aussi au niveau macro.

Une chose est sûre, les avantages qu'offrent les paiements numériques et mobiles survivront à cette crise et nous verrons une augmentation des utilisateurs des moyens de paiement numériques. Étant donné les difficultés auxquelles les détaillants font face, donner plus d'options aux clients pour finaliser un achat serait dans le meilleur intérêt des entreprises.

Mettre de l'ordre dans vos affaires d'e-commerce

Une expérience « fluide » n'est pas un mot à la mode, mais c’est ce que les clients attendent de plus en plus, en particulier dans le domaine de la vente au détail. Le COVID-19 a poussé un certain nombre de marques et de détaillants traditionnels à améliorer leurs offres d'e-commerce et la convivialité de leurs technologies et sites Web afin de répondre à l'augmentation des achats en ligne. Faciliter la vie des clients va au-delà du panier virtuel. Les détaillants seront plus à même de gagner des clients en leur proposant une grande variété de méthodes de paiement, le remplissage automatique des informations de paiement et de livraison, et des achats en un clic avec reconnaissance d'empreinte digitale ou faciale. Cultiver la satisfaction des clients au moyen d'une expérience d'achat rapide et fluide se révèlera payant en fin de compte, et permettra de gagner une clientèle loyale et des achats réguliers.

Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour arriver à une société totalement sans liquide. Il est encore trop tôt pour savoir si notre tendance à recourir aux cartes de crédit et aux portefeuilles électroniques est un changement fondamental ou s’il découle de la nécessité de limiter le contact humain, avec de l'argent potentiellement contaminé. Selon un article de la BBC, si même nos voisins allemands, pour qui les espèces sont si importantes, changent leurs comportements en recourant aux paiements numériques ou sans contact, tout est possible.

Restez vigilants avec vos cartes

Bien que le COVID-19 ait obligé les gens à préférer les cartes aux espèces, elle a également mis en lumière notre dépendance à ces dernières, et c'est pour cela que l'abandon des billets de banque dans un avenir proche est peu probable. L'idée d'une société sans espèces met certaines personnes mal à l'aise, en particulier les Suisses les plus conservateurs.

Lorsqu'il s'agit de protection des données, les espèces sont fiables et impossibles à pirater (à condition qu'elles ne soient pas contrefaites). La métaphore de l'argent gardé sous le matelas pour se protéger contre les pertes financières prend tout son sens lorsque l'on affronte une crise et des incertitudes économiques. Les banques centrales, les gouvernements et les individus malveillants peuvent accéder aux biens numériques bien plus facilement qu'aux biens physiques. S'il est peu probable que nous subissions des expropriations et des taxes de la part d'un gouvernement dans un pays financièrement stable comme la Suisse, des régimes totalitaires à court de liquidités ou endettés auprès de créanciers internationaux pourraient être tentés de recourir à de telles méthodes.

Des craintes existent à juste titre sur le fait que les méthodes de paiement électroniques puissent exposer les utilisateurs et leurs données à la fraude ou aux détournements, en particulier avec les applications de paiement. Les téléphones peuvent être piratés. Les applications ne sont pas sécurisées à 100%. Des groupes malveillants ont profité de la crise du COVID-19 pour intensifier les cyber-attaques, en raison du plus grand nombre de personnes travaillant à la maison et de clients recourant à des sites d'e-commerce inconnus pour acheter des biens et des services. En avril, le nombre de cyber-attaques comme le hameçonnage, les sites Web frauduleux ou les attaques directes a triplé par rapport à la normale selon le NCSC Suisse (National Cyber Security Centre, centre national de cyber-sécurité).

Toutefois, les portefeuilles numériques gagnent ici des points puisqu'il est bien plus difficile d'effectuer des transactions frauduleuses lorsque l'authentification biométrique (par empreinte digitale ou reconnaissance faciale) est requise pour finaliser les achats.

Bien que l'utilisation des cartes sans contact et des portefeuilles électroniques poursuive sa croissance, à l'avenir, nous continuerons de voir un mélange d'options de paiement, quelles que soient les méthodes de paiement actuellement privilégiées. De nombreux Suisses utilisent encore leurs rappens pour régler leurs plus petits achats et plus de 50% paient encore les achats avec des factures. Il est peu probable que les Suisses emboîtent le pas des 4000 suédois qui se sont fait implanter des puces dans le bras pour payer leurs achats de façon très futuriste.

Néanmoins, les banques et fournisseurs de paiement feraient bien de mettre un coup d'accélérateur à leurs innovations numériques et intensifier leurs efforts en matière d'analytique et d'outils de gestion des données. Alors qu'un nombre croissant de clients passe aux paiements numériques et mobiles, la demande en matière de sécurité, de confidentialité et de contrôle des données continue d’augmenter. Ces éléments seront cruciaux alors que ces nouvelles méthodes de paiement visent à interrompre le règne de longue date des espèces.

Auteur

Kristi Egerth - Manager, Clients & Industries
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