Perspectives

Réflexions sur Davos

Encourager l’action à l’égard de certains des enjeux les plus sérieux dans le monde

Cette année, la réunion du Forum économique mondial (FEM) de Davos, en Suisse, a contribué à renforcer un paradoxe intéressant. Depuis 50 ans, le sommet se tient dans les montagnes froides et immuables des Alpes suisses, pendant que la planète continue de se réchauffer et que le monde devient de plus en plus instable. Du conflit armé opposant les États-Unis et l’Iran aux protestations à Hong Kong, en passant par les débats sur la destitution du président américain et les intenses feux de brousse en Australie, le début de la nouvelle décennie est marqué par de vives tensions, rythmées par le réchauffement climatique.

Quand je repense à ma sixième année à Davos au sein de la délégation de Deloitte, j’éprouve des sentiments partagés. La passion avec laquelle les leaders mondiaux travaillent ensemble pour relever certains de nos défis communs les plus importants porte à l’optimisme, mais l’actuel manque de structure quant aux façons d’y parvenir est préoccupant.

Le thème de la réunion de cette année, « Les parties prenantes pour un monde rassembleur et durable », fait écho au concept de « capitalisme des parties prenantes » mis de l’avant par le professeur Klaus Schwab, fondateur du FEM. Le capitalisme des parties prenantes remet en question le modèle traditionnel en demandant aux sociétés de tenir compte d’une vaste gamme de parties prenantes et d’enjeux (employés, collectivités, environnement, etc.) au moment de prendre des décisions stratégiques, et de rejeter le calcul traditionnel axé uniquement sur les bénéfices, dans le seul intérêt des actionnaires. Tout juste avant la réunion annuelle de FEM, ce concept a été renforcé par Larry Fink, chef de la direction de BlackRock, qui a promis dans sa lettre annuelle aux chefs de la direction que sa société n’investirait plus dans des entreprises qui font peser des risques importants sur la durabilité, et qui a invoqué la nécessité d’une profonde restructuration du monde des finances.

Ce n’est pas la première fois que nous abordons la question du capitalisme des parties prenantes, mais cette fois-ci, il s’est dégagé un sentiment d’urgence et d’anxiété plus vif. La conversation portait tantôt sur la volonté d’agir, tantôt sur l’incertitude quant à la manière de procéder et de collaborer efficacement. C’est pourquoi j’estime que nous devons mettre l’accent, maintenant plus que jamais, sur la codification des méthodes utilisées par les organisations pour évaluer et prendre les mesures nécessaires, et pour se rendre des comptes. Il nous faut un code de bonnes pratiques, qui nous procurera une structure et nous permettra de mieux comprendre en quoi consiste la durabilité.

À la suite de mon passage à Davos, cette année, permettez-moi de vous transmettre quelques points importants à retenir et des prévisions pour la décennie qui commence :

1. Les risques de changement climatique augmentent rapidement et la transition devra être opérée de façon « non naturelle ».

Le thème des changements climatiques a dominé la plupart des séances, groupes de discussion et événements de la semaine. Beaucoup étaient entièrement consacrés à cet enjeu. Et pour cause : ce qui était autrefois perçu comme un risque extrême est rapidement devenu une réalité. Au cours des 20 dernières années, nous avons assisté à la fonte de presque la moitié de la banquise arctique. Nous devrons réduire de moitié nos émissions au cours des 10 prochaines années pour avoir ne serait-ce que la chance d’atteindre les cibles de l’Accord de Paris. La décennie 2020 doit être marquée par l’action et elle sera vraisemblablement parmi les plus cruciales de l’histoire de l’humanité. Dans le rapport sur les risques mondiaux du FEM de cette année, publié tout juste avant la réunion annuelle, les cinq principaux risques de la prochaine décennie (évalués en fonction de leur probabilité) sont tous liés directement aux changements climatiques.

La semaine a commencé par le discours de Greta Thunberg, qui demande qu’on abandonne immédiatement et complètement les énergies fossiles. La demande de la jeune activiste, dont la voix est importante, n’est toutefois pas réalisable. Cela causerait en fait probablement plus de mal que de bien, en déstabilisant les marchés mondiaux des capitaux et de l’énergie. Nous devons opérer une transition vigoureuse, mais équilibrée. La fin de la semaine a été marquée par un débat entre Steven Mnuchin, secrétaire américain au Trésor, et Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, qui cherchaient à déterminer si les risques climatiques à long terme pourraient être modélisés précisément et pris en compte sur les marchés. Mme Lagarde a recommandé que les risques climatiques soient anticipés, analysés et, idéalement, atténués, pour stimuler les investissements, tandis que M. Mnuchin a exprimé des doutes quant à la possibilité d’évaluer adéquatement ces risques à long terme.

Pendant la semaine, lors d’une séance à laquelle prenaient part la majorité des chefs de la direction des sociétés du secteur financier, la moitié de la discussion a porté sur ce sujet. Ils ont adopté une méthode rigoureuse de codification de leur approche visant les changements climatiques et ont établi les premières mesures à prendre pour produire une incidence positive. Ils se sont engagés à « financer la transition » vers une économie carboneutre, tout en reconnaissant que cette transition serait « non naturelle ». Ils ont admis que cela nécessiterait d’importants changements des modèles d’affaires, tant chez les producteurs d’énergie que chez les consommateurs. Les leaders se sont engagés à 1) concevoir des normes de production de rapports vérifiables et uniformes relativement aux risques climatiques, 2) à contribuer activement au dialogue avec les organismes de réglementation et le secteur public au sens large, 3) à élaborer des évaluations plus précises des coûts globaux des investissements dans des secteurs générant des émissions de carbone et 4) à prendre des mesures pour rendre les grandes institutions financières carboneutres.

La lutte contre les changements climatiques aura plusieurs implications concrètes pour les institutions financières, notamment de nouvelles exigences en matière de transparence et de production de rapports et de nouveaux coûts en capital (comme le cadre CCAR aux États-Unis). J’estime qu’au moment de conseiller nos clients pour les aider dans leurs choix stratégiques les plus cruciaux, nous devons formuler nos recommandations en tenant compte de la manière dont les changements climatiques vont perturber leurs modèles d’affaires.

2. Nous avons besoin d’un nouveau calcul structuré de la durabilité.

Pour que la décennie 2020 soit marquée par l’action, nous devons implorer nos dirigeants de se tenir debout, de mettre en œuvre des solutions pratiques, et d’abandonner les discours réactionnaires et émotifs pour suivre plutôt la logique. Nous avons besoin d’un nouveau calcul et d’une nouvelle structure pour envisager ces sujets cruciaux en nous concentrant sur les données et l’action. Sans les données appropriées, évaluées avec précision et utilisées efficacement, il est difficile de déterminer comment nous produisons des résultats.

Toutefois, la nouvelle structure et le nouveau calcul n’apparaîtront pas par magie. Nous devons d’abord établir une approche rigoureuse et itérative de la planification de scénarios. Il est impératif de bien comprendre nos choix dans le contexte de divers états futurs possibles du monde et de concevoir des stratégies résilientes pour chacun de ces états. Ces stratégies doivent reposer sur les faits relatifs aux changements environnementaux, sociaux et économiques, mais elles doivent être suffisamment flexibles pour tenir compte de différents événements extrêmes. Après avoir exploré l’espace d’état des futurs risques et nos réponses prévues, nous devrons trouver une façon de mesurer les résultats, car ces mesures sont le moteur de la gestion des risques et de l’action. Je suis d’avis que nous avons tous avantage à mettre en place des normes de production de rapports uniformes, vérifiables et obligatoires, axées sur la nécessité d’atteindre l’objectif « zéro émission ». Les directives du groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (Task Force on Climate-related Financial Disclosures ou TCFD) sont un pas dans la bonne direction, mais nous avons besoin d’une langue commune pour parler des enjeux à l’échelle des différents secteurs d’activité et pays. Ainsi, nous disposerons d’une base pour comparer les résultats, analyser le potentiel et faire des « compromis » en matière d’investissement. Plusieurs grands pays ont des plans de communication qui se concrétiseront cette année, avant le sommet de la COP 26 – il est plus important que jamais que l’industrie collabore avec les organismes de réglementation pour nous assurer de jouer un rôle de premier plan dans la conversation.

La communication d’information doit cependant donner lieu à des mesures concrètes pour atteindre l’objectif « zéro émission ». C’est ici que le nouveau calcul de la durabilité entre en jeu. Aujourd’hui, le financement de la transition vers l’objectif zéro est laborieux, en grande partie parce que le carbone est mal évalué. Ses externalités négatives à long terme (notamment pour l’environnement) ne sont pas prises en compte. Il en résulte que les investissements plus durables présentent des rendements relatifs artificiellement faibles, ce qui fausse la donne, et détourne les flux de capitaux des investissements et des pays qui appuient la réduction des émissions de carbone, en plus d’influencer la façon dont nous planifions les investissements en capital de la prochaine décennie et au-delà. Un cadre commun d’évaluation de ces externalités (sous forme de taxe sur le carbone, par exemple) a fait l’objet de discussions pendant la semaine. L’analyse des coûts globaux de nos investissements est une réalité à laquelle nous devrions nous préparer activement. Ce type de nouveau cadre d’évaluation est susceptible d’être réglementé, c’est pourquoi nous devrions nous préparer à jouer un rôle de premier plan dans la conversation avec les décideurs – leur actuelle réticence à passer à l’action ne durera pas éternellement. C’est l’occasion pour l’industrie de s’affirmer comme un acteur de changement et d’orienter la transition.

Le changement s’annonce ardu, mais une évaluation plus précise du carbone, fondée sur une bonne compréhension des scénarios futurs et sur des renseignements communiqués de façon uniforme, nous permettra de convaincre nos actionnaires de l’importance de la durabilité. Nous pourrons ainsi faire des choix stratégiques concernant la pertinence de réinvestir dans nos projets actuels (actifs surévalués) et bénéficier d’un guide pour nos nouveaux investissements. Nous disposerons en outre d’une raison objective de militer en faveur d’une rémunération en contrepartie des bons comportements, comme des certifications de carboneutralité, des crédits d’impôt et des déductions.

3. Nous envisageons les données à la fois comme un actif et un (éventuel) passif.

Si l’environnement a dominé la conversation cette semaine, le sujet des données a également suscité bon nombre de débats. L’an dernier, la conversation à Davos était axée surtout sur les avantages à long terme de l’exploitation des données. Cette année, j’ai eu l’impression que les participants souhaitaient mettre l’accent davantage sur le passif du « bilan des données », notamment les risques liés à la cueillette et à l’analyse à grande échelle. Il s’agit d’une conversation importante. Les droits et les responsabilités en matière de données ont fait l’objet de discussions approfondies les années précédentes, mais les organisations ont maintenant entrepris la codification de contrats plus officiels visant la cueillette, l’entreposage et l’utilisation des données. Tout comme la responsabilité à l’égard de la durabilité environnementale, l’engagement vis-à-vis de la durabilité des données devrait être au cœur du code de bonnes pratiques de toutes les entreprises.

L’élaboration de principes de gestion de données cohérents, non seulement au sein des services financiers, mais dans toutes les industries, contribuerait à uniformiser les règles du jeu et à créer des structures de concurrence qui se renforcent mutuellement. Dans la conversation avec des dirigeants sur ce sujet, on a notamment cherché à déterminer si la législation devait être établie mondialement ou localement. Selon certains, il serait pratiquement impossible de parvenir à une coopération mondiale, et des législations régionales largement alignées les unes sur les autres seraient suffisantes. Pour d’autres, l’uniformité internationale est l’unique voie à suivre. Peu importe le point de vue, cet appel à l’élaboration d’une réglementation accrue, en collaboration avec le secteur public, a été bien accueilli. Les dirigeants ont reconnu en outre que les banques (notamment) se trouvent dans une position privilégiée pour agir comme « gardiens des données », compte tenu du niveau élevé de confiance que leur accordent leurs clients. Ce privilège s’accompagne cependant de lourdes responsabilités. Les personnes avec qui j’ai parlé ont évoqué la base d’un cadre de surveillance responsable, axé sur la priorité au consentement éclairé des clients et sur l’utilisation de leurs données uniquement selon leurs attentes, peu importe ce qui figure dans les modalités des ententes.

4. La confiance dans les technologies émergentes sera essentielle pour gérer les risques croissants liés aux données.

Les effets multiplicateurs des technologies émergentes (comme l’intelligence artificielle, ou IA, l’infonuagique, l’Internet des objets et l’informatique quantique) contribueront à définir la structure du secteur des services financiers au cours de la prochaine décennie. Aujourd’hui, cette structure est largement déterminée par les clients, qui exigent les expériences technologiques que leur procurent d’autres secteurs (parfois moins fortement réglementés). Comme j’en ai déjà parlé, le bilan des données comporte toutefois un passif important qui, d’après moi, continuera de favoriser considérablement l’adoption des technologies émergentes. Si l’on part du principe que la durabilité des données doit être au cœur du code de bonnes pratiques, les technologies offrent un moyen d’assurer le respect de ce code dans le cadre de la consommation et du déploiement des données. Pendant la semaine, j’ai observé deux exemples clés de mise en pratique courante de ce type d’innovation orienté vers le passif :

a) L’an dernier, nous avons publié conjointement avec le FEM un rapport sur le potentiel de plusieurs techniques d’amélioration de la confidentialité (TAC) pour modifier l’échange et la consommation des données au sein des services financiers. Les TAC sont un ensemble de techniques qui permettent d’échanger et d’analyser des données sans révéler les données sous-jacentes confidentielles. Cette année, j’ai remarqué que les dirigeants commençaient à faire des liens entre les TAC et bon nombre de leurs défis liés à la confidentialité des données. Par exemple, certaines personnes ont expliqué comment les TAC pourraient contribuer au soutien et au lancement d’une société de services propre au secteur axée sur l’analyse de la connaissance du client et de la lutte contre le blanchiment d’argent – un sujet qui a fait l’objet de beaucoup de discussions. Des experts réputés des techniques de chiffrement ont également proposé d’utiliser le chiffrement homomorphe pour l’échange de données en toute sécurité lors des opérations de fusion et d’acquisition ou de la détection des fraudes à l’échelle mondiale. On commence tout juste à repérer et à tester les cas d’utilisation et le potentiel de ces techniques.

b) L’utilsation de données moins structurées pour renforcer ce qu’on appelle l’« IA de défense », ou le recours à l’IA pour améliorer les outils de prévention des risques (comme la fraude liée aux paiements et la surveillance des opérations), devient courante. De plus en plus, ces données proviennent de nouvelles sources, comme des appareils connectés (téléphones mobiles ou capteurs de l’Internet des objets) et du grand livre de la chaîne de blocs. Toutefois, nous n’en sommes encore qu’aux premières étapes de l’utilisation des outils d’IA pour la défense, en grande partie à cause de l’ambiguïté de la législation actuelle et de la volonté des grandes institutions de pouvoir d’abord expliquer les algorithmes (leur raisonnement étant « qu’on ne peut pas les déployer sans les comprendre »). Il se dégage un engagement général en faveur de la collaboration avec les organismes de réglementation pour mettre en place un ensemble minimal de normes visant l’explicabilité et la tolérance aux erreurs, de sorte que ces outils puissent être déployés sans crainte de représailles réglementaires.

5. Nous nous dirigeons vers un nouveau contrat d’entreprise.

En 1973, le FEM a publié un document qui allait devenir le « Manifeste de Davos », un cadre pour le capitalisme des parties prenantes axé sur la responsabilité des dirigeants d’entreprises à l’égard des clients, des investisseurs, des employés et de la société au sens large. Ce document expliquait la nécessité d’adopter une approche à long terme pour prendre chaque décision susceptible de toucher ces parties prenantes. Près de 50 ans plus tard, il n’est pas certain que nous ayons pleinement intégré ces principes. Sur les marchés des capitaux, on continue de favoriser la rentabilité à court terme d’organisations cotées en bourse, au détriment de la durabilité et de l’innovation. Ailleurs, nous n’avons observé que récemment le changement de ton à l’égard de la responsabilité sociale des entreprises, considérée autrefois surtout comme un « centre de coûts » déconnecté des affaires, mais qui oriente maintenant la définition de mission et le développement de produits et services.

Il est désormais impossible d’y échapper. BlackRock, par exemple, s’est récemment engagé à concevoir de nouveaux produits d’investissement qui permettent de filtrer les combustibles fossiles. Manifestant son engagement à l’égard de la diversité des genres et de la diversité raciale, David Solomon, chef de la direction de Goldman Sachs, a quant à lui plaidé en faveur de la fin de la domination de l’homme blanc dans les conseils d’administration; il a annoncé que la banque ne souscrirait plus aux PAPE d’entreprises dont le conseil ne compte pas au moins un représentant de la diversité. Cette politique entrera en vigueur le 1er juillet, et l’on espère passer à au moins deux représentants de la diversité d’ici l’année prochaine. Bloomberg Law estime que cette politique aurait coûté à Goldman Sachs environ 101 M$ en commissions de prise ferme en 2019, soit près du tiers du total perçu par Goldman aux États-Unis pendant l’année. Tout code doit être régi par des principes, et BlackRock et Goldman Sachs ont pris un engagement ferme, ayant une incidence sur leurs affaires, à l’égard de principes fondamentaux comme la protection du climat et l’inclusion.

Toutefois, concevoir un nouveau contrat d’entreprise ne veut pas dire abandonner complètement l’ancien. Cela ne signifie pas non plus obligatoirement que la rentabilité ne doive plus être la principale responsabilité des dirigeants de l’entreprise. Tout au long de la semaine, j’ai plutôt entendu parler de nuancer le concept de rentabilité. Un cadre d’évaluation des investissements tenant compte des externalités négatives (comme l’incidence environnementale des émissions de carbone), comme je l’ai mentionné précédemment, ne modifiera pas le calcul de base de la rentabilité; il établit simplement les coûts réels de facteurs qui étaient autrefois sous-évalués. Le cadre de communication environnementale, sociale et sur la gouvernance (ESG) (en anglais seulement) élaboré cette année par le conseil des affaires internationales du FEM (présidé par Brian Moynihan, chef de la direction de Bank of America) s’applique parallèlement au rapport annuel de l’entreprise – il ne le remplace pas. Il sert d’outil destiné au marché pour évaluer plus précisément les risques et les avantages de l’entreprise à long terme, abordant le problème de la vision à court terme. Et l’appel à intégrer les principes de durabilité directement dans la réglementation industrielle, dont j’ai entendu parler cette semaine dans le contexte des assurances, montre clairement les conséquences pour la rentabilité globale du fait d’être une mauvaise entreprise citoyenne. Le message que j’ai entendu n’était pas d’oublier la rentabilité, mais de la replacer dans un contexte approprié pour encourager les actions durables.

6. Trois modèles de capitalisme émergent.

Certains des chefs d’État qui étaient absents de la réunion de l’année dernière (dont le président américain Donald Trump et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen) sont revenus à Davos cette année. En réfléchissant à leurs présentations, dont beaucoup accordaient autant d’attention à la politique intérieure qu’aux questions de commerce et de coopération internationale, j’ai constaté l’émergence de trois approches opposées du capitalisme. Dans le cas des États-Unis, l’exceptionnalisme américain était au cœur du discours du président Trump (en anglais seulement). Jamais il n’a évoqué l’intention d’établir une collaboration mondiale, et il a appelé les forces du marché à régler le problème des changements climatiques. C’est le capitalisme protectionniste, qui place la poursuite des intérêts nationaux avant la collaboration mondiale et privilégie la négociation énergique d’accords commerciaux bilatéraux au détriment de la coopération internationale. Dans un renversement des rôles traditionnels, le vice-premier ministre de la Chine, Han Zheng, a quant à lui réitéré l’engagement de son pays envers un capitalisme mondialiste. Il a plaidé pour un mondialisme « plus ouvert, plus inclusif, plus équilibré et plus avantageux », et souligné la volonté de son pays de travailler avec des institutions multilatérales. Les intentions de la Chine sont claires : elle a les données, le capital et la main-d’œuvre nécessaire pour être à la tête de la quatrième révolution industrielle, et elle recherche de nouvelles avenues de croissance. Si le discours de M. Zheng faisait largement contraste avec celui du président américain, tous deux avaient en commun le peu d’importance accordée au climat. Enfin, le dernier modèle de capitalisme, que j’appelle le capitalisme environnemental, a été présenté par la chancelière allemande Angela Merkel (qui intervient souvent en faveur d’une politique européenne plus large). Elle a exposé l’engagement de son pays à atteindre un objectif de 65 % d’énergie renouvelable en 2030 et la nécessité de transformer notre manière de consommer l’énergie. Elle a également souligné l’adhésion de l’UE à l’idée d’une collaboration mondiale et sa volonté de soutenir les institutions multilatérales. Mais le modèle européen de collaboration est assorti d’importantes mises en garde; ailleurs, au cours de la semaine, l’UE a réaffirmé son intention de sanctionner ses partenaires commerciaux (et leurs entités affiliées) qui ne répondent pas à ses normes ESG strictes. De la collaboration, donc, mais à ses conditions.

Les trois modèles distincts mis de l’avant par ces chefs d’État entrent souvent en contradiction avec les arguments avancés à Davos par les dirigeants d’entreprises, dont beaucoup ont insisté sur la nécessité d’une approche unifiée et non étatique de la réglementation en matière de changements climatiques, de confidentialité des données et d’inclusion. Cela devient plus complexe dans un monde à trois vitesses, et pourrait servir à renforcer les disparités et à remodeler les allégeances nationales. Dans ces conditions, l’élaboration d’un code de bonnes pratiques universel devient assez difficile. Dans le monde des services financiers, cette réalité se manifeste dans le débat sur les monnaies numériques. À l’heure où les grandes sociétés technologiques privées commencent à lancer leurs propres cryptomonnaies stables, les gouvernements (surtout la Chine et la Suède) (en anglais seulement) s’efforcent activement de développer les monnaies numériques des banques centrales. En principe, elles ont pour but de rendre les paiements numériques aussi aisés que le sont maintenant les communications. Mais si nous n’arrivons pas à nous entendre sur des approches mondiales en matière d’identité et de risques (connaissance du client/lutte contre le blanchiment d’argent, fraude), nous pourrions finir par courir deux fois plus vite pour nous retrouver au même endroit.

7. Les grandes institutions financières de la prochaine décennie seront organisées et équipées différemment.

Alors que nous faisons évoluer la main-d’œuvre pour intégrer les nouvelles technologies, améliorer l’expérience des clients et rationaliser les activités de soutien, nous remplaçons ou augmentons souvent explicitement le travail des employés existants. Les institutions financières devront s’engager sérieusement à soutenir les employés durant cette transition et veiller tout particulièrement à ce qu’ils continuent à se sentir utiles et importants. La valorisation des employés est un élément clé d’un code de bonnes pratiques, au même titre que la durabilité environnementale, la durabilité des données et la diversité. Yuval Noah Harari, auteur de Sapiens et d’Homo Deus, a déclaré cette année : « Il est bien pire de ne servir à rien que d’être exploité. » Dans un monde où beaucoup se définissent par leur travail, les institutions financières s’assureront que ces membres de leur effectif continuent de se sentir valorisés au sein de l’organisation, afin d’éviter de créer une catégorie d’employés sans but ni orientation.

Il est tout aussi important que les employés comprennent les technologies avec lesquelles ils interagissent au travail. Lors de notre séance sur l’intelligence artificielle dans le secteur des services financiers et l’institution financière de l’avenir (AI in Financial Services: The Financial Institution of the Future), nous avons abordé le décalage qui survient lorsque les employés ne sont pas en mesure d’expliquer le produit d’un algorithme ou d’apprendre de ses ratés. Non seulement cela risque de contrarier le client s’il n’est pas d’accord avec le résultat et que l’employé n’est pas en mesure de l’expliquer, mais cela limite également les possibilités d’amélioration continue si nous ne sommes pas en mesure de repérer les défauts des algorithmes. Comme l’a fait remarquer un participant, « on ne peut pas simplement employer la méthode “tirer et oublier” en matière d’algorithme ». L’éducation est la première variable de cette équation. Si les enseignants doivent tâcher de s’adapter afin d’inculquer des compétences technologiques plus spécialisées, il revient aussi à l’institution d’instiller une culture d’apprentissage continu pour suivre le rythme de la technologie et de l’innovation. Ce qui a déjà été un parcours linéaire (apprentissage | exécution | retraite) est maintenant de plus en plus circulaire, et vient confirmer la nécessité de se réinventer et d’apprendre constamment.  

Conclusion

La semaine qui vient de se terminer m’amène à croire fermement que les organisations commencent à faire de réels progrès pour codifier des politiques officielles relatives à bon nombre de ces enjeux mondiaux et qu’elles font de leur mieux pour les harmoniser de manière cohérente.

Même si les changements climatiques, l’utilisation des données de consommateurs, la diversité et la valorisation des employés ne sont pas des idées nouvelles, je crois que nous avons amorcé un virage; plutôt que de seulement parler de leur importance, nous commençons à discuter de ce que nous pouvons faire pour mesurer nos progrès et nous rendre mutuellement responsables de faire ce qui est juste. Bien que nous en soyons encore aux premiers stades, la structure d’un code de bonnes pratiques pour les entreprises commence à prendre forme.

Si vous avez besoin d’information sur ce sujet en français, veuillez communiquer avec Rob Galaski, qui se fera un plaisir de vous aider. 

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