Deloitte CFO Survey été et automne

Points de vue

Deloitte CFO Survey été et automne

Des temps incertains

Comment les CFO peuvent-ils assurer une planification et des prévisions exactes dans un environnement à ce point volatil?

17 novembre 2016

Indicateurs internationaux

Les Deloitte CFO Surveys d’été et d’automne ne prêtent pas à sourire. Dans l’étude de cet été, les risques géopolitiques sont apparus comme la principale préoccupation des CFO suisses, et les évolutions au troisième trimestre ont intensifié les préoccupations jusqu’à l’automne. En effet, 63% des CFO continuent de trouver l’environnement économique et financier toujours incertain. Si cette incertitude persistante est si marquée, c’est peut-être parce qu’elle est présente dans toutes les principales régions économiques du monde et sur les principaux marchés d’exportation de la Suisse.

Aux Etats-Unis, il faudra un peu de temps pour que se dessine une direction claire de la part de la nouvelle administration; par ailleurs, le risque perdure qu’un comportement de mise en retrait nuise aux échanges, à un moment où les données les plus récentes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) indiquent que la croissance du commerce mondial est à la traîne de la croissance du PIB mondial pour la première fois depuis la fin de la crise financière.

Le ralentissement de la croissance en Chine et dans d’autres économies émergentes, débouchés essentiels pour les exportateurs suisses, représente un autre motif de préoccupation. Si certaines données semblent indiquer un atterrissage plutôt en douceur en Chine, le spectre du ratio de la dette par rapport au PIB reste à un niveau record. Le risque d’un atterrissage brutal est d’ailleurs toujours présent et continuera de peser sur la confiance. Les effets secondaires pourraient étendre le ralentissement au reste du monde, notamment aux économies dont la croissance dépend des exportations de matières premières. Les économies endettées sont vulnérables à une faiblesse de la croissance, et le Fonds monétaire international (FMI) a récemment averti sur les niveaux ahurissants de la dette mondiale, qui atteint 150 000 milliards de dollars.

En Europe, la question du modèle commercial qui émergera du Brexit est loin d’avoir trouvé une réponse. Si l’économie britannique d’après le référendum semble mieux se porter que dans les prévisions les plus pessimistes, le processus de Brexit lui-même reste opaque, avec peu de signaux clairs sur l’approche qui sera adoptée de chaque côté de la table des négociations. Les délégués de l’Union européenne (UE) pourraient se montrer stricts sur les quatre libertés garanties par le marché unique afin d’essayer de limiter la contagion et de dissuader d’autres Etats membres d’imiter les Britanniques, certains leaders d’opinion militant en faveur d’un référendum sur l’appartenance de leur pays à l’UE.

Pour les sociétés suisses, les risques découlant du Brexit sont de deux types. En tant qu’économie essentiellement exportatrice, la Suisse est vulnérable aux développements géopolitiques qui nuisent au libre échange ou à la demande sur ses principaux marchés d’exportation. Par ailleurs, les négociations de la Suisse sur la libre circulation et l’accès aux marchés pourraient plus spécifiquement pâtir du durcissement de l’ambiance à Bruxelles. Les dirigeants européens admettent que l’UE fait face à une crise existentielle, sans toutefois qu’on sache grand-chose sur les réformes ou les compromis qu’ils pourraient envisager pour parer à cette crise.

Ces risques mondiaux perçus par les CFO pourraient être à l’origine d’une autre de leurs préoccupations, les turbulences sur les marchés financiers. Presque les deux tiers des CFO jugent élevée l’incertitude de l’environnement économique et financier. Les investisseurs réagissent aux incertitudes économiques en exigeant des primes de risque plus élevées; or, lorsque le coût du capital augmente, les analyses de rentabilité s’écroulent et les investissements sont reportés. L’étude indique que trois CFO sur quatre pensent que la période n’est pas propice à l’intégration de risques à leur bilan et que 45% d’entre eux ne sont pas optimistes quant à une amélioration de la performance financière de leur entreprise au cours des trois prochains mois. Les faibles taux d’intérêt qui prévalent actuellement pourraient attirer les investisseurs à la recherche de rendement vers des classes d’actifs plus risquées et réduire l’efficacité des marchés en tant que plateformes de levée de capitaux.

«L’incertitude de l’environnement économique et financier est toujours considérée comme élevée par 63% des CFO.»

Indicateurs domestiques

Bien que les perspectives restent incertaines pour les marchés exportateurs et la croissance, on relève un consensus fort parmi les CFO sur les indicateurs domestiques suisses. Les CFO s’attendent à une stabilité des taux d’intérêt au moins jusqu’à la fin du plan annuel 2017 et à un léger mouvement du taux de change, même à un horizon de planification de 36 mois. Ce dernier élément pourrait indiquer qu’ils comprennent que la Banque nationale suisse (BNS) est déterminée à éviter une fuite vers la qualité entraînée par l’incertitude géopolitique due à une surévaluation du franc. Les prévisions d’inflation restent également modérées.

Les conditions nationales difficiles, mais relativement stables, dans un contexte international de bouleversements économiques et politiques défient les analyses de rentabilité et les capacités de prévisions les plus sophistiquées. Comment les CFO doivent-ils agir pour assurer une planification et des prévisions exactes dans un environnement de planification si volatil?

Domestic indicators

Opportunités et défis

Deloitte décrit le rôle des CFO comme un rôle à «quatre faces»: catalyst, strategist, steward et operator. La situation géopolitique actuelle pose un défi sévère aux rôles de strategist et de catalyst; cependant, même dans ce contexte d’incertitude, les CFO peuvent trouver des moyens différents d’exercer leurs fonctions et de tirer leur épingle du jeu. Notre expérience du marché montre que les grandes organisations financières relèvent déjà ces défis de façon nouvelle et innovante.

La vague de transformation numérique qui traverse le secteur financier apporte des opportunités d’amélioration radicale de la planification financière et des prévisions. Les avancées enregistrées dans la découverte des données, les bases de données en mémoire, la visualisation et les applications mobiles permettent au secteur financier de réaliser des analyses de scénarios en temps réel, d’alerter et de déclencher des interventions dès que certaines exceptions sont identifiées par rapport à des indicateurs clés. Les CFO ne peuvent pas se permettre d’être déconnectés de l’information en temps réel.

Si les résultats des élections et des référendums peuvent produire des chocs économiques et politiques, l’incertitude n’empêche pas forcément de discerner la voie à suivre. Les technologies donnent désormais aux CFO les moyens de préparer des projections basées sur des facteurs multiples, de modéliser différents scénarios économiques ou de soupeser les conséquences des décisions stratégiques de la direction.

Les marchés réagissent rapidement aux chocs, et les liquidations qui en découlent entraînent une volatilité supplémentaire des cours. Les investisseurs seront moins nerveux si les CFO sont en mesure de revoir les prévisions en flux tendus et de publier rapidement des recommandations actualisées. Les marchés finissent toujours par récompenser la précision des prévisions en exigeant une prime de risque plus faible, ce qui entraîne un coût du capital inférieur et étend la gamme des investissements possibles.

Il est évident que les technologies numériques contemporaines peuvent jouer un rôle important dans la planification et les prévisions; pourtant, les CFO continuent à déclarer qu’ils n’utilisent ces outils que pour collecter et agréger des données, et que leur potentiel de planification à l’aide de variables reste largement inutilisé. D’ailleurs, même si ce potentiel était totalement exploité, il reste que la technologie seule ne constitue qu’une partie de la solution. Pour profiter de la valeur d’un investissement dans le système financier, il faut tenir compte d’autres facteurs essentiels: les données, les informations et le talent. Certes, les outils donnent la liberté de rechercher et d’extraire des informations utiles dans les bases de données les plus volumineuses, mais nécessitent également de se concentrer sans relâche sur l’intégrité des données. La quantité de données qui entrent dans un modèle de planification augmente sans cesse; dans ce domaine, la gouvernance est donc plus que jamais essentielle.

Les prévisions glissantes constituent une autre façon de gérer l’incertitude. Les prévisions glissantes portent sur un horizon de 12, 24 ou 36 mois et sont revues à fréquences régulières. Elles permettent d’éclaircir les zones d’ombre des modèles traditionnels, dont les projections s’arrêtent à la fin de l’exercice courant, reportant le calcul de projections des années suivantes à l’exercice annuel de planification. Or, par nature, les risques géopolitiques ont généralement un impact à long terme. Plus vite on révise des prévisions multipériodes pour y intégrer les conséquences d’un événement ou les données économiques les plus récentes, plus vite l’organisation pourra évaluer si la performance prévue est toujours réalisable et conforme au plan stratégique.

Les risques économiques et politiques de nature mondiale ont parfois des répercussions au niveau national et régional. Dans ce contexte, les projections de performance calculées par le pays ou l’organisation deviennent aussi importantes que la vision commerciale conventionnelle de la situation par le secteur. Il est possible de concevoir des modèles de données de planification dans lesquels une unité de planification représente une intersection entre le secteur d’activité et l’organisation et/ou la région. Ce niveau de granularité supplémentaire permet d’appliquer des facteurs opérationnels et des hypothèses de planification à une «cellule» opérationnelle spécifique avec plus de précision.

Approfondir la planification et les prévisions amènent les CFO régionaux et nationaux à conduire des réflexions constructives et valider des projections pour une cellule et, par agrégation, pour toutes les entreprises régionales ou nationales dont ils sont responsables. Pour être performant, un CFO doit non seulement concevoir de bons modèles de données, mais également développer et renforcer ses aptitudes en tant que partenaire opérationnel (connaissances financières, sens des affaires et gestion des relations), aptitudes indispensables à l’existence d’un processus de discussion efficace.

L’exactitude de la planification et des prévisions facilite les prises de décision de la direction et la stabilité du cours de l’action en donnant des indications claires aux investisseurs; elle rassure les autorités de réglementation et elle protège la rémunération des CFO, dans une période où l’exactitude des prévisions entre de plus en plus dans la détermination de leur rémunération variable.

Ce dernier point pourrait au moins mettre un sourire sur les lèvres des CFO, peut-être même sur leurs quatre «faces».

Nous espérons que vous trouverez ces réflexions stimulantes et utiles; n’hésitez pas à nous faire part de vos observations sur les points soulevés dans l’enquête sur les CFO.

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