Début 2023, l’enthousiasme suscité par l’IA générative a soulevé trois grandes questions pour les entreprises : l’IA générative sera-t-elle intégrée aux logiciels d’entreprise ? Comment les fournisseurs factureront-ils les frais supplémentaires pour les outils d’IA générative intégrés aux logiciels ? Et quelle augmentation du chiffre d’affaires l’IA générative créera-t-elle pour le secteur des logiciels d’entreprises ?
Deloitte a établi trois projections pour 2024. Tout d’abord, nous prévoyons que presque tous les éditeurs de logiciels d’entreprise intégreront l’IA générative dans certains de leurs produits. Deuxièmement, nous pensons qu’il y aura une combinaison de modèles de tarification : une tarification explicite par siège (par utilisateur et par mois), une tarification basée sur la consommation, une approche hybride, une tarification implicite (en conservant le modèle actuel mais en facturant davantage), ou gratuité, du moins pour le moment. Enfin, nous présumons que l’augmentation du chiffre d’affaires des éditeurs de logiciels d’entreprise (en plus des fournisseurs de cloud servant l’IA générative) approchera les 10 milliards de dollars par an d’ici à la fin de l’année 2024.
Même s’il est important, ce montant reste inférieur aux 14 000 milliards de dollars (non, ce n’est pas une faute de frappe !) qu’un gestionnaire de fonds a prédit pour le marché des logiciels d’IA générative d’ici à 2030,1 10 milliards de dollars ne représentent qu’une fraction des 1 600 milliards de dollars des dépenses informatiques mondiales des entreprises prévues pour 2024,2 et est également inférieur à l’augmentation attendue pour les puces et les serveurs qui exécutent l’IA générative, atteignant plus de 50 milliards de dollars en 2024.3 Compte tenu de l’enthousiasme suscité par les outils d’IA générative des logiciels d’entreprise, comment sommes-nous arrivés à ce chiffre et pourquoi n’est-il pas plus élevé ?
Le potentiel de marché pour 2025 et au-delà semble robuste, et l’augmentation du chiffre d’affaires des éditeurs de logiciels d’entreprise s’élèvera probablement à des dizaines de milliards de dollars. Mais 2024 est effectivement une année de transition. Les différents types d’outils de logiciels d’entreprise qui incluront l’IA générative seront lancés de fin 2023 à mi-2024. Certaines entreprises ont prévenu les analystes que l’adoption de l’IA générative sera plus forte et les recettes qui en sont issues seront bien plus élevées au second semestre qu’au premier semestre 2024 : 4 plus de 70 % des entreprises expérimentent l’IA générative, mais moins de 20 % sont prêtes à y consacrer davantage de moyens.5 En mettant tout cela ensemble, nous prévoyons pour 2024 une augmentation du chiffre d’affaires proche des 10 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année en cours.
Nous estimons que pour la plupart des entreprises le chemin vers l’IA générative passera probablement par les trois catégories décrites ci-dessous dans lesquelles les fonctionnalités de l’IA génératives sont intégrées dans les logiciels existants, passant souvent inaperçues auprès des utilisateurs.
Large gamme de suites logicielles de productivité d’entreprise : il y a autour de 1,14 milliard de knowledge workers (collaborateurs dont le travail consiste à développer et utiliser une base de connaissances en back office) dans le monde en 2023,6 ce qui suggère un marché potentiel total de près de 400 milliards de dollars par an, en supposant que chaque spécialiste ait besoin d’au moins un ensemble d’outils de logiciels d’entreprises alimentés par l’IA et qu’ils paient 30$ par utilisateur et par mois.
Outils de logiciels d’entreprise : il existe divers outils logiciels tels que des solutions de bases de données et d’analyse, des solutions de planification des ressources d’entreprise (ERP), des solutions de gestion de la relation client (CRM), des solutions de gestion créative et documentaire, etc. Au moment de la rédaction de cet article, l’analyse de Deloitte des annonces publiques suggère que 100 % des 50 plus grands éditeurs de logiciels d’entreprise prévoient de proposer une version de leur logiciel dotée de fonctionnalités d’IA générative, certaines utilisant des modèles de tarification par utilisateur et par mois, une tarification à l’utilisation ou en prévoyant d’offrir l’utilisation, du moins pour le moment.7
Outils d’ingénierie, de conception et de développement de logiciels : il existe un certain nombre de nouveaux outils dans lesquels l’IA générative n’est pas simplement une amélioration mais constitue le cœur du nouveau produit. Plusieurs sociétés de conception de puces proposent des versions améliorées par l’IA générative (l’une de nos TMT prédictions 2023),8 effectuant une vérification fonctionnelle et testant le silicium.9 Dans le domaine de la conception assistée par ordinateur, de nombreux acteurs proposent des fonctionnalités d’IA générative.10 Et certains outils de développement de logiciels facturent environ 10$ par utilisateurs et par mois.11
A un certain niveau, il est logique que les éditeurs de logiciels souhaitent facturer l’IA générative. En plus des revenus croissants, proposer de l’IA générative coûte cher. Ils dépensent souvent des milliards de dollars, soit pour acheter les puces nécessaires à l’apprentissage de l’IA générative, soit pour acheter des instances ou des services auprès des sociétés de cloud ou de puces. A titre d’exemple, si l’on considère certains des plus grands acteurs du cloud, ces derniers ont du consacrer entre 3 % et 13 % de leurs investissements en 2023 pour l’IA.12 De plus, les coûts d’exploitation ne sont pas négligeables : chaque requête d’IA générative coûterait entre 0,01$ et 0,36$, selon les estimations. A titre d’exemple, un service qui coûte 10$ par utilisateur et par mois, perdrait 20$ par mois, certains utilisateurs coûtant au fournisseur plus de 80$.13 Les prix des puces et les coûts d’exploitation devraient diminuer fortement au fil du temps, mais probablement pas avant que la pénurie actuelle de puces d’IA générative ne s’atténue, ce qui, selon Deloitte, ne se produirait pas avant le second semestre 2024 (cf. article TMT Predictions 2024, Gen AI chip demand fans a semi tailwind… for now).
Pendant ce temps, certains acheteurs de logiciels d’entreprise s’opposent. Pour citer une enquête américaine de juin 2023 réalisée auprès d’acheteurs, bien que le potentiel à long terme des fonctionnalités d’IA générative soit très élevé, certains répondants ont déclaré que les fonctionnalités de l’IA doivent être proposés par chaque fournisseur, mais « bonne chance pour essayer de me faire payer pour cela ».14 D’autres clients ne voient peut-être pas encore l’intérêt de l’IA générative dans leurs flux de travail : ils ne souhaitent peut-être pas payer pour l’utiliser, mais peuvent bénéficier d’essais gratuits avant de passer ensuite à des services payants.
Globalement, les entreprises ne paieront probablement pas pour des outils améliorés par l’IA générative à moins qu’ils ne génèrent un retour sur investissement (ROI) positif. Une étude publiée à l’automne 2023 suggère que le ROI pourrait être très fort, avec les knowledge workers utilisant l’IA générative (accès direct, et non au travers de l’IA intégrée dans les logiciels d’entreprise) pour faire plus, plus rapidement, et avec une meilleure qualité que ceux qui n’utilisent pas les outils IA.15 ISi des améliorations de cette ampleur sont constatées dans le monde réel et dans plusieurs secteurs, il semble probable que l’augmentation du chiffre d’affaires à long terme pourrait être beaucoup plus important que ce que les premiers résultats estimés pour 2024 le laisse supposer.
Cependant, si les ROI sont inférieurs (ou mettent du temps à être démontrés), les fournisseurs risquent de constater une adoption lente ou une réticence des acheteurs sur les prix. Une alternative potentielle entre une tarification élevée « par poste et par mois » et les « ajouts gratuits » de l’IA générative pourrait être un modèle hybride : un prix mensuel par siège relativement bas (inférieur à 10$) mais combiné à des frais de consommation (c’est-à-dire une tarification basée sur l’utilisation), ce qui permettrait aux fournisseurs de récupérer une partie de leurs coûts d’exploitation à la demande.16 En effet, plus vous l’utiliserez, plus vous payerez cher.
La réglementation et les préoccupations concernant la confidentialité, la propriété intellectuelle, l’exactitude/confabulation, etc. pourraient constituer des obstacles. Chacun de ces éléments pourrait suffire à ralentir voire arrêter l’adoption de solutions logicielles d’entreprise améliorées par l’IA générative. Certaines règles proposées par l’UE sont si restrictives que de nombreux outils logiciels d’IA générative actuels pourraient ne pas être autorisés sur ce marché (cf. article TMT Predictions 2024, Walking the tightrope: As generative AI meets EU regulation, pragmatism is likely). Une solution potentielle à certains de ces obstacles pourrait consister pour les entreprises à créer leurs propres modèles, puis à les former et à les exécuter sur des services cloud d’IA générative. A terme, il s’agira probablement d’un marché de plusieurs milliards de dollars pour les capacités de calcul, les logiciels et les services (Cf. article TMT Predictions 2024, Taking control: Generative AI trains on private, enterprise data).
Actuellement, il existe une pénurie de puces accélératrices d’IA générative et une attente d’allocation (Cf. article TMT Predictions 2024 de Duncan Stewart sur les puces d’IA générative), ce qui pourrait compliquer la capacité des entreprises à répondre à la demande de fonctionnalités internes d’IA générative. Pour répondre à la demande anticipée ou actuelle, elles ont besoin de milliers voire de dizaines de milliers de ces puces d’une valeur de 40 000$, et certaines entreprises ne peuvent pas obtenir suffisamment (ou aucune) de ressources au travers du cloud.17 La capacité devrait augmenter au premier semestre 2024, mais au cours de la première partie de cette année, les recettes des logiciels d’IA générative pourraient être limités en capacité.18 Cette pénurie de puces peut permettre aux éditeurs de logiciels d’entreprise de facturer des prix plus élevés pour les fonctionnalités d’IA générative, car les utilisateurs de logiciel ne peuvent probablement pas créer leurs propres solutions d’IA générative en raison de la pénurie de puces.
Mais il pourrait alors devenir probable que les prix des puces accélératrices d’IA générative chuteront au cours des 18 à 24 prochains mois. Cela pourrait se produire brusquement avec l’arrivée d’offres et l’émergence de nouveaux entrants sur le marché. De nombreux acteurs devraient annoncer de nouvelles puces d’IA générative pour les data centers et l’edge processing,19 et bien que l’on ne sache pas quelle part de marché ces puces pourraient obtenir, les puces alternatives sont susceptibles de réduire les pénuries matérielles actuelles et les prix élevés.
Certaines grandes entreprises ayant la capacité de créer leurs propres solutions soit par le matériel qu’elles achètent, soit par le biais de la capacité d’IA générative du cloud, peuvent différer la construction/l’achat d’une capacité d’IA générative jusqu’à ce que les prix baissent. Elles sont apparemment satisfaites de suivre rapidement la tendance plutôt que de payer pour être à la pointe. On s’attend néanmoins à ce que relativement peu d’entreprises achètent le matériel : beaucoup obtiendront l’IA générative auprès des plus grands fournisseurs de cloud. De plus, les entreprises qui envisagent d’utiliser le modèle hybride pourraient constater une réticence des clients à l’égard de la tarification à l’utilisation si les coûts baissent fortement, et pourraient devoir réduire cette tarification.
Une augmentation des recettes de l’IA générative pouvant atteindre les 10 milliards de dollars est un avantage considérable pour les fournisseurs. Il convient cependant de replacer cela dans son contexte : les dépenses mondiales de services cloud sont importantes et continuent de croître, mais cette croissance ralentira probablement. Le cloud public représentait une industrie de 546 milliards de dollars en 2022, en hause de 22 % par rapport à l’année précédente,20 même si la croissance était en baisse de 16 % au deuxième trimestre 2023,21 Et bien que les principaux acteurs du cloud lancent l’IA générative en tant que service, les chiffres rendus publics ne permettent pas de savoir exactement combien d’argent ils gagneront grâce à ces services en 2023 ou en 2024. Les revenus tirés de l’IA générative par les entreprises de cloud seront-ils suffisamment importants et suffisamment rapides pour réaccélérer la croissance globale jusqu'à un niveau de 20 % ?
Une autre question reste de savoir si les entreprises paieront pour plusieurs logiciels d’entreprise avec de l’IA générative intégrée par employé. La plupart des knowledge workers utilisent plusieurs outils logiciels et, à raison de 10 à 30 dollars par mois, les dépenses cumulées liées à l’ « empilement d’IA générative » pourraient dépasser les 100$ par mois. Pourrait-on assister à l’apparition d’une nouvelle catégorie de logiciels qui s’ajouterait à tout le reste et ferait de l’IA générative sur tout… comme un copilote universel ?
Finalement, les fonctionnalités d’IA générative doivent démontrer très rapidement leur efficacité pour un certain nombre de tâches, contribuent à d’énormes dépenses et à la planification stratégique des grandes entreprises. Les fournisseurs sont confrontés à leurs propres coûts lorsqu’ils déterminent les tarifs pour les clients, à la fois pour la capacité de calcul liée à l’IA générative par le biais du cloud, et pour les services d’IA générative. Les utilisateurs finaux, pour leur part, prendront peut-être un certain temps pour déterminer comment ces fonctionnalités se traduisent en valeur directe pour leurs entreprise, mais ils réaliseront probablement bientôt des gains, développeront une meilleure idée de leur valeur, du montant qu’ils sont prêts à payer pour cela. D’après ce que nous avons vu jusqu’à présent, cela pourrait faire augmenter les prix dans tous les domaines.