Deux jeux vidéo populaires ont ouvert les portes à des centaines de millions de joueurs pour devenir des créateurs en 3D. Aujourd'hui, un troisième poids lourd a introduit de nouveaux outils et des incitations pour stimuler la création de contenu en 3D généré par les utilisateurs (UGC 3D) directement sur leur plateforme.1 Cette tendance à la création de contenu en 3D est en expansion, et les principales plateformes UGC 3D investissent davantage dans leurs créateurs. Selon les prévisions, ces plateformes devraient débloquer près de 1,5 milliard de dollars US à destination de leurs développeurs de contenu d'ici 2024. D’après les estimations de Deloitte, le nombre de développeurs indépendants rémunérés sur ces plateformes de jeux UGC 3D dépassera les 10 millions.
Cette prédiction s'appuie sur le succès constant des plateformes UGC 3D pour les joueurs, les créateurs et les marques, renforcé par l'arrivée de nouveaux outils et incitations simplifiant la création et la monétisation de contenu en 3D. Cette tendance est renforcée par la solidité du modèle de jeu UGC, déjà éprouvé dans le secteur de la vidéo et des réseaux sociaux.
L'expansion de l'économie des créateurs de jeux pourrait induire une plus grande innovation dans les expériences de jeu et les biens digitaux, un engagement plus fort pour les plateformes UGC 3D ainsi que des conditions économiques plus favorables pour ces plateformes et les créateurs. Ces plateformes voient probablement une opportunité de démocratiser les jeux et expériences interactives. Mais un flux infini de contenu 3D low-cost ne va-t-il pas perturber l'industrie ?
L'UGC 3D, abréviation pour "User-Generated Content 3D", s'apparente aux plateformes de vidéos et aux réseaux sociaux proposant la création de contenu spécifiquement dédié aux jeux vidéo. Ces plateformes UGC 3D offrent aux utilisateurs la possibilité de créer, partager et rentabiliser divers éléments numériques tels que des couleurs de peaux et des attributs (par exemple, des tenues pour avatars) ainsi que des équipements offrants des fonctionnalités aux joueurs. Ces plateformes ont développé des market places permettant aux créateurs de commercialiser leurs créations numériques.2 De plus, les utilisateurs ont la liberté de concevoir des jeux complets et des expériences immersives en 3D, puis tirer parti des outils d’exploration fournis par la plateforme. Comme sur les réseaux sociaux, ces jeux générés par les utilisateurs et leurs créateurs peuvent devenir très populaires, attirant des millions de joueurs et de fans, tout en générant des relations renforcées avec des marques.3
Bien que cela soit devenu beaucoup plus facile et plus populaire, il y a toujours eu des joueurs (et des créateurs de jeux) qui ont vu l’attrait de la création dans les jeux. Les Modders, comme on les appelle, ont introduit des fanfictions dans les jeux, ont permis la personnalisation avec des biens numériques et des cosmétiques, et ont ajouté des fonctionnalités que les joueurs réclamaient, mais que les sociétés de jeux ne pouvaient pas toujours prioriser.4 Certains mods ont même évolué pour devenir des jeux à succès,5 tandis que d'autres ont directement influencé l'évolution des franchises développées par les studios de jeux.6
À travers une esthétique distincte de "bloc", qui a facilité la création de contenu en offrant une expérience de construction rappelant LEGO, Roblox a vu le jour en 2005. Cette plateforme permet aux utilisateurs de concevoir et de partager leurs propres jeux et biens numériques. En 2009, Minecraft a ajouté une dimension 3D à la construction dans le jeu, introduisant la gestion des ressources et des mécanismes de survie. Tous deux ont travaillé à démocratiser la modélisation 3D et la création de jeux, favorisant l'émergence de créateurs, d'entreprises, de marchés, et d'autres jeux offrants des capacités de création en 3D. En 2023, Epic Games a annoncé de nouvelles capacités de création pour sa célèbre franchise multijoueur, Fortnite, via sa plateforme de développement Unreal Engine, se démarquant par un réalisme accru par rapport à la simplicité offerte par ses concurrents. Pour attirer les créateurs de jeux sur leur plateforme, ils ont également annoncé des opportunités de partage des revenus basés sur l'engagement.7
Développer des jeux scénarisés à succès est devenu très coûteux et complexe, et ces jeux sont en concurrence avec les meilleurs services de jeux en ligne. Une explosion de contenus 3D bon marché ou gratuits générés par les utilisateurs pourrait détourner davantage de personnes des blockbusters et des principales plateformes de jeux vers des jeux de niche plus simples. Les plateformes de jeux UGC 3D pourraient devenir une destination alternative aux principaux studios et éditeurs de jeux (qui ont tendance à dominer à date par l’engagement et les revenus) pour des expériences immersives et interactives.8
Pour les studios de jeux, créer et proposer des jeux de qualité est devenu une démarche de plus en plus difficile et coûteuse. La création d'un jeu à succès, vendu à 65 dollars, nécessite des années de développement et un investissement financier colossal, atteignant souvent les 300 millions de dollars pour la production et la promotion. Les jeux en ligne ont fait évoluer l'économie du jeu, passant d’un modèle Pay-to-Play (achat unique à la copie) à des revenus récurrents dans le jeu provenant de la personnalisation avec des biens numériques, de nouvelles expériences de contenu au sein du service de jeu et de l'accès à des événements spéciaux. Ces jeux prospèrent souvent grâce au caractère viral de leurs services, mais doivent également continuer à offrir de nouvelles expériences pour maintenir l'engagement des joueurs.
Les plateformes de 3D UGC adoptent cette approche en encourageant et stimulant les joueurs à enrichir en permanence leur offre de contenus. Ces plateformes, à leur tour, offrent aux créateurs la possibilité de réduire considérablement les coûts de développement et de promotion tout en leur permettant de transformer leur passion en source de revenus et de construire des communautés de fans engagées. A l’instar des services vidéo et aux réseaux sociaux générés par les utilisateurs, cela favorise un contenu très diversifié destiné aux niches, des plus populaires aux plus petites.
L’un des défis de l’UGC 3D est qu’il est généralement plus difficile à produire que le contenu vidéo. Cette difficulté de création d’outils de modélisation 3D en a toujours fait un domaine restreint, mais certaines sociétés de jeux ont progressivement facilité la tâche des concepteurs.9 Les utilisateurs expérimentés peuvent développer des jeux techniques et complexes tandis que les créateurs moins techniques peuvent développer des jeux captivants. Les marketplaces permettent aux créateurs d'échanger des packs de textures et des nuanciers des objets 3D, à intégrer dans le jeu ainsi que des mécanismes de jeu interactifs tels que l'ouverture d'une porte ou la conduite d'un véhicule.10
Avec l'avènement de l'IA générative, les fournisseurs s'efforcent de simplifier la création de contenu 3D.11 Ces nouveaux outils émergent afin d'automatiser certaines parties du processus de codage et de test, notamment pour les éléments de jeu les plus complexes. Ils facilitent le développement des dialogues et de la localisation dans diverses langues, ainsi que la conception des personnages et des décors. Ces outils permettent également les premières expérimentations d’avatars capables d'engager des conversations plutôt que de simplement réciter des lignes prédéfinies. En explorant de nouvelles frontières, ces technologies visent à permettre des instructions en langage naturel capables de générer des jeux de manière dynamique.12
Rendre l'UGC facile à créer et à partager, et permettre aux créateurs de monétiser leur travail, a généré une marée presque infinie de contenus pour les réseaux sociaux. Cela a accru la pression sur les contenus premium, éloigné le public de la télévision et du cinéma et modifié le paysage publicitaire. Si les platesformes UGC 3D réussissent, elles pourraient entraîner un changement radical similaire pour les jeux.
L'UGC 3D pourrait être à double tranchant pour l'industrie du jeu vidéo. Favoriser une expansion massive de l'UGC 3D pourrait amplifier l'innovation dans les jeux, les biens numériques et la manière de les monétiser, tout en générant un intérêt accru et un engagement envers une diversité d'expériences interactives. Une telle évolution pourrait non seulement stimuler l'émergence d'une économie indépendante pour les créateurs 3D, mais également inciter certains d'entre eux à créer leurs propres studios de blockbusters, apportant ainsi davantage de diversité et de concurrence au secteur. De plus, certains de ces jeux et innovations pourraient être intégrés au sein de studios plus établis, renforçant ainsi leurs propres capacités concurrentielles.
A contrario, l’histoire n’a pas été tendre envers les acteurs en place lorsque leur contrôle sur le contenu a été décentralisé et rendu plus accessible au grand public. Certains des défis auxquels sont confrontés le cinéma et la télévision – coûts élevés de développement de contenu, disruption des canaux de distribution et du modèle économique lucratif des salles, et changements de comportement du public – ont sans doute été exacerbés par la montée en puissance de contenus gratuits infinis, diffusés sur les réseaux sociaux ainsi que par les préférences des jeunes générations.
Les principales plateformes d'UGC 3D existent depuis un certain temps sans perturber, à date, l'industrie du jeu vidéo, mais à mesure que leurs jeux et l’expérience client deviennent plus riches, plus innovants et plus faciles à développer et à monétiser, elles pourraient attirer davantage d'intérêt et d'engagement. Une amplification considérable de l’UGC 3D pourrait créer une plus grande fragmentation de l’offre de jeux, une poignée de plateformes jouant le rôle d’agrégateur. Cela pourrait faire évoluer l’économie du secteur vers des modèles souvent moins coûteux à développer.
Avec près de 250 milliards de dollars de revenus par an, les studios de jeux pourraient être en meilleure position que les producteurs audiovisuels (télévision et cinéma). Les jeunes générations consomment les jeux sous toutes leurs formes, et de plus en plus de jeux se dérivent en films à succès et en émissions télévisées en streaming.13 Cependant, l'industrie du jeu vidéo pourrait être confrontée à une dynamique similaire à celle qui a émergé entre le contenu premium et le contenu plus accessible. Le développement de jeux premium est devenu coûteux, et les majors du jeu video pourraient être confrontées à une concurrence accrue et à des pressions sur les coûts dues à l'UGC 3D, attirant davantage de joueurs vers une abondance apparemment infinie d'expériences interactives abordables, voire gratuites, posant ainsi un défi à l'attractivité des jeux haut de gamme. Parallèlement, les plates-formes UGC 3D pourraient bénéficier d'une abondance de contenu 3D, beaucoup moins couteux, mais elles pourraient rencontrer des difficultés à gérer, modérer et monétiser autant de contenu, ainsi qu'à faire face aux défis de la violation du droit d'auteur, des contenus problématiques, mais également de la réglementation. Au milieu de cette évolution, les entreprises qui ne sont ni des UGC 3D, ni des majors, pourraient être contraintes de choisir un camp pour assurer leur pérennité.
La vision stratégique des plateformes d’UGC 3D induit probablement de démocratiser le développement de jeux pour le grand public. Cela pourrait conduire à une profusion de créativité et d’innovation en matière de gameplay, et donner naissance à de nouvelles formes de contenus et d’expériences immersifs et interactifs. Mais ce faisant, les plateformes UGC 3D pourraient perturber leur propre industrie.