Point de vue

3 questions à Christine Riou-Feron, Présidente de Riou Glass

 






Basé à Honfleur, Riou Glass, l'un des premiers acteurs verriers européens, emploie plus de 1 000 salariés et réalise un chiffre d'affaires d'environ 220 millions d'euros. En 2022, après plus de 40 ans à la tête du groupe, ses fondateurs Christiane et Pierre Riou décident de transmettre la direction à leurs enfants. Entretien avec Christine Riou-Feron, présidente de cette ETI familiale.


Comment se passe le changement de gouvernance après la transmission qui a eu lieu l'année dernière ?

Avant ce passage de flambeau Riou Glass était redevenu 100% indépendant suite au rachat des parts détenues par Bpifrance en 2020. D'une gouvernance très claire avec un fonds à nos côtés, un conseil de surveillance, des réunions bien encadrées et un reporting efficace, nous sommes passés à une gouvernance composée de quatre membres de la famille, tous encore opérationnels, ce qui n'a pas été sans poser quelques défis. Aujourd'hui, après la transmission, mon frère Nicolas et moi sommes les actionnaires majoritaires et nous sommes accompagnés par le fonds For Talents. Nous avons un conseil d'administration dont mon frère est membre et, Christophe, mon directeur général, nous sommes en train de mettre en œuvre notre plan stratégique Riou Glass Verre 2025.

Nous avons également un conseil de famille mensuel qui réunit les deux premières générations et qui joue un rôle important. Puis deux fois par an, nous organisons un séminaire familiale élargi qui comprend les trois générations dont mon père, qui, depuis sa retraite, a recréé un petit groupe familial et nos cinq enfants âgés de 13 à 22 ans qui détiennent des actions de l'entreprise. Bien qu'ils n'assistent pas aux réunions mensuelles, nous les impliquons activement en les formant à être de bons actionnaires et à bien comprendre chaque document qu'ils signent. Cette année, nous avons choisi de les faire travailler sur le projet d'une charte familiale, avec l'idée qu'ils seront plus enclins à adhérer aux règles dans les années à venir si ce sont eux qui les définissent.

 

Votre père, qui a démarré en fabriquant ses propres machines de traitement du verre, a apporté une véritable dynamique de création et d'innovation à l'entreprise.
Comment relevez-vous les défis de la transformation technologique ?

Un an avant la transmission, nous avions mis sur la table notre plan stratégique formalisé et chiffré en 3 axes : Riou Glass Verre 2025. C’était le premier du genre depuis la création de l'entreprise et pendant toute l'année, avec Christophe, mon Directeur Général, nous avons visité tous les sites afin d’organiser des temps d'échange avec les collaborateurs en petits groupes, pour partager et challenger le projet et répondre aux questions.
Le premier axe du plan vise à consolider toutes les acquisitions en mettant en réseau un groupe qui, jusqu'à présent, était plutôt un conglomérat de PME, de manière à fonctionner comme un groupe industriel organisé autour du principe que " tous nos produits doivent être vendus partout, par tout le monde".
Le deuxième axe concerne la croissance organique et l'innovation. Avec l'aide du fonds, nous avons pu conclure des accords avec nos partenaires financiers pour avoir des capex annuels suffisamment importants"et en faire une vraie priorité. L'innovation technologique est dans l'ADN de l'entreprise depuis sa création et c'est ce qui fait la force et la différentiation de nos produits sur le marché. Aujourd'hui les investissements nécessaires pour notre développement industriel sont inscrits dans notre plan de marche annuel et toute l'entreprise est alignée sur les objectifs : c'est l'intérêt de tous, et le socle de notre croissance organique. Nous sommes notamment en cours d'homogénéisation des systèmes d'information lorsque cela a du sens et permet une plus grande efficacité dans l'entreprise : dans certains domaines, comme la comptabilité ou la maintenance, c'est chose faite ; pour la production, du fait des acquisitions, l’uniformisation est plus longue et n'est pas toujours totalement nécessaire. Mais nous avons envie d'insuffler la dynamique technologique à l'ensemble des processus et des outils du groupe : nous sommes aussi ouverts et à l'écoute pour mettre en place des nouvelles méthodes de management. A titre d'illustration, nous souhaitons décentraliser les décisions d'investissements qui jusqu'à récemment, étaient généralement prises en central. Désormais, nous organisons des groupes de travail sur les sites avec les utilisateurs des machines au quotidien afin d'améliorer leur conception, de simplifier le travail des collaborateurs et gagner du temps. Nous avons également lancé une première enquête auprès des salariés et nous donnons la parole aux différents cercles. Dernièrement, nous avons réuni tous les commerciaux pour discuter de sujets très opérationnels comme le décroisement des flux, les zones de chalandise, etc. En établissant un véritable dialogue à tous les niveaux, nous pouvons prendre en compte toutes les bonnes idées, de sorte que la technologie et le digital se reflètent dans toute l'organisation de l'entreprise et pas uniquement au niveau du développement de nos produits.

Le troisième axe porte sur la croissance externe. Les opportunités se présentent régulièrement et notre objectif est de continuer à nous développer, tant sur le territoire qu'à l'international, ainsi que dans notre offre de produits.

 

Avec des produits comme les claviers en verre facile à désinfecter, des crédences de cuisine capables d'afficher des photos XXL ou encore du vitrage chauffant, l'innovation est au cœur de vos activités. Cette innovation s'étend désormais également au volet social, n'est-ce pas ?

Pour moi, l'entreprise doit être un lieu où l’on continue d’apprendre et de grandir, et dans cette perspective, la notion d'innovation sociale représente un enjeu majeur. L'année dernière, nous avons instauré l’intéressement sur tous nos sites et nous avons commencé à proposer des process assessments à une partie du management. Cette année, nous introduisons l'actionnariat salarié et nous lançons une Sales Academy pour nos vendeurs en partenariat avec l'EM Normandie. J'aime emmener les collaborateurs sur des terrains inattendus, les inciter à développer leurs soft skills en invitant par exemple un conférencier sur l'intelligence émotionnelle ou en les formant à l'ennéagramme. Il est important d’associer les équipes à quelque chose de plus grand que leur mission quotidienne, de permettre à chacun de s’enrichir de l'expertise de l'autre et de créer une dynamique collective autour des objectifs que l'on s'est fixés.