Tribune. Une note de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de deux pages, publiée le 29 janvier, propose de défaire l’ordre ancien de la fiscalité des entreprises, pour en transférer le barycentre vers les pays à grands marchés intérieurs, au détriment de ceux à forte innovation mais à demande intérieure plus étroite.
Depuis 1920, la fiscalité internationale reposait sur deux principes : la primauté de l’investissement sur la consommation, et la référence aux pratiques de marché. Malgré les critiques des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui considéraient que ces principes favorisaient l’Europe et les Etats-Unis, ils ont permis une remarquable croissance du commerce international et un recul corrélatif de la pauvreté dans le monde.
Tout est parti du débat, porté par la France, sur la fiscalité du numérique. Sous couvert de répondre aux enjeux de la numérisation, c’est l’ensemble des grands équilibres de fiscalité internationale qui sont bouleversés autour de deux axes de réflexion proposés par l’OCDE.
Même sans présence physique, un certain niveau d’activité sur un territoire donné doit entraîner une imposition locale
Le premier axe vise à répondre aux défis posés par la numérisation de l’économie, en repensant la répartition des droits de taxation entre, d’une part, les pays de consommation et, d’autre part, les pays d’investissement ou de propriété des actifs. Pour ce faire, l’OCDE avance trois propositions qui visent toutes à revoir le lien entre présence locale et imposition : une meilleure prise en compte des actifs incorporels, c’est-à-dire du rôle du distributeur local dans la création de valeur ; une meilleure prise en compte du rôle de l’utilisateur qui, par ses données personnelles, contribue à la création de valeur des sociétés numériques ; et enfin, le développement d’un concept de « présence économique significative » pour affirmer que, même sans présence physique, un certain niveau d’activité sur un territoire donné doit entraîner une imposition locale. Par ce biais, une entreprise pourra désormais être taxée à l’étranger quand bien même elle n’y exerce pas son activité, au grand dam des juristes et des économistes. L’impôt sur les sociétés de demain ressemblera beaucoup à la TVA.
Colonialisme fiscal
Se pose ensuite la question de la mesure et de la répartition du profit. En indiquant que le marché dispose désormais d’actifs incorporels reconnus, on pense naturellement aux méthodes de partage de profit, souvent complexes à mettre en œuvre. Or, au contraire, l’OCDE parle de simplification, et de la capacité pour les administrations fiscales à mettre en œuvre efficacement les nouvelles mesures. Cela amène à se demander si l’OCDE n’a pas en tête l’application de formules forfaitaires de répartition des profits. Elle s’en est longtemps défendue, mais cette évolution pourrait être une suite logique du reporting pays par pays (CBCR), qui oblige déjà les groupes à communiquer aux administrations fiscales un tableau consolidé de leurs activités par pays.
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