Point de vue

Quels enjeux export control pour les entreprises françaises dans une relation commerciale avec la Chine ?  

En tant que deuxième économie mondiale, et malgré un ralentissement tendanciel, la Chine reste un marché d’opportunités pour les entreprises européennes et françaises. La France est le premier investisseur européen en Chine en termes de nombre d’entreprises, tandis que les entreprises chinoises s’implantent en France via des centres de R&D ou au sein de clusters technologiques. Les importations françaises en provenance de Chine ont bondi à la suite de la reprise post-pandémie, et le marché chinois reste important pour les exportations françaises, particulièrement dans les secteurs de l’aéronautique, de l’agroalimentaire, de la chimie et de la pharmacie. Or ces secteurs présentent des risques particuliers vis-à-vis du contrôle des exportations au regard des produits et technologies qu’ils exportent.

L’exemple récent et très médiatisé de la guerre des microprocesseurs entre la Chine et les Etats-Unis, et ses multiples rebondissements, souligne l’importance croissante des enjeux géopolitiques et de guerre technologique au sein desquels peuvent se retrouver les entreprises commerçant avec la Chine. Cet exemple, qui a également conduit le Japon et les Pays-Bas à adapter leur législation, démontre la nécessité de déploiement de dispositifs d’export control renforcés pour les entreprises.

La législation chinoise sur l'export control


Bien qu’encore peu surveillé, le tissu législatif chinois sur l'export control s’est étoffé via des changements significatifs ces dernières années, reflétant la volonté du gouvernement de renforcer la protection des technologies sensibles et de sécuriser ses intérêts nationaux. Il se structure autour de quatre principales lois et réglementations dans ce 
domaine :  

1. Loi sur le contrôle des exportations de biens et technologies militaires (2002)

Cette loi a établi les bases pour le contrôle des exportations de biens et de technologies militaires en Chine. Elle définit les procédures et les conditions pour l'exportation de produits liés à la défense. 

2. Loi sur le contrôle des exportations de biens à double usage (2007)

Cette loi élargit le champ d'application du contrôle des exportations pour inclure les biens et les technologies à double usage, c'est-à-dire ceux qui peuvent avoir des applications civiles et militaires.

3. Loi sur la sécurité nationale (2015)

Bien que non spécifiquement axée sur l'export control, la loi sur la sécurité nationale confère au gouvernement chinois des pouvoirs étendus pour protéger la sécurité nationale, y compris en réglementant les exportations.

4. Régulations sur le contrôle des exportations de technologies sensibles (Export Control Law – ECL, 2020)

Cette régulation renforce les restrictions sur l'exportation de technologies sensibles, notamment celles liées à l'intelligence artificielle, aux semi-conducteurs et aux technologies de l'information. La publication de cette loi est la manifestation de l’intérêt croissant de la Chine pour le sujet de l’Export Control et vient structurer et rassembler de nombreuses mesures et textes législatifs jusqu’alors assez peu structurés.


Ce tissu législatif est renforcé par la publication régulière de listes qui évoluent en fonction du contexte géopolitique, économique et technologique, et dont la mise à jour et la publication doivent être surveillées :   
 

1. Listes de contrôle des exportations et des importations (Administrative Catalogue of Import and Export License for Dual-use Items and Technologies ; Catalogue of Technologies Prohibited and Restricted from Import and Export)

Le Ministère du Commerce chinois (MOFCOM) et l’Administration Générale des douanes chinoise (GAC) revoient annuellement des listes de biens et de technologies soumis à des restrictions d'exportation et d’importation. Ces listes détaillent les articles spécifiques relevant d’un contrôle nécessaire ou d’une demande de licence d’exportation ou d’importation, ainsi que ceux qui sont couverts par la délivrance automatique de licences. Ces listes concernent aujourd’hui beaucoup de biens et technologies liés aux secteurs des technologies de l’information et d’internet, des nouvelles énergies (notamment solaires), des véhicules autonomes, et des biotechnologies.

En complément, des listes de biens soumis à des « contrôles temporaires » peuvent également être publiées.

2. Listes d'entités restreintes (Unreliable Entity List – UEL)

La Chine publie régulièrement des listes d'entités restreintes, comprenant des entreprises et des organisations soumises à des restrictions d'exportation en raison de préoccupations liées à la sécurité nationale ou à d'autres enjeux. Cette approche reflète l'évolution de la législation chinoise sur l'export control vers une approche plus stricte, en ligne avec les préoccupations croissantes en matière de sécurité nationale, de tensions géopolitiques et de protection des technologies avancées.

 

Trois points de la législation chinoise sur l’export control doivent particulièrement retenir l’attention des entreprises commerçant avec ou en Chine :  

  • La mention explicite de mesures « réciproques » : la loi sur l’export control de 2020 (Export Control Law – ECL) mentionne explicitement la possibilité pour la Chine de prendre des mesures « réciproques » envers tout pays ou région « abusant de mesures d’Export Control et mettant en danger la sécurité nationale et les intérêts de la république Populaire de Chine ». Ainsi la surveillance de l’évolution des régimes d’export control américains et européens permettrait d’anticiper l’évolution de la législation chinoise.  
  • L’ECL comporte une dimension extraterritoriale, en imposant des obligations non seulement sur les individus et organisations exportateurs, mais aussi les importateurs et les utilisateurs finaux, qu’ils soient basés dans le territoire chinois ou à l’extérieur. Des utilisateurs finaux étrangers ou intermédiaires peuvent être soumis à des inspections des autorités chinoises. 
  • L’ECL dispose d’une clause « attrape-tout » qui élargit la liste des biens pour lesquels une licence d’exportation est nécessaire à tous les biens dont l’exportateur sait ou devrait savoir qu’ils sont susceptibles de :

- « mettre en danger la sécurité et les intérêts nationaux chinois» ,  

- « servir à l’élaboration, la construction ou l’utilisation d’armes de destruction massive ou de son moyen de livraison »,  

- « être utilisés à des fins terroristes ». 

Cette latitude d’appréciation laissée aux exportateurs peut conduire à de nécessaires et régulières consultations avec le Ministère du Commerce chinois (MOFCOM) afin d’évacuer tout risque.  

Les législations occidentales à considérer dans les relations commerciales avec la Chine


Au-delà de la législation chinoise, d’autres régimes d’export control internationaux doivent également être considérés lors d’échanges commerciaux ou d’informations avec la Chine.  En effet, les réglementations américaine, européenne et même française se sont durcies ces dernières années en ce qui concerne les exportations vers la Chine. 

Règlementations extraterritoriales US  

Ainsi, les Etats-Unis ont fortement renforcé leur arsenal législatif sur le contrôle des exportations à destination de la Chine dans un contexte de guerre économique et technologique. Ces dernières évolutions comprennent notamment :  

  • un accroissement du nombre d’entités liées à la Chine au sein de l’Entity List1 de l’Export Administration Regulations (EAR) ; 
  • une extension de la Foreign Direct Product Rule2 pour couvrir plus d’activités qui ont recourt, à l’étranger, à des biens, technologies, équipements ou matériaux d’origine américaine ; 
  • un renforcement des contrôles sur les destinataires finaux et utilisations finales des produits à destination de la Chine ; 
  • des contrôles renforcés sur toutes les puces semi-conductrices avancées, ainsi que les circuits avancés, les superordinateurs et les produits reliés, que ce soit dans le cadre de leur exportation directe, ou bien de la facilitation ou le support de celle-ci. 

En application du principe du « follow the part » du régime d’export control américain, toute entreprise susceptible d’utiliser des composants d’origine américaine et de les exporter en Chine est donc soumise à cette régulation renforcée. Selon l’OCDE, en 2018, 18% des exportations de l’UE vers la Chine contenaient des composants américains, et la France comptait parmi les pays les plus exposés.  

 

Règlementations européennes   

La réglementation européenne, à travers le règlement européen de contrôle des exportations des biens à double usage, bien qu’ayant identifié des zones à risque (les semiconducteurs, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique et les biotechnologies), est plus lente à se mettre en marche en raison des divergences d’opinion des pays membres. L’évaluation des risques de la Commission Européenne devrait ouvrir la porte à de nouveaux domaines (robotique, énergie, techniques de fabrication). Le parlement européen vient également de voter l’Anti-Coercion Instrument (ACI), offrant ainsi à l’Union Européenne et à ses membres la possibilité de mettre en place des mesures de rétorsion face à des embargos commerciaux : la Chine est particulièrement visée par cette initiative, son embargo envers la Lituanie en étant à l’origine.   

En revanche, les législations nationales ont parfois déjà pu prendre des mesures particulières d’export control vis-à-vis de la Chine. Ces mesures sont parfois fortement poussées par les Etats-Unis, comme au Pays-Bas à propos de la restriction de l’exportation de l’équipement nécessaire à la fabrication des semiconducteurs vers la Chine.  

En France, aucune mesure officielle particulière n’a encore été annoncée. La Chine a fait l’objet de plus de 830 licences individuelles d’exportation en 2022 selon le Rapport au parlement sur les exportations des biens à double usage de la France, ce qui en fait ainsi la première destination.   

Les régimes législatifs relatifs au contrôle des exportations sont ainsi nombreux à considérer lors d’une relation commerciale avec un ou des partenaires chinois. Cependant, certains domaines technologiques doivent faire l’objet d’une attention particulière et d’un questionnement systématique lors d’échanges vers le territoire chinois, car soumis à des contrôles croissants et complexes dans les régimes d’export control occidentaux. Les technologies sensibles à exporter vers la Chine sont souvent liées aux domaines stratégiques, militaires et de haute technologie. A ce jour, cela inclut principalement :  

  • Les semi-conducteurs et technologies liées : les semi-conducteurs sont cruciaux dans divers secteurs, y compris les télécommunications, l'informatique et les équipements militaires. Les technologies avancées servant à la fabrication de semi-conducteurs de pointe sont à surveiller particulièrement (circuits intégrés et leurs composants, rayonnement ultraviolet extrême, DUV lithographie…). 
  • L’intelligence artificielle (IA) et technologies de reconnaissance : les technologies liées à l'IA, telles que les véhicules autonomes, la reconnaissance faciale et la vision par ordinateur, ou qui peuvent susciter des préoccupations en matière de surveillance, de respect de la vie privée et de sécurité nationale. 
  • Les technologies de l'information et de la communication : les équipements de télécommunications, notamment ceux liés à la 5G, ainsi que les technologies de réseau, financières et de cybersécurité Les technologies spatiales :
  • les technologies spatiales, y compris les lanceurs et les satellites, sont reliées à des problématiques de sécurité nationale et de capacités militaires. 
  • Les technologies biotechnologiques : de nombreux domaines de la biotechnologie, tels que la manipulation génétique et la recherche sur les agents pathogènes, mais aussi plus généralement toutes les innovations biotechnologiques. 
  • L’énergie nucléaire et technologies connexes : les technologies liées à l'énergie nucléaire, y compris les réacteurs et les équipements connexes, ainsi que tout ce qui est relié à la prolifération.

Les perspectives et évolutions à surveiller    

Dans les années à venir, plusieurs évolutions liées aux régimes d’export control et influant sur les relations commerciales avec la Chine peuvent se dessiner.  De nouveaux secteurs pourraient être soumis à des contrôles plus stricts, et particulièrement tout ce qui concerne les technologies émergentes, telles que les technologie et l’informatique quantique, la microélectronique, les champs électromagnétiques, la biotechnologie avancée, la biofabrication et les technologies de production d’énergie verte, qui pourraient être soumises à un contrôle plus strict.  
Avec une préoccupation croissante concernant la cybersécurité, les technologies liées à la protection des données et à la sécurité informatique pourraient également faire l’objet d’un cadre réglementaire renforcé, comme le montre la loi chinoise sur la protection et l’export des données personnelles de 2022.  
Quoi qu’il arrive, les régulations évolueront en fonction des collaborations internationales et secteurs en tension. La réglementation chinoise tend aujourd’hui à répondre par des mesures réciproques aux réglementations occidentale. Surveiller ces évolutions réglementaires peut donc donner un aperçu sur les possibles évolutions de la réglementation chinoise. Cependant, bien que cela ne cadre pas avec son narratif actuel, la Chine pourrait devenir de plus en plus pro-active sur le sujet et développer ses propres initiatives, sur le modèle de l’interdiction d’exportation du gallium et du germanium prise en août 2023 – des matières premières utilisées dans la production de semi-conducteurs.    

Les entreprises françaises et européennes souhaitant poursuivre une relation commerciale avec la Chine devraient donc rester attentives aux évolutions législatives et aux mises à jour des listes de contrôle d'exportation, aussi bien chinois qu’américain ou européen, afin de s'adapter aux changements dans l'environnement réglementaire, maintenir leur conformité et réduire leur risque.