Point de vue

NFTs et assurance : entre amélioration du service assurantiel et création d’une nouvelle matière assurable

Article co-écrit par Augustin du Besset, Consultant Financial Services Industry et Alexis Orset, Manager et Consultant Financial Services Industry

Un NFT (ou Token Non Fongible) représente un actif numérique unique. Cela signifie qu’il ne peut être échangé contre un autre jeton. Par exemple, la Joconde ne peut être échangée contre aucune autre Joconde puisqu’elle est unique. A contrario, la première pièce de 1 euro qui a été créée, a la même valeur que la dernière pièce de 1 euro créée. Les deux pièces sont donc échangeables (ou fongible). Un NFT est un certificat numérique, ancré sur la Blockchain et adossé à un objet (numérique ou non) qui permet l’apparition du concept d’unicité digitale.

Le marché des NFTs connaît un essor exponentiel depuis sa première apparition en 2014 avec une capitalisation de marché avoisinant les 12 milliards de dollars au 9 juin 2021 et le volume de ventes qui dépassent les 12 milliards de dollars1.

Au-delà des cas d’usages les plus démocratisés comme les collections de NFTs associées aux gaming (Sorare2 par exemple), aux métavers (SandBox3, Decentraland4, etc.) ou encore aux artistes (Snoop Dogg5, Sofiane Pamart6, etc.), certaines entreprises commencent à associer la technologie des NFTs avec des biens de la vie réelle. C’est le cas dans le luxe où Breitling en partenariat avec la startup français Arianne, utilise les NFTs, sous la forme de jumeaux numériques, comme certificats d’authenticité accessibles lors de l’achat par un QR Code disponible sur la carte de garantie7.

Nouvel actif à forte valeur monétaire mais également véritable certificat de détention, le NFT semble faire partie des usages de demain. Alors que le battage médiatique semble se stabiliser pour laisser place aux projets les plus solides, nous pouvons nous interroger sur le rôle qu’il peut jouer dans l’assurance et sur les relations que l’on peut tisser entre NFTs, assureurs et assurés.

NFT comme nouvel outil d’amélioration des services assurantiels

De nouveaux projets commencent à éclore autour de l’automobile et plus précisément du suivi des informations relatives aux véhicules. Alfa Roméo a annoncé le 9 février dernier que ses prochains SUV Tonale seront associés à un NFT qui contiendra le carnet d’entretien du véhicule8. Les assureurs se penchent aussi sur cette question, c’est le cas de Société Générale Assurance et du Groupe Covéa qui travaillent sur la mise en place d’un passeport du véhicule connecté9.

Au-delà de tracer la maintenance du véhicule et de certifier la véracité des informations lors de la revente d’un véhicule, les NFTs peuvent avoir un vrai rôle à jouer pour les assureurs :

  • Suivi de la maintenance du véhicule et adaptation de la prime d’assurance en fonction,
  • Amélioration de la relation tripartite (assureur, assuré, réseau de garages) avec la mise à jour des informations sur le NFT du véhicule qui les rendent infalsifiables et vérifiables en temps réel par l’ensemble des acteurs,
  • Amélioration du suivi et de la mise à jour des informations lors de l’achat d’un véhicule d’occasion et l’ajout d’un véhicule sur le foyer de l’assuré. L’assureur n’a plus qu’à récupérer le NFT associé au véhicule afin d’avoir l’historique du véhicule intégré dans l’espace assuré.

Certains projets comme DIMO10 proposent de décentraliser les données issues des véhicules et un certain nombre d’applications comme (1) l’association d’un NFT à chaque véhicule comme point d’ancrage des données associées au véhicule, (2) diagnostique du véhicule, (3) programme de rémunération en jetons fondé sur l’analyse des données fournies par le véhicule, (4) autopartage en pair à pair, (5) GPS préservant la vie privée des utilisateurs.

Par ailleurs, un NFT associé à un objet de la vie réel (lors de l’achat de ce dernier) permet d’améliorer la prestation d’assurance sur les garanties incluses dans un contrat d’assurance habitation (ou MRH).

En effet, un contrat d’assurance habitation couvre de nombreux risques comme l’incendie, le dégât des eaux, le vol (ou vandalisme dommages mobiliers et immobiliers) ou encore les catastrophes naturelles. Dans l’hypothèse où l’un de ces événements se produit chez l’assuré, ce dernier doit fournir à son assureur une preuve de détention des objets déclarés comme non-utilisable à la suite du sinistre. La preuve la plus tangible à fournir est un certificat d’achat (ou facture).

Ce dernier existe sous deux formes :

  • Papier, ce qui implique un risque de destruction de la preuve lors du sinistre,
  • Digital, ce qui nécessite un stockage de l’ensemble des factures afin d’éviter les problèmes de sauvegarde et de suppression du justificatif.

De ce fait, le NFT sous forme de certificat ou de jumeau numérique offre une alternative crédible pour faciliter la déclaration de perte d’un bien lors d’un sinistre puisqu’il historise les propriétaires du bien. L’authenticité de la déclaration est ainsi assurée et permet pour l’assureur de réduire la fraude lors de la réalisation de fausses déclarations.

Au-delà de l’assurance dommages, les assureurs ont également une partie de leur activité qui consiste à proposer des produits d’assurance de personnes. C’est notamment le cas des contrats d’assurance santé et de prévoyance auxquels souscrivent des clients pour être couverts face aux risques de décès, d’incapacité, d’invalidité et de dépendance. Generali propose aujourd’hui à ses clients grâce au programme Vitality d’être récompensé en bons d’achat selon leur activité sportive ou encore leur connaissance sur la santé en général11. Dans l’univers des NFTs, des projets comme Stepn12, font la promotion d’un mode de vie plus sain en incitant à la marche et à la course à pied. Les propriétaires des NFTs Stepn sont rémunérés avec le jeton du projet dès qu’ils effectuent une activité sportive. On pourrait imaginer que les assureurs n’aient plus besoin de lancer une application dédiée au bien-être de leurs assurés, mais proposent plutôt un système de récompenses auprès de partenaires sous la présentation d’un NFT certifiant une activité sportive régulière d’un assuré. Ce type d’offres pourrait permettre aux assureurs d’améliorer leur attractivité, mais également de réduire leur taux d’attrition.

Par le développement de ces cas d’usages, les NFTs pourraient permettre d’améliorer la qualité de service fournie par les assureurs. Les NFTs étant principalement populaires pour être des biens digitaux à forte valeur monétaire, on peut s'interroger sur l’impact de leur arrivée sur le marché et sur le devoir, pour les assureurs, de les percevoir comme un nouvel actif à ajouter à leur gamme de produits.

NFT comme nouvelle matière assurable

Les NFTs représentent une nouvelle classe d’actifs, numériques, qu’il est possible d’acheter et de vendre sur des plateformes dédiées – autrement dit, ce sont des biens digitaux uniques. Un NFT peut être un tableau d’un artiste à quelques euros ou une villa dans le métavers à plusieurs millions d’euros en passant par des collections d’artistes associées à des services et bien plus encore.

A l’instar, les banques seront amenées à financer des crédits pour qu’un particulier ou une entreprise puisse acheter un bien virtuel, il est naturel de penser que les assureurs devront proposer leur service pour couvrir les risques associés à ce nouveau type d’actifs. Les risques identifiés à date sont par exemple : la perte de la clé permettant l’accès au NFT, la liquidation d’un portefeuille, le piratage informatique des marketplaces de NFTs, le bug d’un smart contract, etc. Des acteurs comme Unslashed13 ou Munich Re et OneDegree14 s’emparent du sujet pour proposer des produits adaptés à ces nouveaux actifs.

Par ailleurs, l’assureur étant sollicité lors d’un décès afin de gérer la succession, ce nouvel actif fera partie du patrimoine des particuliers et fera l’objet d’une transmission aux héritiers renseignés. De nouveaux acteurs se positionnent sur ce sujet en proposant l’envoi d’actifs numériques comme des NFTs aux héritiers lorsque plusieurs conditions combinées indiquent un décès manifeste. Il est possible d’imaginer que demain, les assureurs auront un rôle à jouer pour les biens digitaux assurés chez eux.

L’arrivée des NFTs comme biens assurables est un nouveau marché générateur de nouvelles opportunités pour les assureurs pour proposer des offres dédiées ou ajouter des nouvelles garanties à des offres existantes. La pérennisation de ce type d’actifs peut permettre aux assureurs d'améliorer leur ratio combiné (ou ratio sinistre sur prime) à travers une augmentation du montant des primes ou grâce à la réduction des coûts de gestion.

L’arrivée des NFTs étant récente, elle soulève pour les assureurs et leurs clients de nombreuses questions.

À propos de l’amélioration du service assurantiel, deux questions principales se posent :

  • Que se passe-t-il en cas de perte d’un NFT causant ainsi l’inaccessibilité aux nombreux avantages évoqués plus haut dans l’article ?
  • Dans l’écosystème blockchain, l’utilisateur final est le seul responsable de l’accès aux objets numériques lui appartenant grâce à la gestion de ses clés privées. Pour autant, afin d’assurer l’accès au contenu des NFTs, une centralisation de la gestion des clés est-elle envisageable ? Si oui, est-ce à l’assureur ou aux fabricants de biens (automobile, etc.) de s’en charger ?


Concernant la nouvelle matière assurable, il est intéressant de s’interroger sur les points suivants :

  • Comment calculer le montant de la prime sur des risques nouveaux qu’il est difficile de quantifier ?
  • L’assurance se fondant sur le principe de mutualisation des risques, est-il plus pertinent d’attendre que les NFTs entrent dans les usages du grand public au risque de ne pas être perçu comme moteur, mais plutôt comme suiveur dans le domaine ?