Point de vue
Les technologies de rupture pour le recyclage des plastiques
Le défi du changement d’échelle
Article co-rédigé avec Sabrine Yousfi et Sarah Chouvenc
La pression s’accentue pour une économie réellement circulaire des plastiques
Aujourd’hui, la chaîne de valeur des plastiques, archétype du modèle linéaire « extraire, produire et jeter », pose de graves problèmes en raison de la dispersion dans l’environnement de certains produits en fin de vie, notamment les emballages à usage unique dans certaines régions. On estime que seuls 10 % du plastique produit est recyclé globalement. Ce faible pourcentage de réintégration des matériaux plastiques dans les flux économiques, alors même qu’ils possèdent une valeur économique résiduelle significative, traduit également une opportunité économique manquée.
Le contexte international politique (décision de la Chine, suivie de plusieurs pays d’Asie, visant à limiter les importations de déchets, dont les flux de plastiques, règlementations récentes en Europe, etc.) et médiatique (omniprésence du « plastic backlash » depuis 2016) pousse les entreprises et les Etats à chercher de meilleures solutions de gestion des plastiques en fin de vie.
Les engagements des pouvoirs publics, de l’UE et de certains leaders au sein de l’industrie des biens de consommation pour augmenter la collecte, le recyclage des plastiques et l’intégration de matière recyclée dans de nouveaux produits (par exemple : Paquet Economie circulaire, Projets H2020, Global Plastics Pact, New Plastics Economy Global Commitment).
La demande croissante pour les plastiques recyclés, notamment pour certains polymères tels que le PET (nouvelle demande de plastiques recyclés estimée de 5 à 7,5 millions de tonnes métriques d'ici 2030).
Note : cet article se focalise sur les technologies de recyclage de rupture. Néanmoins, ces nouveaux procédés aussi prometteurs soient-ils, et plus largement les technologies de recyclage dans leur ensemble, ne peuvent à eux seuls résoudre les enjeux actuels autour des plastiques. D’autres leviers d’actions sont nécessaires, notamment pour assurer la collecte en fin de vie, puis les étapes de tri qui conditionnent les flux à traiter. En amont de la chaîne de valeur sont par ailleurs nécessaires des mesures de prévention et d’éco-conception des produits afin de permettre l’intégration de matières recyclables et d’assurer la recyclabilité des produits (Design for Recycling).
Schéma des flux PET utilisés dans les emballages (de la résine vierge à recyclée) en Europe
Schéma des flux PET utilisés dans les emballages (de la résine vierge à recyclée) en Europe à horizon 2030
Le défi des technologies de recyclage en développement basées sur la dépolymérisation et la dissolution : ces nouveaux procédés n’ont pas encore atteint la maturité technologique et commerciale, contrairement aux procédés de recyclage mécanique.
De nouvelles solutions émergent pour répondre aux défis du recyclage des plastiques
Le recyclage mécanique du plastique comporte plusieurs limites : certains déchets plastiques ne sont pas acceptés par les filières de tri et de recyclage car trop coûteux à trier et/ou impossibles à recycler avec les technologies actuelles (comme par exemple les déchets opaques), le niveau de pureté de la matière recyclée limite les possibilités d’applications en aval, et amène à un « downcycling » de la matière, les performances techniques des matériaux se dégradent au fur et à mesure des cycles, etc.
De nouvelles technologies sont en cours de développement pour répondre aux défis du recyclage des plastiques : 60 développeurs de technologie ont ainsi été identifiés par le Close Loop Fund. On dénombre par exemple des technologies de purification à base de solvants, des procédés de solvolyse, des procédés de pyrolyse, gasification, etc. A noter : il n’y a actuellement pas de consensus sur la définition de « recyclage chimique ».
Contrairement au recyclage mécanique, ces technologies ont généralement la capacité de traiter des flux contaminés de déchets plastiques et de produire de la matière recyclée de très bonne qualité (et a priori compatible par exemple avec un contact alimentaire). En amont du procédé de recyclage, un prétraitement du gisement de déchets (par exemple : tri additionnel) est en général nécessaire. En aval, des étapes de purification et conversion du produit recyclé sont également indispensables afin de produire de nouveaux polymères.
Ces développements technologiques s’accélèrent grâce à l’intérêt et à l’implication croissante des industriels, metteurs sur le marché et des autres acteurs de la chaîne de valeur. Ils s’engagent concrètement dans le développement et la qualification des nouveaux procédés, et investissent dans ces technologies afin d’accélérer leur développement commercial. Cet engagement peut même s’effectuer de manière pré-compétitive au travers de consortiums (par exemple : consortium Carbios).
Les nombreux enjeux et défis d’un changement d’échelle
- Maturité et viabilité économique : un certain nombre de ces nouvelles technologies sont encore à l’étape d’une installation pilote ou de démonstration, et la viabilité commerciale de ces technologies n’a généralement pas encore été démontrée. Contrairement au recyclage mécanique qui est à l’échelle commerciale depuis plus de 20 ans, ces nouvelles technologies nécessiteront généralement encore de 3 à 5 ans de développement et ne seront opérationnelles que vers 2025/2027.
Le développement d’une chaîne de valeur complète représente également un défi non négligeable pour les développeurs de technologies, en général des start-ups disposant de moyens financiers et humains réduits, et dont le savoir-faire réside essentiellement dans les technologies de recyclages. Ces développeurs doivent répondre à différents défis : sécuriser l’approvisionnement en matière première (déchets), maîtriser le coût de la matière recyclée issue de leur procédé (qui doit rester compétitif par rapport à celui de la matière vierge), sa qualité (pour s’ouvrir l’accès au plus large domaine d’applications) et mettre en place une chaîne de valeur pérenne qui permette la mise sur le marché de volumes commerciaux suffisants pour permettre une intégration significative dans l’approvisionnement des industriels consommateurs de résines.
Accès aux financements : les schémas de financement font intervenir des investisseurs privés (Close Loop Fund), des industriels metteurs sur le marché directement, ou encore des partenariats entre acteurs publics et privés (appel à projets Citeo en France). Mais ces financements restent majoritairement insuffisants pour atteindre le stade commercial : la levée moyenne est d’environ 15 millions de dollars, chiffre qui permettrait a priori le développement d’unités de démonstration mais insuffisant pour la mise en place ultérieure d’une unité industrielle. De nombreux facteurs doivent être considérés afin d’anticiper les economics des usines, notamment le gisement considéré (volume et qualité), la géographie, les conditions opératoires du procédé de recyclage, la nature et le nombre d’étapes de prétraitement du gisement et de purification de la matière recyclée, etc.
Accès au gisement : dans un contexte de multiplication des engagements des marques pour augmenter la part de matière recyclée dans leurs produits et leurs emballages, l’accès pérenne à des gisements suffisants et de bonne qualité pour développer des usines économiquement viables (dont la capacité est au moins 20-30kt/an pour certaines technologies) est un enjeu clé. L’évolution de la composition du gisement dans les prochaines années est également un facteur à prendre en compte.
Impact environnemental : ces technologies sont encore en développement, et leur performance environnementale reste à confirmer au stade industriel. Elles sont potentiellement plus consommatrices d’énergie que le recyclage mécanique du fait du processus de solvolyse ou de pyrolyse. Cela peut rester acceptable dans la mesure où ces technologies permettent de valoriser des ressources que le recyclage mécanique ne peut traiter, remettent dans le système de production un matériau de meilleure qualité, et permettent un bénéfice par rapport au matériau vierge. Néanmoins, l’impact environnemental de ces technologies doit être davantage évalué (notamment via des analyses de cycle de vie).
Enjeu sanitaire des matières recyclées : les questions de risque de contamination sont toujours à considérer dans la mesure où les matières collectées en vue du recyclage peuvent intégrer de nombreux additifs. Même si certaines technologies permettent théoriquement de s’affranchir de ces risques en raison du retour aux monomères (ou à des composés encore plus simples) et des étapes de purification, il est possible que certaines substances se retrouvent néanmoins dans les matières recyclées. Par exemple, certaines substances bromées se retrouvent dans des produits de pyrolyse d’après certaines études évoquées dans le rapport de l’ECHA.
Risques réglementaires : la Commission Européenne a publié un rapport en janvier 2019 dans lequel la pyrolyse et la gaséification sont considérées comme des technologies de valorisation énergétique et ne contribuent pas nécessairement à une économie circulaire selon les filières aval. Différents projets émergent cependant de l’industrie chimique (BASF, Sabic, etc.) visant à réinjecter les huiles de pyrolyse dans des crackers dans l’objectif de produire de nouveaux polymères.
Des technologies qui vont combler les lacunes du recyclage mécanique sans s’y substituer
Les nouveaux procédés de recyclage peuvent avoir un rôle décisif dans la mise en place d’une meilleure gestion de la fin de vie du plastique. Celles-ci ne devront cependant être utilisées qu’en complément de mesures de prévention et de réduction à la source du plastique, et ne dispenseront en aucun cas de la nécessité de faire progresser la performance de collecte des déchets plastiques et de mettre en place les procédés de tri pertinents.
Il n’existe pas de solution unique pour le recyclage de tous les plastiques en raison de la variété des polymères communément utilisés et des différences régionales dans les schémas de collecte qui amènent à des flux de compositions différentes
Les nouveaux procédés de recyclage impliquant des technologies de solvolyse, pyrolyse, gaséification, etc. permettent de répondre aux limites du recyclage mécanique mais n’ont pas vocation à s’y substituer en totalité. Elles peuvent être considérées comme complémentaires au recyclage mécanique, en permettant le recyclage de plastiques que les technologies actuelles ne peuvent traiter.
La plupart de ces nouveaux procédés de recyclage des plastiques sont encore au stade de développement. De fait, des progrès technologiques complémentaires, l’obtention des financements nécessaires à la mise en place des démonstrateurs, la mise en place des partenariats industriels permettant la mise en place d’une chaîne de valeur complète au stade industriel sont encore nécessaires avant l’arrivée à l’échelle commerciale de ces technologies.
Nous accompagnons les industriels, les fédérations, les organismes publics et tous les acteurs de la chaîne de valeur afin d’identifier et de mettre en place les solutions permettant d’augmenter la collecte et le recyclage des déchets plastiques, dont l’accélération de la mise sur le marché de ces nouvelles technologies.
Nous encourageons l’implication de tous les acteurs de la chaîne de valeur mais également les pouvoirs publics, citoyens et entreprises de tous secteurs afin de gérer plus durablement la fin de vie des plastiques.
Définition des technologies de recyclage chimique :
Point d’attention : il n’y a actuellement pas de consensus sur la définition de « recyclage chimique ». Les définitions proposées sont à titre indicatif.
Technologies de solvolyse : implique une dépolymérisation du polymère c’est-à-dire un retour aux constituants initiaux (les monomères), par exemple : Loop Industries.
Technologies impliquant une purification à base de solvants, permet de décontaminer le polymère, par exemple : PureCycle Technologies. Ce type de technologie peut être considéré comme intermédiaire entre le recyclage mécanique et chimique.
Autres technologies telles que la pyrolyse ou la gaséification qui permettent de revenir aux monomères ou aux molécules les plus simples, sous forme d’huile et de gaz (par exemple : Recycling Technologies) – selon le cas. Ces coproduits peuvent ensuite être utilisés pour produire du fuel ou de nouveaux polymères, entre autres.
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Un guide réalisé par le WBCSD (World Business Council for Sustainable Development)