L’entreprise sensible, est-elle un oxymore ?

À étudier la littérature de management des 50 dernières années, il le semblerait. L’entreprise est un être rationnel, géré scientifiquement, dont l’horizon est la recherche d’équations contenant la certitude du retour sur investissement plutôt que l’expérience sensorielle. Le développement depuis le début du siècle de l’automatisation des tâches intellectuelles, préalable à une vague de robotisations le confirmerait une fois pour toutes. À moins que ce ne soit l’inverse…

L’équation managériale s’est en effet enrichie d’une nouvelle inconnue : les parties prenantes externes. Le système d’équation n’est plus à trois inconnues mais à quatre (les actionnaires, les clients, les talents et en plus désormais les parties prenantes externes). Nul besoin d’être un maître en arithmétique pour comprendre que la complexité managériale s’en trouve complexifiée de manière exponentielle. Ainsi que l’enseigne désormais Michael Porter (professeur de stratégie à Harvard), l’équation s’est transformée d’une recherche de la maximisation de la valeur actionnariale vers l’optimisation des parties prenantes.

Comment devient-on une entreprise sensible ?

Nous cédons trop souvent à la tentation de croire à l’illusion qu’un monde nouveau nous attend, post-pandémie, et que nous saurons nous unir et faire cause commune pour inventer de nouveaux modèles de vie et d’entreprise. Aussi, pour initier cette année de travail du think tank Confiance & Gouvernance, la notion “d’entreprise sensible” nous est apparue comme une alternative ajustée. La loi PACTE et la question de la raison d’être des entreprises ont permis d’initier ces réflexions indispensables aux entreprises qui ont bien conscience que leur forme est inéluctablement en train de changer. L’heure n’est plus au questionnement mais bien à l’action, tant pour les entreprises centenaires que les “hyperscalers”.

Mais comment devient-on une entreprise sensible ?

La transition à opérer est, sans doute, d’abord culturelle : prendre appui sur une culture forte, partagée et inclusive, pour fédérer en interne comme en externe. L’entreprise s’imprègne des attentes de ses parties prenantes (sans oublier ses actionnaires), pour en comprendre les besoins et les aspirations, tout en reconnaissant que ceux-ci peuvent évoluer très vite (nous avons pu le voir au cours des derniers mois), alors même qu’elle ne doit jamais oublier sa mission première. Sa force est de savoir écouter, analyser, hiérarchiser et évoluer sur ses marchés et plus largement dans la société. L’entreprise sensible est forte car elle a intégré l’idée que le repli sur soi n’est pas une option. Son agilité ou sa flexibilité est sa force. Vaste programme pour les décideurs économiques ! Les voici confrontés à de multiples injonctions d’ouverture et de transparence, des nouvelles responsabilités sociales aux dilemmes environnementaux.

Agir sans naïveté, de façon responsable et rapidement ! Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas de choisir entre le sens et la performance. L’entreprise sensible doit pouvoir concilier les deux.

C’est peut-être même sa raison d’être. C’est choisir de faire confiance à l’intelligence collective, au dialogue constructif, à la démonstrationpar l’exemple, au pragmatisme et au temps long. Devenir sensible pour une entreprise, ce n’est pas une obligation de résultat chiffrée, ce n’est pas une destination précise à atteindre, c’est une route à tracer, avec un équipage impliqué et des référentiels à définir ensemble. C’est l’ensemble du système de gouvernance des entreprises, la direction exécutive, mais aussi les administrateurs et les actionnaires qui doivent initier cette mue et y prendre part.