Point de vue

Structurer et maintenir un dispositif LCB-FT adapté aux spécificités de leur activité 

Un défi pour les captives automobiles

Article co-écrit avec Shaden Itani, Directrice Risk Advisory et Dylan Bergounhe, Manager Risk Advisory.

L'étude Deloitte Future of captives analysant le futur des captives automobiles, c’est-à-dire les sociétés de financement des constructeurs automobiles, notait dès 2018 que le modèle, qui a connu un immense succès « au point de contribuer en moyenne à un tiers du bénéfice des constructeurs », allait être « confronté à de nombreux bouleversements impactant les métiers » (en particulier l’évolution des usages, des mobilités, des canaux de distribution et des modalités d’interaction avec les clients). Cette étude anticipait également que les captives pourraient faire l’objet d’« une attention grandissante du régulateur sur les sujets de maitrise des risques ».

Cette tendance est confirmée aujourd’hui par la sanction prononcée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) à l’encontre d’une captive en mai 2023 en raison de manquements identifiés aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) et en matière de gel des avoirs. Au-delà de l’attention croissante qu’elle matérialise, cette sanction met en lumière des difficultés et contraintes rencontrées par les captives dans la mise en œuvre d’un dispositif de LCB-FT efficace.

Celles-ci peuvent être surmontées en mettant en œuvre des actions concentrées sur trois axes.

Trois axes où concentrer les efforts pour renforcer son dispositif LCB-FT

I. Un renforcement des moyens humains et de la première ligne de défense

Le positionnement et la taille des équipes Conformité dans l’organisation des captives automobiles ont connu des évolutions notables ces dernières années. Historiquement, ces équipes n’étaient pas suffisamment spécialisées en matière de LCB-FT et couvraient un périmètre étendu à la fraude et au contrôle permanent notamment. Ces équipes ont été sensiblement renforcées et s’appuient désormais sur des experts aux rôles et responsabilités structurés. Les organisations ont parfois été revues afin de créer différents pôles en charge de ces thématiques. Il est recommandé de maintenir cette spécialisation et ces expertises LCB-FT tout en assurant des interactions fortes avec les autres fonctions, en particulier les équipes responsables de la Gestion des Risques.

Par ailleurs, les dispositifs LCB-FT s’appuient sur une première ligne de défense composée de concessionnaires automobiles, historiquement davantage sensibilisés aux risques de crédit et de fraude qu’aux risques de blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (BC-FT). Les concessionnaires étant les premiers points de contact des clients, ils occupent un rôle clé et doivent être d’autant plus formés que les clients exigent désormais des retours rapides voire instantanés quant à la décision d’entrée en relation. Ainsi, le renforcement de la vigilance des concessionnaires appelle la mise en place de trois actions :

Ces enjeux de formation, communication et de contrôle sont d’autant plus forts que les concessionnaires ne sont pas forcément salariés des captives automobiles avec lesquelles ils traitent.

 

II. Une fluidification et un approfondissement des processus d’entrée en relation et de revue périodique de la connaissance de la clientèle (Know Your Customer – KYC)

La nécessité pour les captives automobiles de se positionner rapidement quant à la décision d’entrer en relation avec le client est susceptible de nuire à l’exhaustivité et à la qualité des informations collectées. En effet, la profondeur des informations KYC collectées apparait encore fréquemment limitée (activités professionnelles imprécises par exemple), l’origine des fonds insuffisamment justifiée en cas d’apport important (par rapport aux revenus ou au montant du contrat) et sur base déclarative uniquement. Pour pallier ces difficultés, les actions suivantes peuvent être mises en œuvre :





Impliquer les équipes Conformité dans la définition des spécifications fonctionnelles des outils de gestion afin d’assurer la prise en compte de l’ensemble des informations requises et au niveau de granularité adapté.




Implémenter des dispositifs d’analyse en temps réel des risques LCB-FT informant les concessionnaires des informations et pièces complémentaires à collecter le cas échéant.



Des difficultés sont également observées dans l’identification des bénéficiaires effectifs et des personnes politiquement exposées (PPE) ainsi que dans la mise en œuvre des mesures de vigilance complémentaires. Si ces difficultés s’expliquent parfois par une coopération limitée de la part des clients (fiches déclaratives mal renseignées, informations non-communiquées, etc.), les captives automobiles peuvent s’appuyer sur deux leviers :



Des outils de criblage pleinement intégrés au processus d’entrée en relation.




Des contrôles de 2ème niveau robustes s’assurant de l’exhaustivité de la base de données criblée, du caractère actualisé des listes utilisées en référence et de la complétude des dossiers.



En cours de relation d’affaires, des difficultés sont souvent observées dans la mise à jour des informations KYC des clients, ces derniers n’ayant pas connaissance de l’obligation pour les captives automobiles de disposer d’une connaissance actualisée de leur clientèle. Cette méconnaissance, combinée au fait que les clients ne détiennent généralement pas de compte bancaire auprès de la captive rendent difficile l’identification de changements dans les comportements, les habitudes et/ou le profil du client (activité professionnelle et revenus par exemple) et aboutissent à des taux de réponse faibles et à des défauts d’actualisation importants. Des actions peuvent être entreprises sur les aspects suivants :



La mise en place de processus adaptés, structurés, formalisés et suivis de revue périodique des dossiers KYC et de sollicitation des clients.




La définition de fréquences de revue fondées sur une approche par les risques et mises en cohérence avec la durée moyenne des contrats.







La sensibilisation des équipes en contact avec la clientèle en cours de relation d’affaires et l’identification automatique des événements nécessitant de procéder à une actualisation des informations (renouvellement de contrat, nouveau contrat, réduction de capital, remboursement anticipé, etc.). Certains de ces événements sont par ailleurs porteurs de risques BC-FT et supposent une attention particulière.


III. Une amélioration des capacités de détection et d’identification des situations porteuses de risques LCB-FT

L’ACPR note dans son analyse sectorielle des risques de BC-FT en France de juin 2023 que « La vulnérabilité résiduelle, après prise en compte des mesures d’atténuation, est globalement faible pour les activités de leasing. Certaines mesures de vigilance sont néanmoins nécessaires, compte tenu des menaces identifiées, sur des secteurs particuliers (voitures de luxe notamment), et lorsque le financement porte sur des montants élevés ». Si la vulnérabilité résiduelle est faible, l’ACPR indique explicitement que les menaces identifiées appellent à des mesures de vigilance particulières. Ces menaces se traduisent notamment dans la classification des risques qui doit tenir compte du type de véhicule et des montants en question (montant de l’apport, du financement et du contrat). D’autres critères de risques moins évidents sont à appréhender tels que la distance entre le concessionnaire et le domicile du client, une distance importante devant attirer l’attention, ou l’incohérence entre le type véhicule financé pour des besoins professionnels et le secteur d’activité concerné. Par ailleurs, certaines opérations doivent faire l’objet d’une vigilance particulière, notamment les réductions de capital ou les remboursements anticipés effectués dans un délai très court après l’entrée en relation d’affaires sans cohérence économique.

Afin d’être en mesure d’identifier ces situations porteuses de risques, il convient pour les captives automobiles de s’appuyer sur l’ensemble des données disponibles dans leur organisation et de s’orienter vers des approches data-centric. Celles-ci sont conditionnées à une bonne gouvernance data et passent par la structuration d’équipes projets transverses combinant l’ensemble des expertises requises.

Enfin, les cas de fraude identifiés constituent en pratique un vecteur important de déclarations de soupçon, appelant à une convergence entre la lutte contre la fraude et la LCB-FT. Les captives automobiles doivent donc s’appuyer sur un dispositif LCB-FT sur mesure permettant, d’une part, de concilier les spécificités de leurs activités et de leurs organisations et, d’autre part, de se conformer aux exigences réglementaires pour ce secteur qui ont été confirmées et éclairées par les publications récentes des autorités.

Alors, en route vers la LCB-FT !