Point de vue

Les entreprises de l’agroalimentaire face à la dure réalité de la décarbonation

Article co-rédigé par Simon Benzoni, Consultant ; Clément Limare, Consultant Senior ; Maëlys Paquette et Aurore Ungerer, Managers et Fanny Lange, Associée

Pas à la hauteur de l’Accord de Paris

Depuis l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015, la nécessité de décarboner nos sociétés fait consensus. Dans ce contexte, disposer d'une trajectoire climatique alignée avec l’Accord de Paris, potentiellement approuvée par des organismes comme SBTi, devient la norme. Plus de 57 % des entreprises se sont dotées d’objectifs Net Zero, d’après le Net Zero Stocktake 2023 qui suit plus de 1000 entreprises basées dans les pays du G7. Ce chiffre cache cependant des disparités géographiques importantes : aux Etats-Unis seules 49 % des entreprises suivies disposent d’objectifs Net Zéro, alors que dans l’Union Européenne elles sont plus de 79 %.

Mais l’enjeu est de taille, notamment pour les entreprises de l’agroalimentaire dont l’activité est particulièrement émettrice.  Leurs émissions sont, selon OpenClimat, liées à 90 % au scope 3 et en particulier à l’amont agricole, donc en dehors de leur périmètre de responsabilité directe. Au-delà des objectifs, les entreprises doivent parvenir à réellement réduire leurs émissions, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.

C'est précisément ce qu'OpenClimat et LSA1 confirment à travers leur baromètre publié le 31 mai 2023 : les géants de l’agroalimentaire ne sont pas à la hauteur des objectifs de réduction des émissions de l'Accord de Paris. En effet, 75 % des 44 multinationales de l’agroalimentaire (alimentation, boisson et alcool) au chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros et présentes en France, ont un niveau d’action2 réel jugé insuffisant, très insuffisant ou ne publient aucun reporting. En particulier, cette analyse, qui repose sur les données publiques des entreprises (rapports annuels, rapports RSE, formulaires CDP etc.), montre que plus de 34 % d’entre elles n’ont pas publié de quantification de leur scope 3 ; et ce alors que 60 % d’entre elles disposent d’une trajectoire approuvée par le SBTi ou un équivalent.

Il est encourageant de constater une réduction des émissions liées au scopes 1 et 2, sur lesquelles les entreprises se sont pour l’instant concentrées : la baisse est supérieure à 2,5 % par an en absolu pour près de 45 % des entreprises du panel, et même supérieure à 4,5 % par an en absolu pour 35 % des entreprises ; ce qui doit permettre de limiter le réchauffement climatique à + 1,5 °C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle. L’engagement des entreprises est donc réel même s’il reste insuffisant. Par ailleurs, les difficultés rencontrées par les entreprises dans la réduction de leur scope 3 viennent, dans un premier lieu, de difficultés de quantification et d’identification de leviers de réduction de ce scope, en particulier pour les secteurs agricoles et forestiers. Or, le GHG Protocol – Land Use and Removals Guidance, dont la version finale devrait paraître début 2024, et le guide SBTi FLAG (Forest, Land and Agriculture) paru fin 2022 (voir le décryptage Deloitte), viennent justement répondre à ces manques en facilitant la quantification et la définition de trajectoires de réduction.

Construire une stratégie climat

Alors comment expliquer cet écart entre les objectifs affichés et la réalité de la réduction des émissions ? Nous constatons que nombre d’entreprises s’engagent dans des trajectoires de réduction en sous-estimant parfois l’ampleur des transformations à opérer. En effet, les objectifs visés par SBTi sont très ambitieux et nécessitent un changement radical et rapide des activités des entreprises, mobilisant souvent des ressources importantes. Il faut par ailleurs faire face à la difficulté de se projeter à long terme. Cette projection est d’autant plus difficile que les réductions doivent être réalisées, au moins sur les scopes 1 et 2, en absolu, et non pas en relatif en prenant en compte les objectifs de croissance de l’entreprise. Enfin, certaines entreprises s’engagent dans des trajectoires de réduction de leurs émissions avant même de connaître leurs leviers d’action. Il en résulte des objectifs souvent inatteignables au moment de la concrétisation en plan d’actions.

Face à ce constat, certaines entreprises sont actuellement contraintes de revoir à la baisse leurs objectifs de réduction d’émissions pour définir des objectifs plus réalistes.

Dans ce contexte, nous recommandons aux organisations d’élaborer une stratégie climat en suivant la séquence suivante :


Quantifier de façon exhaustive (scopes 1, 2 et 3) les émissions actuelles de l’entreprise afin de disposer d’un point de départ robuste pour cibler les postes d’émissions prioritaires.






Identifier les leviers de réduction à disposition de l’entreprise et évaluer leur potentiel de déploiement et de décarbonation, en impliquant tous les métiers concernés par ces leviers et les partenaires clés de la chaîne de valeur, et notamment de l’amont agricole.






Définir des objectifs réalistes, validés par les instances dirigeantes et co-construits avec l'ensemble des parties prenantes.




S’assurer de l’alignement des objectifs avec une trajectoire 1,5 °C. Cette étape peut inclure, de manière facultative, une reconnaissance externe des engagements auprès de la SBTi.


Passer à l’action

Au-delà de la définition d’objectifs ambitieux, mais également atteignables et réalistes, la phase d’opérationnalisation est cruciale. Il s’agit en effet de mettre en œuvre très concrètement dans les différents métiers de l’entreprise, et dans les chaînes d’approvisionnement agricoles, les leviers identifiés, de les déployer avec les collaborateurs, les fournisseurs et les agriculteurs. Plusieurs facteurs nous semblent clés pour la réussite de l’opérationnalisation d’une stratégie climat :

  • Co-construire les feuilles de route en impliquant le plus largement les parties prenantes internes et externes.
  • Explorer au-delà des leviers d’action les plus communs, en identifiant des leviers plus innovants et en s’autorisant à questionner le business model et le système de production de l’entreprise.
  • Décliner et adapter les feuilles de routes aux réalités des métiers, des filières et des géographies régionales.
  • Quantifier et projeter les financements et investissements nécessaires.
  • Intégrer le sujet de la décarbonation dans tous les process de l’entreprise et embarquer l’ensemble des collaborateurs.

Nos références

Dans ce cadre nous avons eu l’opportunité d’accompagner plusieurs de nos clients du secteur agroalimentaire dans ces étapes clés pour l’opérationnalisation des stratégies climatiques : 


Nous avons par exemple accompagné une coopérative agricole majeure dans la co-construction d’une trajectoire climat en impliquant les métiers et experts internes, et dans la définition d’un cadre permettant de décliner cette stratégie en feuilles de route opérationnelles adaptées aux réalités des métiers, filières et territoires.



Nous avons également accompagné un acteur international de l’agro-alimentaire dans la définition et le déploiement de sa stratégie d’agriculture régénératrice, considérée comme un levier clé pour l’atteinte des objectifs climatiques du groupe. En effet, le scope 3 est pour les entreprises du secteur alimentaire majoritairement constitué d'émissions liées à la production agricole (fermentation entérique des animaux d’élevage et émissions de protoxyde d’azote liées à l’utilisation d’engrais). Certaines pratiques d’agriculture régénératrice permettent ainsi de réduire les émissions et de séquestrer du carbone, sans oublier les multiples co-bénéfices en termes de résilience, de biodiversité, de fertilité des sols, de gestion de l’eau, etc. Dans ce contexte, nous avons d’abord défini, avec les équipes du client, les lignes directrices de la stratégie (principes, axes prioritaires, actions et pratiques agricoles au service de la stratégie d’agriculture régénératrice). Nous avons ensuite créé des outils permettant de favoriser l’appropriation de la stratégie et la mise en œuvre de projets concrets et par les entités du groupe. Enfin, nous avons contribué à la formulation de feuilles de route d’agriculture régénératrice, en collaboration avec les parties prenantes externes, afin d’opérationnaliser cette stratégie et permettre la mise en œuvre de projets concrets, dans les différents pays et en collaboration avec les fournisseurs.



Enfin, nous avons accompagné un client de la restauration dans l’opérationnalisation de sa stratégie agriculture et climat avec le lancement d’un projet pilote d’agriculture régénératrice sur sa filière blé. L’accompagnement a été double, avec dans un premier temps la construction du projet (cadrage du projet d’agriculture régénératrice, définition d’un cahier des charges, sélection d’un partenaire technique) Dans un second temps, nous avons apporté une expertise sur le sujet de la labellisation carbone, en décryptant notamment le rôle des acteurs et les différents référentiels et standards.


 

Quel que soit votre niveau d’avancement concernant les enjeux climatiques, une seule urgence : passer à l’action ! Cela inclut également d’engager des réflexions de court et moyen termes concernant l’adaptation de vos activités au changement climatique.

https://www.lsa-conso.fr/mondelez-nestle-bel-comment-evoluent-les-emissions-carbone-des-40-geants-de-l-agroalimentaire,437836

Le niveau d’action climatique des entreprises est défini par OpenClimat, sur la base des critères sectoriels fixés par le référentiel SBT, de la façon suivante :
Très fort = L’entreprise suit un scénario 1,5 degrés (réduction minimale en absolu de -4,20% par an) sur son scope 1-2 et sur son scope 3.
Fort = L’entreprise suit un scénario 1,5 degrés sur son scope 1-2 et à minima un scénario 2 degrés (réduction minimale en absolu de -1,25%) sur son scope 3.
Intermédiaire = L’entreprise suit à minima un scénario bien en-dessus de 2 degrés (réduction minimale en absolu de -2,50%) sur son scope 1-2 et a un scope 3 en baisse mais pas encore aligné 2 degrés.
Encore insuffisant = Pour une entreprise qui n'atteint pas bien en-dessous de 2 degrés sur son scope 1-2 ou qui a un scope 3 encore en hausse.
Très insuffisant = L’entreprise n’atteint pas 2 degrés sur son scope 1-2 et a un scope 3 encore en hausse.
Pas d’engagement = Lorsqu’aucun reporting n’est fait.

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