Point de vue

[#2 Traçabilité] L’évaluation des risques d’approvisionnement au cœur de la transformation des filières

Proposition de méthodologie en 4 étapes 

Un article co-rédigé par Avner Simeoni, Pierrick Drapeau et Albane Aupècle, des équipes Sustainability de Deloitte France.

Covid, guerre en Ukraine, nouveaux besoins liés à la transition énergétique, etc. Les pressions géopolitiques et écologiques actuelles renforcent le risque de rupture d’approvisionnement et contribuent à l’augmentation du prix de nombreuses matières premières, comme les métaux1. Les cours du nickel, du palladium ou encore de l’aluminium ont ainsi atteint leur plus haut niveau historique2, tandis que le secteur aéronautique se détourne du titane russe, dont le pays est le premier producteur mondial3. A cela s’ajoutent les risques liés aux enjeux environnementaux (impact carbone...), sociaux (travail forcé...) et industriels (capacités minières et de transformation...)4.
Ces métaux sont cependant essentiels, voire critiques5 pour des industries comme l’automobile ou l’aéronautique et se trouvent au cœur de la transition énergétique6. Dans le même temps, le devoir de vigilance et de transparence vis-à-vis du consommateur se renforce et expose les entreprises à une pression croissante sur leur approvisionnement en matières premières.

 

Les limites des méthodes actuelles relatives à l’analyse des risques d’approvisionnement en tant qu’entreprise

 
En nous appuyant sur les besoins des clients que nous accompagnons et forts de notre expérience, nous avons pu établir les conclusions suivantes :


Il convient donc de s’inspirer des méthodes existantes8, en les enrichissant, notamment dans la prise en compte des risques financiers et économiques liés aux approvisionnements de l’entreprise.

Il faut également évaluer l’exposition de l’entreprise et des mesures mises en œuvre pour atténuer ses risques et améliorer sa résilience.

 

Les 4 étapes clés de notre méthode Resources for Future :

Cet article propose une méthode en quatre temps, adaptée aux entreprises, de pilotage des risques d’approvisionnement et RSE des matières premières :



Sélectionner les données d'analyse des risques matières premières


Les bases de données peuvent provenir de sources publiques, privées ou des deux.

Les efforts déployés par l’entreprise en matière de traçabilité ou encore d’audits de ses chaînes d’approvisionnement pourront venir compléter ces bases au fur et à mesure, tandis que les résultats obtenus dans la démarche d’analyse des risques permettront d’orienter le projet de traçabilité en fonction des priorités identifiées.

Ces démarches de traçabilité et d’analyse des risques matières premières se nourrissent ainsi, par itération.


Evaluer les risques


● Il s’agit tout d’abord de déterminer « le risque brut », celui de la matière première fournie par une chaîne d’approvisionnement donnée.

« L’exposition de l’entreprise » permet de le pondérer : dépendance à la matière première, importance économique ou caractère stratégique de cette dernière, capacité de substitution, exposition médiatique, etc.

● Enfin, « le risque net » prend en compte les mesures d’atténuation mises en œuvre par l’entreprise : signature de contrats cadres, organisation d’audits, etc.


Prioriser les actions de remédiation sur les chaînes d'approvisionnement


L’évaluation, qualitative ou quantitative, des gains et pertes potentiels liés à ces risques (voire même leur monétarisation) est clé dans la prise de décision.

Des « stress tests », c’est-à-dire la construction de scénarios, peuvent s’avérer nécessaires, pour anticiper l’évolution du risque (nouvelle composition d’un équipement, changement de fournisseur, dégradation ou amélioration de l’environnement politique ou d’indicateurs écologiques, etc.).


Piloter les risques via l'usage d'un outil de data visualisation


La démarche implique le plus souvent le développement d’un moteur de calcul, basé sur des décisions propres à chaque entreprise : risques à retenir, échelles de risques, pondération, organisation des achats, etc.

La data visualisation obligera l’entreprise à s’interroger sur ses besoins en matière de reporting afin de naviguer entre les niveaux macro (portefeuille de l’ensemble des matières premières), méso (matières premières présentes dans un produit donné) et micro (une matière première en particulier).


Les bénéfices de cette méthode

Nos retours d’expérience montrent que les entreprises s’étant engagées dans ce type de démarche ont considérablement amélioré leur connaissance des risques sur leurs chaînes d’approvisionnement. Ceci leur a permis de piloter et prioriser des actions à mettre en oeuvre pour un approvisionnement plus sécurisé et plus responsable.

Cette méthode9 a montré sa pertinence tant pour les métaux et minerais que sur d'autres matières premières (végétales notamment) pour des acteurs des secteurs du luxe, de l'automobile et de l'aéronautique.

Ses principes s’avéreront de plus en plus utiles à mesure que le monde bascule dans un nouvel ordre écologique, économique et géopolitique.


1 Les Echos. (15 mars 2022). Ukraine : la volatilité des prix des matières premières en 5 graphiques.
2 Au 15 mars, le prix du nickel a atteint 100 000 $/t contre environ 25 000 $/t début mars ; le prix du palladium est 44% supérieur à son prix en janvier et le prix de l’aluminium est 20% plus élevé qu’en janvier (source Bloomberg).
3 Sur tous ces sujets et les répercussions de la guerre en Ukraine, voir notamment « Métaux russes : le casse-tête chinois des industriels, Emmanuel Hache, Polytechnique Insights, 23 mars 2022
4 Drapeau Pierrick (2020). Les batteries pour la mobilité : Guide à l’usage des décideurs européens pour s’orienter dans le siècle des métaux.
5 Depuis 2010, la Commission Européenne étudie les risques d’approvisionnement de diverses commodités et a établi une liste de désormais 30 matières premières critiques, presque toutes des métaux. Comme le rappelle la Commission, « pour être qualifiée de critique, une matière première doit faire face à de forts risques d’accès à cette ressource et être d’une importance économique cruciale » Commission Européenne. (2020). Liste des matières premières critiques
6 The conversation. (15 mars 2022). Russia and Ukraine are important to the renewables transition. Here’s what that means for the climate
7 La criticité est en effet un concept récent, les premiers outils de mesure ayant été développés en 2008 par le National Research Council (NRC) aux États-Unis. National Research Council (2008). Classical criticality assessment- avant d’être repris par l’Union européenne en 2010.
8 Il est intéressant de noter que Deloitte Sustainability a une connaissance fine des méthodes publiques puisque la firme a participé à l’évaluation de la criticité des matières premières dans le cadre du troisième rapport.
9 Cette démarche proposée par Deloitte est nommée Resources for Future.