Les données publiées aujourd’hui permettent de dégager un certain nombre de perspectives sur le consommateur canadien aux premiers stades de l’actuelle récession.
Statistique Canada rapporte que les ventes au détail ont diminué de 11 % en mars par rapport à leur niveau de février, affichant une baisse généralisée dans 12 des 19 catégories de produits. Le fossé qui divise les achats en hausse de ceux en baisse se situe entre les produits essentiels consommés à domicile et les produits non essentiels consommés hors du foyer. Certaines catégories ont subi les contrecoups de l’arrêt complet de l’activité économique et des mesures de distanciation physique, notamment les ventes de voitures ( 35 %), de vêtements ( 46 %) et de chaussures ( 48 %).
Dans une autre publication, Statistique Canada présente des données sur les ventes de véhicules automobiles neufs en avril, qui ont chuté de 75 % sur 12 mois. Cette baisse s’explique par le fait que les concessionnaires de nouveaux véhicules automobiles étaient considérés comme des entreprises non essentielles. Avec la reprise de l’activité économique, les ventes de véhicules devraient se redresser, mais leur volume demeurera inférieur aux niveaux préalables à la COVID, reflétant les répercussions de la pandémie sur les dépenses de consommation.
En revanche, on s’arrachait les produits essentiels. Par exemple, les ventes d’aliments ont augmenté de 19,5 %. Les ventes de boissons ont connu une hausse de 8,6 %, et les achats d’alcool ont augmenté de 10,4 %. Selon Statistique Canada, l’accumulation de stocks de produits essentiels, dont les articles ménagers, serait à l’origine de ces tendances.
On s’attend à ce que les perturbations de la demande des consommateurs aient une incidence sur les prix. Les données sur l’inflation aux États-Unis publiées cette semaine indiquent que les prix des produits essentiels ou consommés à domicile sont en hausse, ce qui reflète sans doute plusieurs facteurs tels qu’une demande accrue et certaines interruptions de l’approvisionnement. Aussi, il semble que les détaillants ont pu refiler ces coûts plus élevés au consommateur. Par contre, on constate une baisse de prix des produits dont les ventes ont reculé à cause de l’arrêt complet de l’activité économique. Je m’attends à ce que les données canadiennes sur l’inflation offrent un portrait semblable, où des fournisseurs ont un plus grand pouvoir de fixation des prix que d’autres, dans le rapport sur l’indice des prix à la consommation des mois à venir.
La baisse des dépenses de consommation est probablement tempérée par les généreux programmes de soutien du revenu mis en place par le gouvernement, comme la PCU. Cela dit, je suis préoccupé par les perspectives de reprise des dépenses après le retrait des programmes de soutien et la fin des reports de versements hypothécaires au cours des prochains mois. C’est à ce moment-là que les conséquences de la hausse marquée du chômage se feront davantage sentir à l’échelle du pays. Par ailleurs, le fort niveau d’endettement des ménages est susceptible de modérer la relance des dépenses de consommation. Déjà préoccupant avant la COVID, l’endettement des ménages le sera encore plus après la crise. Si les consommateurs ne souhaitent pas s’endetter davantage ou ne sont pas en mesure de le faire, leurs dépenses seront limitées par la croissance des revenus, laquelle s’annonce modeste.
Parlant d’endettement, les comptes du bilan national canadiens du premier trimestre ont été publiés aujourd’hui. Ce rapport est un résumé des tendances relatives aux actifs, aux passifs et à la valeur nette par secteur au pays; dans mon commentaire d’aujourd’hui, je vais me concentrer sur l’optique du consommateur.
• La valeur nette des ménages a fléchi de 443 milliards de dollars au premier trimestre, ce qui est principalement attribuable à l’importante correction des marchés financiers dans le contexte de la pandémie. Même si les marchés ont progressé au deuxième trimestre, la valeur nette des ménages demeurera inférieure aux niveaux précédant la crise de la COVID. Il convient de noter que, selon les modèles économiques, chaque dollar en moins du patrimoine se traduit par une réduction d’un à trois cents des dépenses sur un certain nombre de trimestres.
• Les actifs financiers détenus à titre personnel ont enregistré un recul de 15,5 %. Nous sommes conscients que les marchés boursiers ont progressé au deuxième trimestre, mais ils se situent néanmoins bien en deçà de leur sommet précédent, ce qui a un effet négatif sur les ménages.
• Les dépôts ont augmenté de 3,2 % au premier trimestre, ce qui s’explique par un recul des dépenses personnelles ayant contribué à l’augmentation du taux d’épargne personnelle de 3,6 % à 6,1 %. Cependant, ces chiffres peuvent être trompeurs. Je soupçonne que les Canadiens ne sont pas devenus de grands épargnants du jour au lendemain. Je crois que les dépenses ont diminué en partie parce que beaucoup de magasins étaient fermés, et que les catégories de dépenses quotidiennes comme le transport collectif et l’essence ont nettement chuté pendant le confinement. Au fil du redressement de l’économie, on devrait observer une diminution du taux d’épargne personnel, sans qu’il atteigne nécessairement le niveau d’avant la crise, car certains ménages pourraient être portés à constituer un coussin financier plus important tant que le virus est en circulation.
Les Canadiens ont emprunté davantage au premier trimestre, mais ce phénomène découle de la croissance des prêts hypothécaires. Le crédit à la consommation et les prêts non hypothécaires ont fléchi au premier trimestre. Je soupçonne que la hausse des prêts hypothécaires reflète la vigueur de l’activité immobilière avant l’arrivée de la COVID 19 au Canada. Le nombre de prêts hypothécaires est susceptible de reculer au deuxième trimestre, compte tenu de la baisse du volume des ventes de propriétés résidentielles pendant le confinement. En revanche, je m’attends à ce que certains ménages pigent davantage dans leur marge de crédit étant donné la faiblesse du marché du travail.
Le ratio d’endettement des ménages par rapport au revenu disponible est passé de 175,6 % au quatrième trimestre de 2019 à 176,9 % au premier trimestre de 2020. Je m’attends à ce que ce ratio augmente fortement, et même qu’il se hisse à 230 %, pas seulement à cause de l’endettement accru, mais surtout en raison de la baisse du revenu personnel attribuable à la forte progression du chômage.
Mais il y a aussi des nouvelles positives à propos du fardeau de la dette. Les paiements d’intérêt et de capital sur la dette des ménages par rapport au revenu disponible ont diminué de 14,81 % à 14,67 %. Encore ici, ce ratio est susceptible de bondir lorsque la perte de revenus des ménages se reflétera dans les chiffres du deuxième trimestre.
La consommation représente 60 % de l’économie canadienne. Aussi, le suivi des comportements de consommation est une dimension essentielle lorsqu’il s’agit d’évaluer les conséquences de la pandémie. Dans l’ensemble, nous pensons que les dépenses de consommation compteront pour une part importante de la reprise économique. Cela dit, la croissance des dépenses de consommation sera modérée par le taux de chômage élevé, l’endettement élevé et les réactions comportementales aux risques soutenus pour la santé. C’est en partie pour cette raison qu’une lente reprise se profile à l’horizon.