Perspectives

Perturber la gestion du patrimoine

L’ère de l’hyperpersonnalisation

Nous explorons comment les sociétés de gestion du patrimoine se redéfinissent pour offrir à leurs clients les conseils financiers personnalisés qui répondent à leurs attentes élevées.

Pour une entreprise, il est toujours crucial d’offrir une expérience client exceptionnelle, car cela lui procure une image de marque distincte qui mène à un avantage concurrentiel. Dans le secteur du commerce de détail, par exemple, les services personnalisés et les commentaires des fournisseurs tels que les suggestions de produits d’Amazon, les recommandations de films de Netflix et les listes de lecture de Spotify fidélisent les consommateurs. De telles pratiques axées sur les clients sont aussi apparues dans le domaine de la gestion du patrimoine, de plus en plus de clients exigeant de leurs conseillers financiers les mêmes services hautement personnalisés et taillés sur mesure. Cette tendance est à l’origine de la gestion du patrimoine hyperpersonnalisée, selon laquelle des conseillers offrent des services-conseils hyperpersonnalisés, adaptés aux attentes élevées de leurs clients. Cependant, tout en essayant de repérer ce qui distingue chaque client, et souvent en continuant de concilier un portefeuille complet, ces professionnels se heurtent à des contraintes de temps et de ressources. Ils doivent fournir des conseils ciblés sur un aspect spécifique des besoins du client plutôt que sur l’ensemble de sa situation financière, et c’est déjà un défi. Si l’hyperpersonnalisation est déployée à grande échelle, ce défi leur semblera insurmontable.

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Pourtant, l’investisseur qui ne reçoit pas ce niveau de services-conseils sur mesure en étant conscient de la valeur qu’ils peuvent lui procurer risque de se tourner rapidement vers des fournisseurs moins coûteux tels que des conseillers robotisés. Il est donc impératif que les sociétés de gestion du patrimoine rehaussent les services qu’elles proposent pour maintenir des relations solides et engageantes avec leurs clients. HSBC prévoit que cette transformation aura des effets sur le service à la clientèle, et probablement sur les services d’investissement, dans l’ensemble du secteur bancaire. Comme l’expliquaient des représentants de HSBC dans un article paru en novembre 2019 dans CDOTrends, « à l’avenir, les clients exigeront de plus en plus un service hautement personnalisé, déterminé par leurs besoins individuels plutôt que fondé sur l’ensemble de leurs produits d’épargne, d’emprunt et d’investissement, et chacun aura ses propres caractéristiques de vente et de service1. » Cet article affirme également que les conseillers doivent utiliser les données sur les clients, des technologies analytiques et des outils d’intelligence artificielle (IA) pour concevoir et fournir des services hyperpersonnalisés, tout en cultivant des relations de confiance durables avec leurs clients.

On entend par personnalisation l’adaptation des services aux affiliations de chaque personne, que ce soit à un groupe social, à un palier de revenu ou à un regroupement de personnes ayant des intérêts communs, ou encore à ses préférences ou aversions. Habituellement, les entreprises utilisent cette technique à des fins de fidélisation à leur marque. L’hyperpersonnalisation, qui est de plus en plus demandée, pousse encore plus loin cette adaptation de manière à procurer à chaque client une expérience réellement unique, stimulante et hautement personnalisée. Selon un sondage réalisé par Salesforce en 2016, 51 % des consommateurs s’attendent à ce que les entreprises anticipent leurs besoins et leur fassent des suggestions pertinentes, même avant le premier contact3. Il n’est donc pas étonnant que l’immense incidence que l’hyperpersonnalisation peut avoir sur la génération de revenus, l’obtention et la fidélisation des clients incite les entreprises à précipiter son adoption. Poussant encore plus loin les niveaux de recommandations personnalisées atteints par Netflix, Spotify et Amazon, Starbucks a créé un programme de récompenses qui lui permet d’offrir des suggestions hyperpersonnalisées. En combinant les données de localisation et l’historique d’achat d’un utilisateur, ce programme peut offrir des promotions alléchantes taillées sur mesure2. Il est clair que les banques et les sociétés de gestion du patrimoine doivent offrir les mêmes expériences personnalisées non seulement pour évoluer au même rythme que d’autres fournisseurs de services, mais aussi pour répondre aux attentes des clients et leur proposer des services hyperpersonnalisés qui vont au-delà de ces attentes. À cette fin, les conseillers doivent vraiment comprendre et intégrer à leur analyse les particularités complexes de chaque client, notamment sa situation familiale, professionnelle et communautaire, afin d’évaluer sa situation financière actuelle et ses objectifs. Grâce à cette démarche, ils seront mieux en mesure de faire des liens, de mettre en contexte leurs conseils et d’offrir des recommandations hautement personnalisées. En approfondissant ainsi leur connaissance de chaque client, les gestionnaires de patrimoine sont mieux équipés pour offrir des conseils autres que financiers en se basant sur des aspects plus détaillés de la vie du client, par exemple son état de santé et sa situation professionnelle ainsi que ses autres intérêts personnels et professionnels. Cette mise en contexte de chaque investisseur leur permet d’aller au-delà des brèves discussions impersonnelles, typiques de leurs échanges avec les clients, et d’avoir une discussion sincère qui rehausse le lien de confiance et consolide la relation. Toutefois, pour que les gestionnaires de patrimoine puissent atteindre ce niveau plus approfondi de connaissance du client, leur employeur doit engager l’ensemble de l’entreprise sur la voie de l’hyperpersonnalisation.

Une fois cette étape franchie, les conseillers sont libres d’offrir des conseils détaillés et très personnalisés pour aider leurs clients à gérer leur argent durement gagné. Des systèmes qui intègrent les technologies et la science des données complètent les trousses d’outils qui aident les gestionnaires de patrimoine à personnaliser leurs services. L’ensemble des données qu’ils ont recueillies sur leurs clients leur procurent un portrait complet de ces derniers, tandis que les principes fondamentaux de la science comportementale, de l’analytique avancée et de l’intelligence artificielle leur permettent d’en tirer des enseignements très nuancés qui peuvent tous profiter aux investisseurs. Les conseils hyperpersonnalisés offerts constamment et à bon escient créent alors une boucle de rétroaction positive que les conseillers utilisent pour interagir de façon proactive avec leurs clients et raffermir leur relation de confiance. Appliquée sur une période de plusieurs décennies, cette approche permet de créer des profils prédictifs très utiles qui décrivent, par exemple, les habitudes et stratégies personnelles de prise de décisions qu’utilise le client pour se fixer des objectifs à court terme.

Dans un sondage mené auprès de cadres de sociétés de gestion du patrimoine par Temenos et Forbes Insights en juin 2019, une proportion impressionnante de répondants (82 %) ont affirmé que les entreprises qui personnalisent davantage leurs produits sont celles qui réussiront4. Dans un autre sondage mondial récent, réalisé par Refinitiv auprès d’une population semblable, 61 % des répondants ont dit que l’utilisation de l’analytique et la capacité d’en tirer des enseignements étaient « très importantes », tandis que 39 % les considèrent comme « importantes » pour leur entreprise au cours des 12 à 18 prochains mois5. Dans le même ordre d’idées, des sociétés de gestion du patrimoine réputées répondent à la demande de services hautement personnalisés et conçoivent ou achètent des outils qui leur permettent de le faire. Morgan Stanley a notamment mis au point le système Next Best Action (NBA), qui génère des recommandations hyperpersonnalisées que les gestionnaires de patrimoine peuvent présenter à leurs clients. Durant les deux premiers mois de la pandémie de COVID-19, ses conseillers l’ont utilisé plus de 11 millions de fois, ce qui a décuplé la productivité et entraîné une hausse moyenne de cinq à six appels de clients par jour. Le chef de l’analytique et des données de gestion du patrimoine de l’entreprise a constaté que le système NBA rendait presque instantanée la génération d’une idée d’investissement personnalisée à l’intention d’un client, alors qu’auparavant, cela prenait environ 45 minutes6.

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Chaque client a ses propres préférences, croyances éthiques, objectifs de vie et profils de risque en matière d’investissement. Grâce à l’hyperpersonnalisation, son portefeuille peut être taillé sur mesure en fonction de ces critères. Pour illustrer la valeur ajoutée que les services hyperpersonnalisés peuvent procurer, prenons l’exemple de la répartition ciblée des actifs qu’exigent les clients préférant les investissements responsables. Il est possible d’utiliser les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de ces clients pour leur suggérer des investissements dans des entités dont la vision du monde et les croyances s’apparentent aux leurs. À l’échelle mondiale, le pourcentage d’investisseurs individuels et d’investisseurs institutionnels qui appliquent ces principes au quart, au moins, de leur portefeuille est passé de 48 % en 2017 à 75 % en 20197. Cette forte hausse est en partie attribuable au fait que les conseillers adaptent plus finement les investissements de leurs clients à leurs intérêts en matière d’enjeux sociaux. L’une des nombreuses entreprises utilisant cette approche est Ethic, une société de gestion d’actifs axée sur la technologie qui crée des portefeuilles d’investissement durable, c’est-à-dire axés sur des entreprises dont la croissance repose sur des améliorations environnementales. Pour ce faire, elle utilise des comptes gérés séparément qui sont optimisés afin de suivre le marché en fonction de critères de développement durable déterminés pour chaque client. Ces critères sont fondés sur un éventail d’enjeux ESG. Outre les portefeuilles d’investissement durable, Ethic fournit à ses clients des rapports personnalisés sur la valeur de leurs titres. Même sans ces types de rapports offrant une valeur ajoutée, les profils adaptés aux critères ESG du client permettent au gestionnaire de tisser des liens émotionnels avec ce dernier. À long terme, cela se traduit par une amélioration du lien de confiance entre le client et son conseiller.

Contrairement aux conseils généraux sur le patrimoine, les services hyperpersonnalisés reposent sur l’accès à des données clients plus étendues que celles que les conseillers peuvent habituellement utiliser. Les renseignements qui sont normalement fournis lors de la première rencontre, notamment l’âge, l’état civil et la situation financière du client, ainsi que dans le cadre d’échanges directs, ne sont tout simplement pas suffisants pour permettre l’hyperpersonnalisation. Les conseillers doivent donc obtenir certains renseignements spécifiques sur le client tels que ses traits de personnalité, ses valeurs, ses croyances, ses habitudes comportementales et transactionnelles, son engagement, son potentiel en tant que client et ses données mobiles. Mais trouver une façon d’acquérir et d’utiliser de l’information aussi détaillée peut être un défi, et qui s’applique à l’ensemble des segments de clientèle, des petits investisseurs individuels aux clients fortunés de grande envergure. À partir des perspectives générées par les systèmes d’aide à l’hyperpersonnalisation, les conseillers peuvent combattre ce qui pourrait être autrement une surcharge d’information, et se concentrer uniquement sur les options d’investissement les plus pertinentes pour leurs clients. Une des entreprises qui vantent ouvertement la valeur de leurs services de personnalisation à leurs clients est NexJ Systems. Son objectif est de révolutionner la gestion des relations avec la clientèle en utilisant l’IA, l’apprentissage machine et le traitement du langage naturel pour créer des profils fournissant une vision globale du client. Par ses interactions à valeur ajoutée avec les clients et ses services financiers personnalisés, NexJ vise à offrir des recommandations efficaces et opportunes qui suscitent des interactions entre les conseillers et les clients et rehaussent la confiance de ces derniers. Acquisition.AI de Deloitte est un autre exemple d’hyperpersonnalisation, appliquée cette fois-ci au processus d’acquisitions de clients. Ce programme utilise un ensemble enrichi de données de tiers, de résultats d’études de marché et de données mobiles pour générer des renseignements détaillés sur une multitude de segments de clientèle, qui peuvent ensuite être personnalisés afin que les activités de marketing soient adaptées à l’acquisition de clients.

Pour offrir un véritable service hyperpersonnalisé, les entreprises doivent obtenir de manière délibérée les données nécessaires et créer des processus leur permettant d’en tirer des enseignements. Il est donc crucial qu’elles soient en mesure de repérer et d’acquérir des données utiles et pertinentes sur chaque client, puis de les traiter en temps quasi réel au moyen des plateformes de données existantes. Les données ainsi traitées peuvent ensuite être interprétées et regroupées afin que les conseillers aient une vision globale de leurs clients et puissent leur fournir des conseils opportuns et éclairés. Parmi les sources de données utiles sur les clients qui sont couramment utilisées, mentionnons les renseignements financiers et personnels (famille, emploi, affiliations communautaires, etc.), l’information sur les aspirations personnelles, les données sur les interactions avec le conseiller et l’engagement du client (fréquence des interactions, objectif et méthode [p. ex., interactions par courriel]) et même la durée de la relation entre le conseiller et l’investisseur. Les médias sociaux, les données de localisation et les données comportementales et transactionnelles sont des sources d’information moins souvent utilisées.

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Conclusion

Grâce à des ressources puissantes comme les sciences comportementales, l’analytique avancée, l’IA et l’apprentissage machine, les sociétés de gestion du patrimoine sont mieux placées pour déterminer les habitudes des clients, extraire des perspectives de profils d’investisseur complexes et très nuancés et fixer les objectifs à court terme et à long terme de leurs clients. Tous ces éléments permettent aux conseillers de planifier plus efficacement leurs services. Les modèles technologiques complexes centrés sur le client, tels que le système de recommandations personnalisées NBA de Morgan Stanley, améliorent déjà la capacité des conseillers à servir leurs clients. D’autres modèles de ce type peuvent être créés pour que le conseiller puisse estimer la complexité d’un dossier ou les actifs détenus à l’extérieur du portefeuille qu’il gère, et ensuite utiliser cette information pour recommander des produits additionnels ou complémentaires. Les sociétés de gestion du patrimoine peuvent également établir des modèles de propension, c’est-à-dire utiliser des données historiques pour prédire des comportements futurs et des tendances. Ainsi, les gestionnaires du patrimoine peuvent repérer les clients qui risquent de se tourner vers un concurrent et discuter avec eux avant qu’ils coupent les ponts et transfèrent leurs actifs. Même avec toutes ces nouvelles données et technologies, il est important de se rappeler que les conseillers demeurent essentiels dans l’équation de l’hyperpersonnalisation. Pour entrer dans cette nouvelle ère, l’entreprise doit les former afin qu’ils puissent utiliser avec aisance les nouvelles technologies et adopter la nouvelle culture d’interactions fondées sur les données. Elle doit aussi repenser ses systèmes d’information afin que les conseillers puissent continuer à les utiliser pour traiter avec des investisseurs.

Les services-conseils hautement personnalisés seront bientôt le seuil minimal de valeur auquel s’attendent les clients. Ces derniers exigent de plus en plus que leur conseiller ait une compréhension intuitive de leur situation financière et personnelle et leur fasse des recommandations adaptées à leurs préférences et à leurs objectifs. C’est pourquoi les sociétés de gestion du patrimoine doivent investir dès maintenant dans les initiatives fondées sur les données, l’analytique et l’IA qui les aideront à offrir les conseils et le suivi ciblés qui caractérisent les expériences hyperpersonnalisées.

Remerciements

Chelvan Sivayogapathy, CPA, CA
Directrice principale
Omnia IA

Notes

1. « HSBC sees hyper-personalization in banks’ future », CDOTrends, 14 novembre 2019, https://www.cdotrends.com/story/14529/hsbc-sees-hyper-personalization-banks%E2%80%99-future.

2. Kate Taylor, « Starbucks is rolling out a new system to convince you to buy exactly want it wants you to buy », Business Insider, 7 décembre 2016, https://www.businessinsider.com/starbucks-develops-personalization-system-2016-12.

3. Devon McGinnis, « Please take my data: Why consumers want more personalized marketing », The 360 Blog, Salesforce, 2 décembre 2016, https://www.salesforce.com/blog/consumers-want-more-personalized-marketing/.

4. « Empowered by technology, wealth managers will take personalization to the next level », Temenos et Forbes Insights, 17 juin 2019, https://www.forbes.com/sites/insights-temenos/2019/06/17/empowered-by-technology-wealth-managers-will-take-personalization-to-the-next-level/#35f8cebe38c4.

5. « Digitalization of wealth management: Client-centricity through personalized wealth management », Refinitiv, 14 février 2020, https://www.refinitiv.com/perspectives/ai-digitalization/client-centricity-through-personalized-wealth-management/.

6. Tom Davenport, « The future of work now: Morgan Stanley’s financial advisors and the next best action system », Forbes, 16 mai 2020, https://www.forbes.com/sites/tomdavenport/2020/05/16/the-future-of-work-now-morgan-stanleys-financial-advisors-and-the-next-best-offer-system/#221f100b7027.

7. « The ESG global survey 2019 », BNP Paribas, https://securities.bnpparibas.com/global-esg-survey.html.

 

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