Perspectives

À prévoir : un engouement pour le cyclisme

Oui, je sais qui a mis les mains sur mon guidon!

C’est un point d’inflexion de l’infection : on s’attend à ce que le phénomène de la navette à bicyclette augmente plus rapidement que prévu en raison de la COVID 19. Les craintes d’infection ont amené des dizaines de millions de navetteurs partout dans le monde à passer des moyens de transport collectifs (transport en commun, taxis et covoiturage) à des moyens de transport individuels (véhicules particuliers et bicyclettes privées). L’expansion de l’infrastructure cyclable (aménagement de nouvelles voies réservées aux vélos et élargissement des pistes cyclables) durant la pandémie et le gain de popularité des vélos électriques font en sorte que la pratique du vélo est plus sécuritaire et facile que jamais.

Un sondage en ligne réalisé en Chine à la fin février indique que les répondants sont deux fois moins susceptibles d’utiliser les transports en commun qu’auparavant, deux fois plus susceptibles d’utiliser une voiture particulière, et tout aussi susceptibles d’utiliser un moyen de transport à deux roues (comme le vélo ou la moto). En mars, selon un sondage effectué à Guangzhou, seulement 34 % des anciens usagers habituels de l’autobus et du métro ont recommencé à emprunter les transports en commun : 24 % d’entre eux utilisent maintenant une voiture particulière et plus de 10 % ont adopté le vélo. Toutes ces voitures viennent alourdir la circulation aux heures de pointe; et déjà, les 7 et 8 avril, les embouteillages à Chongqing, à Chengdu et à Beijing, entre autres villes, dépassaient les niveaux atteints en 2019.

À l’instar de nombreuses tendances actuelles, ce qui se produit en Chine ne reste pas en Chine. Un sondage mondial qui remonte à la mi-mars donne des résultats semblables à ceux cités dans le paragraphe précédent, les répondants affirmant qu’ils délaissent le covoiturage au profit des voitures particulières (le sondage ne comportait aucune question sur les transports en commun et les vélos). La même tendance se dessine en Europe, comme l’indique Pierre Serne, président du Club des villes cyclables de France : « Les gens vont avoir psychologiquement du mal à s’agglutiner dans les trams, bus ou métros ».

Qu’en est-il au Canada? D’après Ahmed El-Geneidy, professeur d’urbanisme à l’Université McGill de Montréal qui a étudié la fréquentation des transports en commun, « nous savons que les gens auront peur d’utiliser le transport collectif sur le plan sanitaire ». Les données issues de l’outil de suivi de l’état du secteur de la consommation de Deloitte du 16 mai démontrent que 63 % d’entre nous entendent limiter leur utilisation du transport en commun au cours des trois prochains mois, et 59 % entendent faire moins souvent appel à un service de voiturage durant la même période. S’il ne s’agit ici que des trois prochains mois, la portée de ces changements dans les habitudes de transport devrait s’étendre à long terme. Selon un sondage réalisé par Deloitte Canada et HEC Montréal en mai 2020, les Canadiens s’attendent à utiliser davantage une voiture particulière et un vélo lorsque les mesures de confinement seront levées, et moins l’autobus, le métro, le taxi, le train de banlieue, le covoiturage et (étonnamment) la moto comme moyen de transport.

La réticence à emprunter les transports en commun pourrait aussi être une bonne chose : d’après le secrétaire des transports du Royaume-Uni, Grant Shapps, les nouvelles règles de distanciation sociale dans les transports en commun signifient que « la capacité du réseau de transport sera réduite de 90 %. »

L’essor du vélo

Tandis que des millions d’usagers décideront de ne plus emprunter les transports en commun (ou ne seront plus en mesure de le faire), un certain nombre d’entre eux se tourneront vers le vélo. Ils seront nombreux à opter pour une voiture particulière au départ… jusqu’à ce que les routes soient bondées; c’est alors que le vélo pourrait commencer (de nouveau) à s’imposer.

Une infrastructure cyclable réservée est importante : la COVID-19 peut être meurtrière, mais une voiture aussi. Durant la pandémie, nous avons observé une expansion importante du réseau cyclable, l’élargissement des pistes cyclables, la réduction des limites de vitesse pour les voitures et davantage de zones sans voiture en général dans de nombreuses villes d’Amérique du Nord et d’Europe.

vL’évitement des transports en commun et l’amélioration de l’infrastructure cyclable ont entraîné une augmentation des ventes de vélos (certains modèles sont carrément en rupture de stock) à New York et, au Royaume-Uni, le nombre de réparations de vélos est en hausse. En Australie comme en France, les détaillants de vélos en ligne ont vu leurs ventes progresser de 300 %.

Deloitte a souligné la croissance des ventes de vélos électriques dans le cadre de sa prédiction TMT 2020 suivante : Transformation technologique : rendre le vélo plus rapide, facile et sécuritaire. Nous avons constaté que les ventes de vélos électriques dans les boutiques spécialisées aux États-Unis ont augmenté de 73 % en 2018, une croissance qui, à notre avis, devait se poursuivre en 2020.

On serait porté à croire que les ventes de vélos électriques relativement coûteux (ils sont moins chers qu’avant, mais les plus abordables coûtent tout de même au moins 500 $ de plus que le vélo mécanique moyen) connaîtraient un recul à une période marquée par le chômage massif, les baisses de revenu et l’incertitude économique. Au contraire, les ventes de vélos électriques chez les détaillants en ligne américains ont augmenté de 140 % depuis le 15 mars.

Qu’en est-il des vélos en libre-service?
Les moyens de transport collectif diffèrent : côtoyer 100 autres usagers dans un wagon de métro est une chose, prendre place dans un taxi avec un chauffeur et des traces des occupants précédents en est une autre; en revanche, utiliser un vélo en libre-service n’est pas vraiment collectif dans la mesure où les guidons sont nettoyés après chaque utilisation. Des données provenant de la Chine révèlent que les citoyens ont évité davantage les voitures en libre-service : les vélos en libre-service ont connu une hausse allant jusqu’à 150 % à l’échelle nationale. Même si c’est un peu plus risqué que d’utiliser son propre vélo, partager un vélo est bien moins hasardeux que d’être entouré de gens dans un espace réduit. On ne sait pas encore si les Nord-Américains et les Européens auront la même attitude face aux vélos en libre-service, mais étant donné le récent succès commercial des vélos électriques, dont le prix est relativement élevé, il apparaît probable que le libre-service aura davantage la cote auprès des gens qui ne peuvent pas se permettre un tel achat.

Certains de ces vents contraires sont probablement transitoires, tandis que d’autres sont susceptibles de s’enraciner :

  1. Les craintes d’infection vont sans doute s’estomper au fil du temps, à mesure que des vaccins ou des traitements efficaces sont mis au point. Cela dit, des craintes résiduelles semblent probables, ce qui ralentira le retour vers les transports en commun, les taxis et le covoiturage au cours des années à venir. 
  2. Certaines fermetures de routes et certaines pistes cyclables sont temporaires et disparaîtront après la pandémie, tandis que d’autres seront permanentes : lorsqu’une voie cyclable est élargie, elle l’est pour de bon. 
  3. Quelques vieux vélos qui ont été réparés pour assurer les déplacements pendant la période de confinement vont sans doute être laissés à l’abandon. Toutefois, comme les vélos électriques de 1 500 $ US représentent un investissement considérable, il apparaît probable que l’on continuera à les utiliser, même après la pandémie.

Toutes ces conditions étant réunies, notre prédiction antérieure d’une « hausse d’un point de pourcentage dans la proportion de gens qui se rendent au travail à vélo au cours des trois années de 2019 à 2022 » sera sans doute accélérée par la COVID 19 et ses séquelles. Cette proportion pourrait même doubler, se traduisant (littéralement) par des dizaines de milliards de déplacements supplémentaires à vélo chaque année dans le monde, et des dizaines de millions au Canada seulement.

Revenons au secrétaire britannique Grant Shapps, qui a déclaré que, si seulement 5 % de gens commençaient à se rendre au travail à vélo, cela signifierait une baisse de 9 millions de déplacements en voiture, de 8 millions de trajets en train et de 13 millions de trajets en autobus.

Que devrions-nous faire en tant que société? Dans une entrevue en ligne, M. El Geneidy de l’Université McGill a affirmé : « Le Canada et les États-Unis doivent commencer à envisager la bicyclette comme une solution et créer des pistes cyclables, et les gouvernements devraient accorder des subventions pour les vélos électriques comme on le fait dans d’autres pays. »

Jusqu’à maintenant, au Canada, seule la Colombie-Britannique offre une subvention à l’achat d’un vélo électrique, mais celle-ci n’est destinée qu’aux personnes qui renoncent à leur voiture. Selon nos recherches, les subventions pour l’achat d’un vélo électrique sont beaucoup plus répandues dans d’autres pays, soit au niveau national ou municipal : en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Norvège, en Suède, en Suisse, en Inde, en Nouvelle-Zélande, à Singapour et aux États-Unis. Ces subventions peuvent être accordées directement aux consommateurs, par l’intermédiaire des employeurs, par l’intermédiaire des fournisseurs, sous forme d’exemptions fiscales, pour les vélos utilitaires seulement, sous forme de prêts, et ainsi de suite. Paradoxalement, les subventions ne proviennent pas toujours des gouvernements; au moins trois entreprises de services publics ont proposé des subventions pour les aider à atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de CO2.

Les entreprises ont aussi un rôle à jouer dans la mise en place de l’infrastructure. Plus de stationnements pour vélos, des stations de recharge de vélos électriques, des aires de stationnement sécurisées ne nécessitant pas de cadenas sur chaque vélo, de même que des douches, seraient les bienvenus.

Qu’en est-il des vélos en libre-service?

Les moyens de transport collectif diffèrent : côtoyer 100 autres usagers dans un wagon de métro est une chose, prendre place dans un taxi avec un chauffeur et des traces des occupants précédents en est une autre; en revanche, utiliser un vélo en libre-service n’est pas vraiment collectif dans la mesure où les guidons sont nettoyés après chaque utilisation. Des données provenant de la Chine révèlent que les citoyens ont évité davantage les voitures en libre-service : les vélos en libre-service ont connu une hausse allant jusqu’à 150 % à l’échelle nationale. Même si c’est un peu plus risqué que d’utiliser son propre vélo, partager un vélo est bien moins hasardeux que d’être entouré de gens dans un espace réduit. On ne sait pas encore si les Nord-Américains et les Européens auront la même attitude face aux vélos en libre-service, mais étant donné le récent succès commercial des vélos électriques, dont le prix est relativement élevé, il apparaît probable que le libre-service aura davantage la cote auprès des gens qui ne peuvent pas se permettre un tel achat.

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