Communiqué de presse
Conditions-cadres pour l’attrait des talents internationaux : la Suisse est à la traîne
Zurich/Genève, le 12 mars 2020
Les entreprises suisses peuvent-elles attirer les talents internationaux dont elles ont besoin pour une croissance durable ? En comparant des conditions-cadres entre 8 pôles économiques pertinents, la Suisse ferme le classement. Pour cause, les procédures d'autorisation sont fastidieuses, les entreprises redoutent les formalités administratives avec les différentes instances officielles et de nombreux diplômés universitaires étrangers quittent le pays. Parallèlement, les baby-boomers partent à la retraite et la pénurie de spécialistes qualifiés s'aggrave. Afin de préserver l'attrait du site économique, il est donc nécessaire de mettre en place des réglementations plus modernes pour les jeunes talents et d'accorder aux entreprises certifiées un accès privilégié aux autorités. En outre, les réglementations doivent être progressivement harmonisées, et les processus numérisés, dans toute la Suisse.
Bien que la Suisse reste l'un des sites économiques les plus attrayants au monde, elle ne cesse de perdre du terrain. Les clients de la société de conseil Deloitte ainsi que les membres de la Chambre de commerce suisse-américaine (Swiss AmCham) le constatent dans de nombreux domaines. Les plaintes concernant les obstacles qui entravent l'embauche des talents internationaux sont particulièrement fréquentes. Les deux organisations ont uni leurs efforts pour mesurer l'influence de ces personnes sur l'économie suisse et pour comparer les conditions-cadres des principaux pôles économiques pour favoriser l'échange de spécialistes qualifiés. Après discussion avec des experts, ainsi qu'avec des chefs d'entreprise et des politiciens, nous avons élaboré plusieurs propositions d'amélioration.
Seules 4% de toutes les entreprises basées en Suisse sont actives à l'échelle internationale, mais elles créent un quart de tous les emplois, génèrent environ un tiers du produit intérieur brut de la Suisse et paient près de la moitié des impôts sur les sociétés en Suisse. Cette catégorie comprend non seulement les grandes entreprises, mais aussi de nombreuses PME innovantes à vocation exportatrice. Grâce à leur capacité d'innovation, ces entreprises apportent une contribution décisive à la compétitivité et à la prospérité de notre pays. Et elles dépendent dans une large mesure de la mobilité internationale des travailleurs, y compris de ceux hors de l'UE et de l'AELE.
Peu de personnes générant une forte valeur ajoutée
Les talents des pays tiers ne forment actuellement qu'un petit groupe, représentant 3% de la migration annuelle. Toutefois, leur contribution à la valeur ajoutée des entreprises suisses est supérieure à la moyenne. Par exemple, les 3’800 personnes originaires de pays tiers dans des secteurs hautement productifs ont généré en moyenne près de 240’000 francs en 2017, alors que la moyenne suisse se situe autour de 150’000 francs. Ces personnes fondent souvent leur propre entreprise et créent ainsi des emplois.
« Les entreprises suisses connaissent un succès mondial, mais dépendent aussi des meilleurs talents du monde. Les professionnels internationaux très talentueux contribuent de manière décisive à pallier la pénurie croissante de travailleurs qualifiés. Et ils contrent l'influence du vieillissement démographique, favorisent l'échange de connaissances, augmentent les recettes fiscales et des assurances sociales, et stimulent la productivité », explique José-Antonio Ruiz, associé Global Employer Services.
La Suisse en queue de peloton
Une comparaison non-exhaustive de 6 critères sur 8 sites économiques internationaux attrayants a été effectuée par Deloitte Suisse en coopération avec les experts locaux de Deloitte en matière de mobilité des talents. L’étude montre clairement que les procédures d'autorisation, notamment pour les jeunes travailleurs talentueux et pour la mobilité interne des entreprises en Suisse, sont fastidieuses. Toutes les entreprises doivent passer par les mêmes procédures complexes, quelle que soit la fréquence de leurs demandes d'autorisation. Rares sont les cantons où les demandes peuvent être déposées entièrement en ligne, sans parler de la possibilité de suivre leur traitement tout au long de la procédure. Il est particulièrement difficile d'obtenir des autorisations de travail pour des jeunes talents sans grande expérience professionnelle.
« La Suisse ne peut pas concurrencer des pôles tels que l'Irlande, Singapour, l'Allemagne ou le Luxembourg en termes de conditions-cadres pour la mobilité des talents internationaux. Dans notre classement de 8 pays, elle arrive en dernier. Grâce à l'amélioration des conditions-cadres, la compétitivité et la capacité d'innovation de la Suisse pourraient donc accroître efficacement, ce qui augmenterait notre prospérité et créerait des emplois », explique José-Antonio Ruiz.
Martin Naville, PDG de Swiss AmCham ajoute : « Il n'est pas nécessaire de modifier fondamentalement le système d'immigration existant, ni d'abolir les quotas de travailleurs provenant de pays extérieurs à l'UE et à l'AELE. Nous proposons plutôt des ajustements peu invasifs qui améliorent sensiblement la compétitivité de la Suisse, sans effets secondaires, comme le dumping salarial, le stress de la densité ou une plus grande concurrence pour les emplois. »
Améliorations pour les diplômés
Les conditions-cadres pour les jeunes talents et les start-ups doivent être améliorées sur deux points. D'une part, les étudiants originaires de pays hors UE ou AELE, et qui ont obtenu au moins un diplôme de master dans une université suisse, devraient bénéficier d’une autorisation de séjour de 3 ans, et pouvoir accepter un emploi sans être soumis à la priorité nationale. Cette mesure permettrait non seulement de renforcer la place économique, mais aussi d'accroître l'attractivité des universités helvétiques.
D'autre part, les diplômés des programmes de master dans les matières MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technologie) de certaines grandes universités internationales devraient être autorisés à chercher un emploi en Suisse. Pour autant qu'ils puissent prouver qu'ils disposent de moyens financiers suffisants, ils devraient pouvoir obtenir une autorisation de séjour d'une durée maximale de trois ans avant même d’avoir été engagés. Cette solution serait particulièrement utile pour les start-ups. Bien qu'elles soient les moteurs de l'innovation, elles ont davantage de mal à remplir les exigences bureaucratiques complexes en lien avec la mobilité internationale.
Simplifier les programmes de stages internationaux
La mobilité des salariés par-delà les frontières gagne en importance, par exemple grâce à des programmes de stages internationaux, des formations internes aux entreprises, des voyages d'affaires en Suisse ou l'accueil temporaire de collaborateurs sur place. Afin de faciliter la mobilité intra-entreprise, il est proposé de créer un système de certification pour certaines entreprises, ce qui leur permettrait d'obtenir plus facilement et plus rapidement des autorisations ou, tout au plus, de ne plus en avoir besoin. Ces entreprises devraient être en mesure de prouver qu'elles respectent toutes les règles et seraient lourdement pénalisées en cas d'infraction.
Les autorités doivent vouloir la numérisation
Les autorités cantonales et fédérales doivent poursuivre la numérisation à grande échelle et l'harmonisation progressive des procédures d'autorisation dans toute la Suisse sans porter atteinte à l'autonomie cantonale, ni à la liberté de décision. Cela permettrait de mesurer des indicateurs de performance, tels que le temps de traitement, et d'accroître la transparence des procédures. La création d'une interface client pour la communication directe entre les entreprises et les autorités cantonales serait particulièrement visible.
« Nos discussions avec les entreprises et les autorités ont montré que la nécessité d'une plus grande numérisation est largement reconnue. Cet objectif peut être atteint sans décision politique. Je voudrais donc appeler toutes les parties concernées à faire avancer la numérisation pour l'enregistrement des travailleurs étrangers, par exemple via le portail d'entreprise existant EasyGov », déclare Martin Naville.
Pas de renonciation aux quotas
La nouvelle réglementation a entraîné une augmentation modérée des quotas annuels de ressortissants de pays tiers d'environ 1'500, dont une moitié serait constituée d'autorisations de séjour de longue durée, et l'autre moitié de séjours de courte durée. Ce chiffre représente environ 1% de toutes les personnes qui viennent chaque année en Suisse pour s’y installer.
« Les ajustements proposés ne constituent pas une renonciation au système de quotas, qui a fait ses preuves. Ils ne changent pas non plus le fait que nous ne devons pas mettre en péril le système éprouvé des accords bilatéraux et que nous devons continuer à œuvrer pour un accord-cadre avec l'UE. Les mesures ponctuelles visant à améliorer la mobilité des travailleurs talentueux sont très importantes pour la place économique suisse. Nous parlons de personnes qui, par leurs activités, stimulent l'innovation, enrichissent la vie sociale et, au final, créent de nouveaux emplois », explique José-Antonio Ruiz.
Exemples tirés des pratiques actuelles pour illustrer les champs d'action concrets :
- Diplômés d'universités suisses hors UE/AELE : après avoir terminé ses études doctorales à l'EPFZ de Zurich en mathématiques appliquées, une femme argentine reçoit une offre intéressante d'une start-up de Suisse orientale. Cependant, la complexité, les coûts et l'imprévisibilité de la procédure d'autorisation sont dissuasives, de sorte qu'elle retire son offre. La jeune femme accepte ensuite une offre d'emploi à Londres et quitte la Suisse après sa formation.
- Diplômés des meilleures universités étrangères hors UE/AELE dans les domaines MINT : un indien, diplômé d’Oxford en informatique, travaille temporairement en Suisse et reçoit une offre d'un autre employeur avec un contrat à durée indéterminée. L'employeur hésite à cause de la complexité de la procédure d'autorisation, notamment en raison des perspectives de réussite incertaines. Alors que l'employeur réfléchit encore s'il souhaite investir des ressources, l'homme reçoit une offre d'emploi des États-Unis et quitte la Suisse.
- Voyages d'affaires : les employés d'une entreprise internationale basée à Bâle viennent régulièrement en Suisse depuis l'étranger, généralement pendant moins de 20 jours par employé et par an. Aujourd'hui, l'entreprise demande des autorisations de 120 jours pour les voyageurs d'affaires par précaution. Cela entraîne des dépenses supplémentaires considérables pour l'entreprise et les autorités.
- Stage pour les talents : une grande entreprise suisse souhaite ouvrir un centre de formation pour la relève internationale à son siège social de Bienne. La procédure d'autorisation suisse pour la relève s'avère trop fastidieuse. L'entreprise ouvre donc le centre de formation en Irlande.
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