Etude
L'entreprise en difficulté en France en 2021
Un pass défaillances à l'épreuve de la crise sanitaire
Des symptômes masqués par les statistiques générales ?
Un niveau de défaillances et d’emplois menacés historiquement bas porté par le rebond de l’activité économique…
Après une année 2020 hors du commun affectée par le début de la pandémie mondiale du Covid-19 et un recul du PIB de -7,9 %, l’année 2021, bien que s’inscrivant dans la continuité sanitaire du millésime précédent, a été marquée par une certaine résilience économique, qui s’est traduite par une croissance du PIB de 7 %.
Ce soubresaut global de l’économie, d’un acabit jamais vu depuis plus d’un demi-siècle, n’a néanmoins pas impacté la tendance baissière du nombre de défaillances d’entreprises initiée depuis 2016, et accentuée sur l’année 2020. Avec 28 371 défaillances, soit 3 813 de moins qu’en 2020 (-12 %), ainsi qu’un recul des emplois menacés (-28 %) passant sous le seuil symbolique des 100 000 emplois menacés (94 188), l’année 2021 rentre à son tour dans l’histoire.
Nous constatons une relative homogénéité de la chute des défaillances sur l’ensemble du territoire national, sur l’ensemble des secteurs et pour la quasi-totalité des tailles d’entreprises. Les quatre principaux secteurs concernés par les défaillances sont quant à eux la construction (26 %), le commerce (21 %), les services aux entreprises (15 %) ainsi que l’hébergement, la restauration, et les activités de débits de boissons (10 %), en ligne avec le classement de 2020.
… Amplifié par le maintien des mesures massives d’aides déployées du fait de la crise sanitaire et restant ainsi conforme aux tendances initiées les années précédentes.
La forte baisse des défaillances au global s’explique par des facteurs techniques : (i) la mise en place d’aides publiques massives, notamment les Prêts Garantis par l’État (143 mds€ à fin 2021), le fonds de solidarité (35 mds€), l’activité partielle (35 mds€ demandés) et le report de charges, ayant permis de renforcer la trésorerie des entreprises ; (ii) conciliations avec gel des poursuites individuelles ; (iii) ainsi que l’attitude des créanciers publics (administration fiscale et URSSAF) qui ont cessé d’assigner leurs débiteurs en procédure collective pour impayés.
Les procédures amiables compensent en partie le recours au traitement judiciaire des difficultés
Avec 5 110 procédures amiables ouvertes en 2021, le traitement préventif des difficultés enregistre une croissance de 48 %. On aurait pu penser que la procédure de conciliation, avec l’ordonnance n°2020-596 datée de mai 2020 et plus particulièrement l’article 2, contenant un ensemble de dispositions renforçant son efficacité et permettant notamment de suspendre l’exigibilité de créances antérieures à l’ouverture de ladite procédure, aurait favorisé un recours systématique à la conciliation. Toutefois, les chiffres du CNAJMJ indiquent une explosion des ouvertures de mandats ad hoc (+59 %) alliée toutefois à une croissance significative des procédures de conciliation (+29 %).
Nous constatons par ailleurs que l’augmentation du recours au traitement préventif concerne essentiellement les TPE/PME ; éléments marquants eu égard au fait qu’historiquement les dispositifs amiables concernaient davantage les entreprises de tailles plus significatives ayant les moyens de s’informer facilement, voire de se faire accompagner.
La collecte des informations relatives au nombre d’emplois concernés par les procédures amiables reste toujours délicate à obtenir du fait de la confidentialité de ces procédures et de l’absence sur le plan national d’homogénéisation du traitement de ces données.
Cette année, nous avons simplement été en mesure d’estimer le nombre d’emplois concernés à environ 83 000 soit une baisse de -60 % par rapport à l’année 2020, illustrant ainsi la tendance du recours à l’amiable par les entreprises de plus petites tailles. Si en 2020, l’effectif moyen par procédure amiable était de 59,5 salariés, en 2021, celui-ci ressort à 16,3 salariés.
Nous observons ici un retour plus en ligne avec l’année 2019 avec un effectif moyen de 18 salariés par procédure.
Etat des lieux sur le dispositif du Prêt Garanti par l'Etat (PGE)
Le fer de lance du « quoi qu’il en coûte »
Mis en place le 23 mars 2020 par l’État pour répondre aux besoins urgents de liquidité des entreprises, le dispositif « Prêt Garanti par l’État » a été le fer de lance du « quoi qu’il en coûte » et a permis d’éviter un effondrement de l’économie du fait de la crise sanitaire. A fin décembre 2021, ce sont près de 143 milliards d’euros de PGE qui ont été octroyés, ou 147 milliards d’euros si l’on se positionne à fin janvier 2022.
Environ 784 000 PGE ont été octroyés à fin janvier 2022 pour quelques 671 000 entreprises
Nous constatons que plus des trois quarts du volume ont été octroyés entre mars et juin 2020 ; l’année 2021 représentant seulement 10 % environ du volume total octroyé, essentiellement des primo-PGE, du fait notamment d’un durcissement des conditions d'octroi de de prêt.
Par ailleurs, 50 % des PGE octroyés ressortent à des montants inférieurs à 45 k€, soulignant le recours prépondérant à ce dispositif par des TPE/artisans dont le chiffre d’affaires est inférieur à 200 k€.
Enfin, la répartition des souscriptions PGE à fin janvier 2022 se décompose comme suit par taille d’entreprises :
- 20 milliards d’euros ont été octroyés à des grandes entreprises. Notons que trois grandes entreprises (Renault, Air France et CMA CGM ont représenté la moitié de l’encours octroyé aux grandes entreprises) ;
- 17 milliards d’euros ont été octroyés à des ETI ;
- 67 milliards d’euros ont été octroyés à des PME (hors TPE et artisans) ; et
- 42 milliards d’euros ont été octroyés à des TPE et artisans.
Le choix des options de remboursement des PGE
Le maintien de la crise sanitaire durant 2021 a amené l’État à proposer un différé d’amortissement d’un an supplémentaire à la période de franchise initiale d’un an.
Au 31 janvier 2022, 51 mds€ des PGE contractés ont profité de la période de franchise initiale en y ajoutant une année de différé supplémentaire sur une période de 4 ans d’amortissement. 14 %, soit 20 mds€ des PGE contractés ont profité de l’année de franchise supplémentaire et d’un amortissement étalé sur 5 ans. Par conséquent, 71 mds€, soit 48 % des PGE contractés au 31 janvier 2022 seront remboursés sur la période la plus longue, c’est-à-dire pas avant 2026. Les 52 % restants, soit 76 mds€ environ devront rembourser l’encours sur les cinq prochaines années au maximum, hors restructuration permise par les textes.
Aussi, sur les 147 mds€ octroyés, 27 mds€ (18 %) ont été remboursés à fin janvier 2022. Le capital restant dû des PGE levés est ainsi de l’ordre de 120 mds€. Sur les 27 mds€ de PGE remboursés, 15 mds€ ont permis de solder des PGE souscrits et 12 mds€ ont été alloués au paiement du premier amortissement. Les ETI suivies des PME ont commencé à rembourser leurs encours de façon plus rapide que les TPE/artisans et les grandes entreprises. Selon les tailles d’entreprises, nous constatons que :
- 6 % de l’encours accordé aux grandes entreprises, soit 1,2 mds€, a été remboursé sur un total de 20 milliards octroyés ;
- 29 % de l’encours accordé aux ETI, soit 4,9 mds€, a été remboursé sur un total de 17 milliards octroyés ;
- 21 % de l’encours accordé au PME (hors TPE / artisans), soit 14 mds€, a été remboursé sur un total de 67 milliards octroyés ; et
- 16 % de l’encours accordé au TPE/artisans, soit 6,7 mds€, a été remboursé sur un total de 43 milliards octroyés.
Au-delà de ce différé supplémentaire proposé, ces encours peuvent, si nécessaire, être amiablement restructurés plus en profondeur, soit sous la supervision de la médiation du crédit pour les PGE de moins de 50 k€, soit dans le cadre de procédures amiables, le cas échéant sous la supervision du CIRI pour les PGE plus importants.
L’année 2021, une année marquée par les évolutions
du droit des entreprises en difficulté
Entrée en vigueur le 1er octobre 2021, l’ordonnance du 15 septembre 2021 transpose la directive européenne « Restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019. Le cadre des pratiques des restructurations, tant pour les procédures amiables que collectives, s'harmonise au sein de l’Union Européenne.
Après deux années de régime exceptionnel et à l’aube des premières annuités de remboursement des PGE, la transposition de la directive européenne redéfinit la conduite des opérations de restructuration financière en initiant notamment un rééquilibrage du rapport de force en faveur des créanciers.
Alors, que les professionnels, spécialistes et praticiens se forment et appréhendent de nouvelles stratégies de négociations, les nouveaux outils se confrontent à la réalité opérationnelle.
La création du concept de classes de parties affectées (« CPA ») et de valorisation d’entreprises en difficulté durant la procédure judiciaire, la réforme du droit des suretés, les évolutions du rapport de force des parties prenantes aux restructurations pour les entreprises de grandes tailles ou encore l’introduction de nouvelles procédures comme la Procédure de Traitement de Sortie de Crise (« PTSC ») pour les petites entreprises, sont tout autant de défis et de notions à appréhender par les praticiens du restructuring. Les entreprises éligibles à cette réforme en fonction des seuils, hors dérogation par requête, devraient concerner une centaine de sociétés, selon nos analyses basées sur les critères de chiffre d’affaires et d’effectifs retenus sur l’année 2019 (année normative en termes de défaillance).
Quelles perspectives en 2022 ?
C’est une année qui démarre avec une incertitude exacerbée sur le plan international et national du fait de la combinaison de la crise sanitaire subsistante et du conflit russo-ukrainien, renforçant les tensions liées à l’approvisionnement énergétique et en matières premières. Ces impacts sont déjà pris en compte dans le cadre des scénarios prospectifs conventionnels et dégradés établis tant par la Banque de France que de l’INSEE, se traduisant par un ajustement à la baisse de la croissance couplé à une poussée inflationniste.
En France, l’État a réagi en mettant en œuvre un nouveau dispositif « amortisseur » au travers un plan de résilience annoncé en mars 2022 destiné à accompagner les entreprises. La ligne de crête est étroite entre le financement des besoins nouveaux des entreprises dus au contexte récent et les enjeux de remboursement des PGE déjà octroyés.
On peut s’interroger sur la capacité contributive que l’entreprise doit générer afin de financer le remboursement de son PGE car il s’agit d’un véritable enjeu. En théorie, seules les entreprises dégageant près de 19 % d’EBITDA seraient en mesure de rembourser leur PGE (tout en assurant le financement de leur Capex et de leur BFR) en considérant que :
- l ’amortissement constant sur quatre ans du capital d’un emprunt qui représente 25 % du chiffre d’affaires est égal à 6,25 % du chiffre d’affaires, hors prise en compte des intérêts financiers,
- une entreprise devrait allouer en bonne gestion un tiers de son EBITDA pour le remboursement de son emprunt tout en assurant avec les deux tiers restant le financement de ses Capex et de son BFR.
Certains praticiens ainsi que les autorités publiques spécialisées, interrogés avant la crise russo-ukrainienne, semblent s’accorder sur le fait qu’il n’y aura pas de vague massive de défaillances en 2022. Il y aura néanmoins selon ces derniers, très probablement un retour à un niveau normatif de défaillances, sans effet de rattrapage.
Le stock d'entreprises accumulé, enclin à des entrées en procédure collective sera sûrement lissé et un traitement vraisemblablement personnalisé sera apporté, pour permettre un retour progressif à une situation normale en évitant l’effet rattrapage.
Ainsi la tendance baissière des défaillances, observée depuis 2016 et accentuée depuis le début de la crise sanitaire en 2020 devrait s’inverser.
Si le retour a minima à un niveau de défaillances normatif ne fait pas débat sur le second semestre 2022 en retenant l’hypothèse d’un arrêt progressif des aides publiques, nous considérons que le niveau d’incertitudes croissant sur les marchés français et internationaux pour les entreprises favorisera une augmentation des défaillances en France par rapport à 2019.
L’entreprise en difficulté en France en 2021
Un pass défaillances à l'épreuve de la crise sanitaire
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