Point de vue

Plan de retournement : la transformation à l’épreuve des crises

La crise sanitaire et économique dans laquelle est entrée l’économie mondiale avec la pandémie de la Covid-19 change le profil des sociétés en difficulté. Auparavant généralement attribuable à des facteurs internes (sous investissements, absence d’anticipation, blocage social, etc.), les difficultés financières touchent dorénavant de plein fouet de nombreux secteurs autrefois performants qui vont devoir y faire face dans les années à venir.

Dans ce contexte de difficultés financières, l’approche traditionnelle des « Plans de Transformation », appellation sans doute galvaudée au cours des dernières décennies, ne saurait être suffisante ni adaptée. En effet, de trop nombreuses différences de contexte sont à prendre en compte et changent donc les règles du jeu pour les dirigeants et actionnaires. Il convient donc de s’orienter vers des solutions plus adaptées, combinant les exigences stratégiques, sociales et financières.

Les points-clés d’un plan de retournement réussi sont (i) la rapidité d’un diagnostic factuel et objectif, (ii) l’opérabilité des mesures correctives à enclencher et (iii) la rigueur dans l’exécution, Claudio Molinaro, Associé M&A Opérations 

Plan de transformation vs. Plan de retournement : des différences essentielles

  • La volonté. 
    Bien qu’influencé par des facteurs externes (marchés, actionnariat, etc.) le plan de transformation traduit la volonté du management en place de changer l’entreprise : c’est donc un exercice volontaire et positif. Lors de difficultés financières, la nécessité de changement s’impose à l’entreprise et en fait donc un exercice subit.
  • Le temps. 
    Alors que dans un plan de transformation le calendrier est à la main des dirigeants, en cas de difficulté financières, ce dernier est imposé par des tiers et bien souvent dicté par les possibilités financières de l’entreprise.
  • Les compétences. 
    A la différence des sociétés performantes, les sociétés en difficultés font généralement face à une raréfaction des compétences et de la motivation au gré des précédentes mesures d’économies mais également du fait d’un manque d’attractivité des talents.
  • La qualité des données et analyses. 
    En contexte de crise ou de difficulté, l’entreprise et son management intermédiaire sont totalement concentrés sur la gestion du quotidien (livraison dans les délais, maintien de la qualité, encaissement des factures, etc.) et ne disposent pas du temps ou des ressources pour la gestion de données de qualités (reporting, KPI, analyse). Dès lors, le dirigeant devra appuyer ses décisions sur des analyses moins fines et précises.
  • La confiance. 
    Les situations spéciales et crises ont pour conséquence la génération de tensions entre les parties prenantes (employés, actionnaires, investisseurs, clients et fournisseurs) et bien souvent né un sentiment de défiance. La restauration de la confiance est un des pans essentiels d’un plan de retournement, à l’inverse des plans de transformation s’inscrivant dans une plus grande continuité.
  • Les moyens. 
    Enfin, le déclencheur des situations dîtes de retournement est généralement un manque de moyens financiers, ou l’impossibilité pour l’entreprise de faire face à ses obligations. Dès lors, la gestion de la trésorerie et sa prise en compte dans l’élaboration d’un plan de retournement est ainsi clé. En effet, il conviendra d’identifier et d’aligner dans le temps des nouvelles sources de financement et les besoins liés au plan.



L’ensemble des spécificités mentionnées font donc de l’exercice de retournement un exercice à part et à l’aspect pluridisciplinaire plus renforcé qu’un plan de transformation. Par ailleurs, la profondeur des changements à apporter à l’organisation est généralement difficile à saisir et accepter par le seul management en place. Ainsi, l’adjonction d’experts, indépendants et rompus aux situations de crise apparaît comme essentielle afin d’adopter une approche rapide et à la hauteur des enjeux du retournement.

Plan de retournement : une approche structurée et pragmatique
tournée vers l’action




Rapidement établir un diagnostic

Cette première phase se veut rapide, et vise à l’élaboration d’un diagnostic « 360° » de l’entreprise : pertinence sur ses marchés, performance opérationnelle, santé financière, etc... Le diagnostic doit être lucide et poser clairement les constats, afin d’établir une base de discussion commune.





Maîtriser les aspects et techniques financières

La mise sous contrôle de la trésorerie et la fiabilisation des prévisions à court et moyen terme est primordiale en situation de crise, afin de restaurer la visibilité. Par ailleurs, la mise en place d’actions spécifiques peut permettre de rapidement libérer des marges de manœuvre via des approches financières (sale & lease-back, affacturage, fiducie, etc.), opérationnelles (revue de capex, optimisation du BFR) ou exceptionnelles (cession d’activités ou d’actifs non stratégiques).





Faire preuve de créativité

L’élaboration d’un retournement doit permettre la remise en cause du statu quo : il conviendra d’explorer des options réellement disruptives ou innovantes, afin de ne pas se cantonner à un exercice de réduction des coûts. Ainsi, la refonte des business model, la diversification, l’externalisation, l’abandon d’activités ou la reconversion sont autant de sujets qui doivent pouvoir être exploré et évalué.





Rechercher l’équilibre

Les plans de retournement se traduisent bien souvent par d’importants efforts à consentir par certaines parties prenantes (employés, actionnaires, investisseurs, fournisseurs). L’écoute des différentes parties prenantes et la recherche d’un équilibre est essentielle : il ne s’agit pas simplement d’assurer la survie de la société à court terme, mais de lui permettre de se développer à long terme et donc d’investir dans l’outil productif. Trouver une solution acceptable et durable est donc un processus itératif, de communication et de persuasion.





Faire preuve de pragmatisme

En contexte de crise, l’approche pragmatique est à privilégier afin d’éviter une recherche de la perfection s’avérant généralement chronophage. Ainsi, l’on cherchera essentiellement à traiter les 20% des problèmes causant 80% de la sous-performance. Le reste pouvant être adressé une fois la situation stabilisée.





Communiquer et mettre en œuvre

Enfin, il convient de mettre en œuvre une communication claire, transparente afin de « Dire ce que l’on fait, et faire ce que l’on dit ». Trop souvent limitée ou infantilisante, la communication est pourtant un élément clé du succès à long terme du plan de retournement : il convient de restaurer puis maintenir dans l’organisation une confiance en l’avenir mise à mal par l’anxiété causée par la crise.


En synthèse, trop souvent cantonné à son volet financier, le plan de retournement est un exercice extrêmement complet pour l’entreprise et qui doit allier les aspects financiers aux aspects humains, sociaux, stratégiques, opérationnels et technologique. La coordination de l’ensemble de ses compétences doit se faire dans un temps court, et être tournée vers l’action afin d’apporter des résultats rapides et tangibles, tout en préparant un futur durable.