Brexit

Etude de cas

Brexit : quels enjeux pour les entreprises ? 

L'analyse de Jean-Paul Betbèze, Economic Advisor

Brexit : un « risque extrême », qui n’est pas le dernier

Nous entrons dans une phase non seulement d‘incertitude, mais plus encore  de risques extrêmes, sans céder au catastrophisme. Il ne s’agit pas seulement de s’interroger sur la croissance française passant (par exemple) de 1,5 à 1,6 %, mais sur la possibilité de vraies cassures dans l’économie mondiale.

Le Brexit, c’est moins de croissance mondiale, car c’est plus de risques extrêmes. L’entreprise doit les recenser. En effet, comme la croissance mondiale ralentit, plus d’inquiétudes naissent dans de grandes économies (Brexit, Trump, élections en zone euro, Brésil, Chine…). Les deux phénomènes sont liés. Les risques extrêmes montent quand la croissance faiblit, sachant que les amortisseurs (monétaires et budgétaires) sont déjà très sollicités. Ces risques, il faut, dans l’entreprise, les lister et voir dans quelle mesure on peut en être directement atteint. Connaître les risques extrêmes n’est pas succomber à un sentiment morbide. Cela ne les supprime pas non plus, bien sûr. Mais ne pas les connaître et ne pas les suivre y expose plus.

Brexit : les conséquences automatiques

Un coup de canif a été donné à la livre sterling. Son statut de monnaie mondiale va être affaibli, tant il est vrai qu’une monnaie mondiale suppose une économie puissante et forte. La part de marché de la livre va passer à 7 % (et au-dessous) contre 27 % pour l’euro et 45 % pour le dollar (mesures d’août 2015). Elle va perdre en tant que monnaie de règlement et plus encore de facturation, le stigmate du Brexit va peser.

Les marchés financiers : la recherche de valeurs refuges. Face à l’incertitude, la réaction immédiate des marchés porte sur les changes (baisse de la livre et montée du dollar notamment, mais aussi du yen), les taux longs (baisse des rendements des bons des trésors américains, allemands, français et même anglais - en quête de refuges), plus l’or et l’argent. En même temps, les bourses baissent (incertitudes sur la croissance…), notamment les valeurs anglaises et bancaires (moindre croissance, interrogations sur Londres, questions sur les banques anglaises et sur les banques européennes ayant un réseau au RU). A court terme, les banques centrales vont assurer partout la liquidité pour éviter un risque systémique, qui serait mondial.

Brexit : comment analyser les effets ?

Les limites des visions macroéconomiques. Les analyses selon lesquelles l’effet du Brexit serait négatif, mais modeste sur la croissance de l’Union Européenne (et en particulier de la France) doivent être prises avec précaution. D’abord, il faut mesurer l’ensemble des effets qui se mettent en place, en commençant par l’inquiétude devant les embauches et les investissements, puis les effets de l’incertitude qui vont demeurer, aussi longtemps que cette dévaluation particulière n’est pas « traitée ».

Le Brexit est une action offensive qui entend augmenter la croissance du RU au détriment des autres et qui va donc impliquer des réactions de leur part. Les calculs macroéconomiques à 1 an ou 2 ans ne peuvent pas mesurer ce qui aura lieu aux niveaux des branches (notamment en banque et finance), des grands projets et moins encore des entreprises.

Plus grave, ces travaux macroéconomiques ne prennent pas en compte les réactions de l’UE, de la BCE et des entreprises face au Brexit. Par exemple, il ne s’agit pas de dire que les taux d’intérêt baisseront, mais de voir comment vont évoluer les places financières de Francfort et de Paris par rapport à la City. De la même manière, il va falloir voir comment évoluent les règles sociales et environnementales. En un mot, la macroéconomie ne dit pas tout, loin s’en faut.

Réactions politiques : les coupe-circuits ne doivent pas tromper. David Cameron a dit qu’il fallait attendre le nouveau Premier Ministre britannique pour déclencher les négociations de départ et les autorités européennes ont exclu toute négociation auparavant. Ceci a calmé les marchés par rapport à la livre mais a accru l’inquiétude sur la croissance et l’inflation en faisant baisser partout et même au RU les taux longs. Bientôt, on trouvera le délai trop long !

Analyse du Brexit : une « dévaluation structurelle »

Je propose cette expression, dans la mesure où l’on connaît les dévaluations monétaires, salariales (un pays freine l’évolution de ses salaires ou voire les baisse – comme l’Espagne ou le Portugal) et fiscales (un pays diminue par exemple l’impôt sur ses sociétés et augmente la TVA, TVA sociale).

Le Brexit comme « dévaluation structurelle » signifie que le RU veut réduire ses coûts de production sur longue période, non pas (seulement) par la dévaluation de la livre, mais surtout par la réduction du coût de ses normes (sociales et environnementales), administratives (simplifications diverses), plus la question de la mobilité du travail (travailleurs détachés et migrants), plus la fiscalité.

Le Brexit est évidemment un comportement non coopératif. Cette stratégie de « dévaluation structurelle » entre en conflit évident avec la  demande d’entrée dans le marché unique, et devrait être combattue par ses membres. Comment ?

Entreprises : premières réactions

Monter une task force : installer une équipe pour analyser et suivre les effets Brexit, les suivre et proposer les premières mesures. Dans ce contexte où le premier choc de la crise financière a été endigué, mais où se poursuivent les effets d’une dévaluation structurelle, il ne faut surtout pas attendre pour mener les analyses (comptables et financières, sociales, fiscales, concurrentielles…), pour se préparer à agir et commencer à le faire.

L’effet Brexit va se prolonger et se retrouver dans l’essentiel des évolutions économiques et financières mondiales.

L’effet Brexit est complexe. Il il faut refuser les simplifications et comprendre qu’il faudra des mois pour résoudre, au mieux, les nouveaux problèmes posés par le Brexit. Il faut se préparer à des tensions, donc à plus de volatilité.

Cadrage moyen : il s’agit de faire son examen de risques., mais il ne sert à rien, à ce stade, d’entrer dans des scénarios catastrophes. Mieux vaut prendre un scénario moyen, avec une croissance plus faible à moyen terme partout dans le monde, notamment au Royaume-Uni, mais aussi en Europe. Mieux vaut intégrer l’idée que l’inflation restera basse longtemps, que les politiques monétaires vont amortir le choc autant que possible.

Méthodique : chacun doit intégrer ce nouveau paysage à sa situation. La Fed ne va pas monter ses taux avant plusieurs mois, comme la BCE. En cas de nécessité, la Banque d’Angleterre, voire la Banque du Japon, pourraient baisser les leurs. Les investisseurs vont chercher des refuges : dollars, bons du trésor allemand, or, francs suisses... Il s’agit de recenser ces points de crise et de voir, pour l’entreprise, ce que ceci implique.

Du sur mesure aussi complet que possible. L’entreprise qui vend du vin de Bordeaux va s’inquiéter du fait que la livre sterling baisse, mais le dollar va monter. Que va-t-il se passer dans ses divers marchés, ainsi plus ou moins exposés ? Chaque entreprise a ses effets Brexit : elle doit les analyser. C’est cette analyse qui fera la différence, pas des cadrages globaux qui n’aident pas assez.

Une task force complète :

  • Marchés : se préparer pour parler aux différents marchés de l’entreprise. Dès que la connaissance des risques sera affinée et les choix faits pour les réduire, avancer, et éventuellement profiter de la situation, il faudra parler en interne d’abord, puis aux banquiers et aux marchés. Gagneront ceux qui seront les plus clairs, autrement dit ceux qui auront fait au mieux leur travail interne.
  • Juridique : pendant des mois le débat va être juridique et porter sur l’évolution des accords antérieurs, des contrats, comme sur les structures des sociétés. Il s’agit ici de faire une vérification systématique et de voir les effets potentiels du choc actuel.
  • Marketing Clients : mesures d’impact. Il faudra étudier les impacts possibles pour adapter les politiques financières et commerciales.
  • Talents : expliquer pour garder et attirer. Les salariés vont s’interroger sur les choix de l’entreprise et ses risques, notamment dans les domaines de la banque, de l’assurance et de la finance. Plus tôt les messages auront été envoyés en interne, mieux cela vaudra.

Entreprises : une méthode, pour gagner

Etre organisé : tout est en jeu, tout doit être étudié et « classé ». Il s’agit des débouchés, des prix des matières premières, de l’évolution des taux et des changes, des situations des clients, fournisseurs, concurrents... Quels effets ? Comment se protéger ? De manière générale les entreprises en zone euro facturent en euros, c’est ce qu’il y a de mieux, à défaut en dollars. Comment, ensuite, en profiter pour avancer.

Dans une période aussi politique, il faut faire sa place au contrôle, qui est la base de la gestion de crise et de la stratégie. Ce n’est pas parce que la politique est à ce point présente que la gestion doit disparaître : au contraire. Elle doit être beaucoup plus rigoureuse, pour réussir, car c’est maintenant que des différences peuvent se faire. Et, au fond, plus facilement.

Le Brexit est un choc majeur, il ne sera pas le dernier. Il faut donc tout mettre en œuvre pour l’analyser, le gérer et ainsi se renforcer. 

 

Par Jean-Paul Betbeze, Economic Advisor, Fondateur de Betbeze Conseil SAS.