Point de vue

Enjeux des dispositifs d’octroi de crédit dans le contexte de la crise sanitaire Covid19

Dans un contexte de crise sanitaire, l’octroi de crédit est un enjeu clé pour les banques qui doivent continuer à financer l'économie tout en maîtrisant leur risque et leur rentabilité à moyen terme.

Co-rédigé avec Franck Affali, Senior manager Credit Risk advisory

Afin de comprendre comment les priorités et les enjeux sont impactés, comment les tendances évoluent et comment les établissements s’organisent pour répondre aux évolutions réglementaires en cours, les équipes Credit Risk ont mené une étude entre février et avril 2021 auprès des acteurs du crédit français.

Cette étude a abordé de nombreux sujets dont les enjeux du dispositif d’octroi à court terme, les sources de données et les composantes des scores d’octroi, les composantes de la tarification, etc.

A un mois de l’entrée en vigueur de la Directive EBA sur l’octroi et le suivi des prêts, l’étude permet également de faire le point sur le niveau de maturité et les enjeux des établissements dans la mise en conformité au texte.

Quelques rappels sur la Directive de l’EBA sur l’octroi et le suivi des prêts

L’EBA a publié le 29 mai 2020 ses lignes directrices sur l’octroi et le suivi des prêts « Guidelines on Loan Origination and Monitoring » (GLOM). La GLOM a pour objectif de préciser les dispositifs, processus et mécanismes de gouvernance interne, les exigences en matière de gestion du risque de crédit, ainsi que les exigences relatives à l’évaluation de la solvabilité des emprunteurs.

Cinq thématiques sont abordés dans ce texte qui couvre l’octroi et le suivi des prêts performants :
 

Pour faire face aux circonstances exceptionnelles liées à la crise Covid et laisser le temps aux institutions de faire face aux priorités opérationnelles immédiates, l’EBA a proposé une mise en œuvre des lignes directrices en trois phases :

Ce texte vient compléter le dispositif mis progressivement en place par le régulateur pour s’assurer que les activités de crédit restent rentables. En effet, ce sujet de la rentabilité des activités de crédit ressort en tête des points d’attention de l’EBA depuis quelques années.

Dans ce cadre, le régulateur porte une attention particulière sur les conditions d’octroi, ce qui comprend à la fois les modalités de prise en compte du risque, et la cohérence de la tarification, sur base individuelle avec ce risque. Cet enjeu, est également adressé dans le cadre des exercices de monitoring de l’implémentation de l’IFRS 9, dans lesquels la PD à terme à l’octroi sert de référence de base pour la détermination du niveau de détérioration de crédit et donc du staging IFRS 9.

La directive NPL, les textes sur le provisionnement des créances douteuses et les différents addendum sur le sujet, visaient d’une part à renforcer le dispositif de gestion de ces créances et d’autre part à susciter un allégement des bilans des banques en encours non performants.

Les « Guidelines on Loan Origination and Monitoring » (GLOM) ont, quant à elles, été élaborées pour garantir que les établissements disposent de normes prudentielles en matière de montage et de suivi des prêts, afin d'éviter que les nouveaux prêts ne deviennent non-performants à l'avenir.

Où en sont les établissements dans la mise en conformité avec la GLOM ?

Niveau de maturité des établissements français

La plupart des établissements interrogés dans l’étude sur les dispositifs d’octroi indiquent avoir réalisé des analyses d’écart entre leur dispositif d’octroi et les exigences de la GLOM. La grande majorité estime couvrir la quasi-totalité des exigences de la directive à l’exception des sujets tarification et prise en compte des facteurs ESG et des risques climatiques dans le dispositif d’octroi et de suivi des prêts.

A ce stade, très peu de projets spécifiques ont été lancés pour une mise en conformité ou un comblement des écarts face à la GLOM à l’exception d’une grande banque française.

Principaux enjeux liés à la mise en conformité avec la GLOM

Le graphique ci-dessous, extrait de l’étude réalisée auprès des établissements de crédit sur leur dispositif d’octroi, présente la part des enjeux jugés « importants » ou « très importants » dans la mise en œuvre de la GLOM.

Le sujet de l’industrialisation ressort comme un sujet majeur. En effet, la moitié des répondants considèrent l’industrialisation et les projets IT comme un enjeu « important » ou « très important » dans la mise en conformité avec les guidelines de l’EBA sur la Loan Origination.

Ce sujet était par ailleurs ressorti lors de la phase de consultation sur la GLOM comme l’une des principales pierres d’achoppement de la mise en conformité avec la GLOM (IT investment and training, IT, data infrastructure and organisational procedure).

D’autre part, la « modélisation du risque » et la « maturité du dispositif de tarification » sont respectivement considérées importantes ou très importantes par près de la moitié (47%) des établissements répondants.

Enfin les aspects liés à la « gouvernance, aux politiques et procédures » sont jugés moins prioritaires par la majeure partie des répondants. Seuls 26% d’entre eux jugent ces sujets « importants » ou « très importants ».

Zoom sur la tarification

Les résultats de l’étude montrent que les deux principales composantes des grilles tarifaires sont la probabilité de défaut du client (42%) et le score d’octroi (42%). La probabilité de défaut client généralement prise en compte est la PD bâloise à 1 an. Certains établissements ont également recours aux RWA pour analyser la rentabilité de l’opération en intégrant la charge en fonds propres induite.

Cette analyse des composantes de la tarification fait ressortir un gap important entre les pratiques des établissements et les attentes du régulateur et plus spécifiquement les exigences de la GLOM. En effet, les différentes composantes attendues par le texte ne ressortent pas (coût du capital, coût du financement, frais de fonctionnement, coût associé aux risques en utilisant notamment les modèles de perte attendue, etc.). A noter que seuls 11% des répondants affirment tenir compte des modèles de pertes attendues (ECL Lifetime/IFRS9) dans la tarification.

Dans un contexte de rentabilité faible des activités de crédit, il est indispensable pour les établissements de disposer d’une vision plus précise et plus exhaustive des coûts liés à l’activité d’octroi et sur la durée de vie des prêts.

Enjeux des dispositifs d’octroi face à la crise sanitaire

Principaux enjeux liés à la gestion de la crise sanitaire

La crise actuelle modifie la capacité des banques et établissements de financement à appréhender le risque de crédit. En effet, les mesures d’accompagnement mises en place pour soutenir l’économie (PGE, chômage partiel, aides et subventions, moratoires, gel des décomptes de jours d’impayés, gel des déchéances du termes, etc.) ont considérablement perturbé les indicateurs « classiques » d’évaluation du risque de crédit.

Dans ce cadre, il est logique de constater que les principales dimensions jugées « importantes » ou « très importantes » par plus de la moitié des établissements concernent la « capacité à enrichir le dispositif d’octroi avec de nouveaux indicateurs de risques » et « l’utilisation de données alternatives ». Viennent ensuite « l’intégration de nouvelles règles pour prendre en compte les collatéraux » puis la « réactivité pour ajuster son dispositif et sa granularité ».

En revanche l’évaluation des collatéraux listée dans les exigences de la GLOM n’a quasiment pas été abordée par les établissements répondants. Très peu d’établissements se sont interrogés sur les impacts de la crise sur la valeur de leurs collatéraux et suretés.

Par ailleurs, nos échanges confirment les craintes de nombreux acteurs concernant augmentation des fraudes et des cas de blanchiment. Cette augmentation des cas de fraudes résulte de la crise sanitaire qui a accru les interactions distantes entre les acteurs du crédit et leurs clients et accéléré la dématérialisation de la relation et des procédures.

Zoom sur les sources de données

Les établissements ayant participé à l’étude affirment à 63% que l’utilisation de nouvelles données est un enjeu majeur de leur dispositif d’octroi à court terme.

Les principales sources de données utilisées dans le cadre du dispositif d’octroi restent les documents digitalisés et justificatifs fournis par le client (79% des établissements répondants). Les données d’agrégation de compte occupent la seconde place. Elles sont utilisées dans les dispositifs d’octroi de 42% des établissements répondants. Les notations ‘Open Banking’ et les données extraites d’internet sont utilisées par 26% des établissements.

Les résultats de cette étude montrent que la crise sanitaire a contribué à l’accélération de deux tendances. D’une part la distanciation des échanges a poussé les établissements à accélérer l’usage de données récupérées via des documents digitalisés ou électroniques. D’autre part, le recours à des sources de données alternatives s’accélère également.

Cette dernière tendance se situe à deux niveaux. Au niveau du suivi du portefeuille, les établissements dont les indicateurs classiques ne sont plus pertinents pour appréhender le risque des contreparties sont à la recherche de nouvelles données et de nouveaux indicateurs pour pouvoir capter les signaux faibles de détérioration liés à la crise. Au niveau de l’octroi, l’émergence de ces données alternatives vise à alimenter les modèles de score d’octroi en données comportementales permettant de mieux segmenter les classes de risque.

Conclusion

La crise sanitaire actuelle et les mesures d’accompagnement mises en place mettent à rude épreuve les dispositifs d’évaluation des risques et de la solvabilité des contreparties (baisse du nombre de défaillances, gel des procédures collectives, analyses comportementales faussées par les flux de PGE, difficultés à anticiper les impacts économiques à moyen terme, etc.). Cette situation nécessite de la part des établissements davantage de flexibilité et de réactivité dans l'ajustement de leur dispositif d'octroi pour s'adapter aux signaux "faibles" de défaillance ou de détérioration au fur et à mesure qu'ils se manifesteront.

Par ailleurs, pour répondre aux différentes attentes réglementaires et assurer une cohérence d’ensemble, il apparait nécessaire pour les établissements d'intégrer un lien plus direct entre le risque à terme et la tarification. Pour ce faire, les établissements auront besoin de sources de données nouvelles, de nouveaux indicateurs d’évaluation du risque et d’un dispositif d’octroi plus flexible pour s’adapter aux évolutions, etc.

Une vraie réflexion de fond est donc à lancer afin d'assurer une gestion efficace sur tous les portefeuilles y compris les plus granulaires.