Point de vue

Mesure de la vulnérabilité des assureurs aux risques physique et de transition liés aux changements climatiques

Etat des lieux et exercice pilote climatique ACPR 2020

Depuis plusieurs années, une prise de conscience collective sur les enjeux liés aux risques climatiques a émergé, poussant ainsi l’ensemble des acteurs économiques à intégrer la dimension ESG (Environnementale, Sociétale et de Gouvernance) dans leur communication et dans la gestion au quotidien de leur entreprise. Au-delà de l’aspect corporate responsibility la crise sanitaire actuelle a confirmé l’impact significatif que pouvaient avoir les risques émergents sur la volatilité des indicateurs macroéconomiques et financiers, y compris pour les assureurs. De la même manière, la multiplication des catastrophes naturelles et l’augmentation de leur sévérité ont impacté significativement le secteur de l’assurance dommages au cours des dernières années1 et vont certainement contribuer à accélérer cette transformation à court et moyen terme.

Les institutions financières se doivent de jouer un rôle prépondérant dans le financement de la transition écologique telle que définie dans la loi de transition énergétique et pour la croissance verte (LTECV) annoncée lors de la COP 21, à savoir des émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) ramenées à 0 en 2050. Le contexte réglementaire encourage désormais les institutions financières à plus de transparence sur leurs pratiques RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) dans la publication de leur rapport environnemental annuel, sur la qualité de leurs investissements et sur la mise en place de meilleurs processus de gestion des risques climatiques. Publié au sein du rapport de gestion, la Déclaration de Performance Extra Financière (DPEF) permet d’avoir une vision succincte de la place occupée par les critères ESG dans les politiques internes et externes. D’autres textes viendront compléter les dispositifs actuels, comme le règlement Taxonomie prévu d’ici la fin d’année 2020.

Afin de tester la résilience du secteur financier français au risque climatique, l’ACPR a publié2 le 16 Juillet 2020 une série d’hypothèses à destination des banques et des sociétés d’assurances dans l’objectif de conduire un test de résistance ou stress-test selon différents scénarios de transition écologique. Ces tests reposent sur les travaux du NGFS3 et sur un cadre analytique déterminé à partir de Allen et al. (2020)4 . Les réponses des intervenants permettront d’établir le périmètre d’étude des expositions géographiques et sectorielles, de déterminer les impacts sur la totalité du bilan des entreprises concernées, y compris sur leur passif, en lien avec les dispositions de l’article 173 de la LTECV5 et de la loi Énergie et Climat du 8 novembre 2019.

Cet article aborde les principales hypothèses des scénarios proposés par l’ACPR pour l’exercice pilote climatique 2020 et définit les implications à court terme pour les assureurs.

 

Des évolutions réglementaires prudentielles liées à la gestion des risques climatiques 

Différents organismes prudentiels, qu’ils soient européens avec l’EIOPA (European Insurance and Occupational Pensions Authority) ou français avec l’ACPR, ont accéléré la prise d’initiatives climat dirigées vers les organismes assurantiels. L’EIOPA, dans le contexte de sa mission de définition de cadres réglementaires robustes et de revue des pratiques des superviseurs européens, porte un plan d’action sur les thématiques ESG. Ce plan concerne principalement :

  • La mise en place de méthodologies et d’outils sur l’analyse du risque RSE, notamment sur l’approche des tests de résilience (20186 , 20197 ) ;
  • Le suivi de l’application de la régulation (EU) 2019/2088 sur la transparence des reportings (« SFDR ») qui est en cours de consultation8;
  • Le développement par la commission européenne d’une taxonomie des activités économiques durables.

L’EIOPA est par ailleurs membre du NGFS (Network for Greening the Financial System), du forum Sustainable Finance et du groupe d’experts techniques de la Commission Européenne.
En France, en 2018, l’ACPR a lancé une consultation sur le climat, dont les résultats ont été publiés en avril de l’année suivante. A l’issue de celle-ci, le superviseur français a émis une ligne directrice introduisant trois scénarios de test de résistance dont un scénario de transition ordonnée (scénario de référence) vers l’objectif 2050 « bas carbone ». L’objectif du scénario de référence est d’étudier la variation des facteurs géographiques (au niveau monde) et sectoriels impactant le passif et l’actif du bilan de l’assureur. Les deux autres scénarios proposés ont pour objectif de mesurer les impacts de deux stratégies divergentes par rapport au scénario de référence.
La consultation sur les stress-tests climatiques démarrée en 2018 a été publiée en mai 2020, avec pour objectif de discuter des hypothèses macro et microéconomiques retenues pour cet exercice d’estimation des risques physiques et de transition. La version finale des principales hypothèses des stress-tests a été partagée avec le marché le 16 Juillet 20202, et les contributions – sur la base du volontariat – sont attendues pour fin 2020.

 

 

Principaux enseignements sur les hypothèses retenues par l’ACPR pour l’exercice pilote climatique

Dans sa publication2, l’ACPR précise la difficulté qu’a représenté l’exercice de définition de stress-tests climatiques par rapport aux autres exercices de stress-tests due à l’aléa relatif au changement climatique et à son impact qui va au-delà des chocs macroéconomiques et financiers classiques.

Une des hypothèses fortes de ce test consiste à supposer une évolution dynamique du bilan à partir de 2025 dans chaque scénario afin de permettre à celui-ci d’absorber les politiques actuelles et ensuite, à partir de 2025, de capturer les effets des politiques stratégiques de l’industrie face à un choc climatique, en incluant notamment une réallocation des actifs. La mesure de l’impact des évolutions climatiques sur la solvabilité n’est pas obligatoire dans l’exercice de stress-tests ACPR 2020.

Par ailleurs, afin de capturer la vulnérabilité du bilan au risque climatique de la manière la plus fidèle possible, des scénarios intégrant à la fois les risques physiques et de transition sont proposés par l’ACPR et traduits en impacts sur le passif et sur l'actif du bilan.

En amont, les assureurs devront cartographier leurs investissements avec une décomposition par nature, titre et secteur sur les périodes 2025, 2035, 2040 et 2050, couvrant ainsi les éventuelles décisions de réinvestissements induites par le management pour réduire l’exposition au risque climatique.

Au niveau des chocs du passif, une communication des expositions brutes, du nombre de risques et des primes CatNat est attendue9 sur les activités d’assurance dommage et santé-prévoyance. Pour les activités d’assurance dommages aux particuliers (biens, automobile, habitation…) ou aux professionnels (risques industriels, agricoles, services), la projection se base sur les données du réassureur CCR (2018) pour le périmètre français ou sur des données exogènes du NGFS, ou encore sur les données de l’INSEE. Pour les risques liés à la santé-prévoyance (hausse des infections liées au réchauffement climatique par exemple), l’étude se base sur des données externes (Aon).

En parallèle à ces mesures d’exposition, il est recommandé aux assureurs de fournir, si elles existent, les métriques déjà présentées dans les rapports RSE (DPEF), à savoir, les informations de mesure de la température du portefeuille global (actif et passif), les projections d’émissions nettes de GES sur un horizon 2050 et toute métrique d’intensité carbone.

 

Présentation des scénarios de transition ACPR

Conclusions & prochaines étapes

La finalité de l’exercice de stress-tests initié par l’ACPR et présenté dans cette publication est d’anticiper les principaux impacts financiers et réglementaires de la transition écologique à horizon 2050. Cet exercice peut également aider l’industrie à développer sa communication sur les problématiques RSE sur l’ensemble de son bilan et permettre de traiter plusieurs sujets liés aux engagement en termes de responsabilité et d’implication dans l’atteinte de l’objectif fixé par la COP 21.

Nos recommandations aux acteurs qui ont d’ores et déjà lancé des réflexions climat sont de renforcer la cartographie de leurs données concernant la segmentation de leurs expositions climat par secteur et par géographie ; la prise en compte du risque physique et de transition en reliant leurs propres profils de risque aux scénarios ACPR ; et la définition de métriques liées aux critères RSE permettant d’ajuster la tarification et d’affiner les guidelines de souscription. Cette cartographie des données pourrait permettre de revoir les stratégies d’acceptation et de cession de risques, par exemple en mettant en place des traités de réassurance dédiés.

D’après notre expérience, l’amélioration des systèmes d’information et de la qualité des données au cours des dernières années devrait permettre le suivi du risque physique, en particulier sur les expositions nettes géographiques. En revanche l’analyse et le suivi du risque sectoriel restent à développer notamment à la lumière de la taxonomie des activités économiques durables développée par la commission européenne10 . Quant à l’appréhension de l’instabilité financière du risque de transition, elle nécessitera d’identifier les impacts des variables macroéconomiques sur les portefeuilles et bilans des assureurs.