Point de vue

Plan de relance et politique industrielle :  les conditions avant les injonctions

La prise de conscience de la désindustrialisation de notre pays à l’occasion de la crise du Covid-19 intervient à un moment charnière où les transformations induites par la crise elle-même mais aussi par la transition énergétique et la digitalisation rebattent les cartes. L’industrie française peut profiter de cette période pour se renforcer.

Le plan de relance du gouvernement peut amorcer une nouvelle dynamique mais pour cela un changement d’approche est nécessaire. Les mesures ponctuelles seront sans effet si les problèmes de fond ne sont pas résolus. L’approche par l’injonction ou l’impulsion ne peut être qu’un complément à l’approche par les conditions car l’affaiblissement de l’industrie française s’explique d’abord par des facteurs structurels : une fiscalité défavorable à l’industrie, des dispositifs d’aides trop nombreux et mal ciblés et un éparpillement des efforts.
 

Taxer moins et mieux

Avec une fiscalité des entreprises représentant environ 15% de son PIB, la France est à deuxième place européenne derrière la Suède, plus de trois points au-dessus de l’Italie et de l’Espagne et plus de cinq au-dessus de l’Allemagne. Surtout, en France, les prélèvements sur la masse salariale et sur la production représentent plus de 80% de la taxation des entreprises contre moins de 70% Outre-Rhin.

Cette fiscalité qui grève la compétitivité de nos entreprises industrielles en période de croissance en réduisant leur niveau de marge et donc leur capacité à investir voit ses effets accentués dans cette crise au moment où de nombreuses entreprises ne génèreront pas ou très peu de profits.

 

Il est essentiel de ramener le niveau de fiscalité des entreprises français dans la moyenne européenne en concentrant les baisses sur les impôts de production et les charges sociales


 

Rationaliser les aides

Si la France taxe fortement ses entreprises, elle les aide aussi massivement. Les aides aux entreprises sous leurs différentes formes (aides directes, exonérations fiscales, etc.) représentent un montant total de plus de 110 milliards d’euros.

L’importance de ces aides combinée au niveau élevé des prélèvements a deux conséquences principales. D’abord les coûts d’intermédiation – les coûts associés à la récolte des taxes et à la distribution des aides – sont autant de moyens perdus pour l’économie productive. Ensuite, cela induit des distorsions des mécanismes de marché car les entreprises tentent de limiter leur exposition aux prélèvements et de bénéficier des aides au lieu se concentrer sur l’amélioration de leur compétitivité intrinsèque à travers l’innovation et les gains de productivité.

La multiplicité des pourvoyeurs d’aides et des dispositifs, ainsi que le manque de pérennité dans le temps de ces derniers créent un phénomène de saupoudrage qui accentue encore ces effets et limite la capacité des aides à générer des avantages concurrentiels durables.


Il est donc nécessaire, concomitamment à la baisse de la taxation des entreprises, de diminuer les aides en volume mais surtout de réduire le nombre de dispositifs et les entités en capacité d’y donner y accès, et d’orienter les dispositifs de manière pérenne dans la bonne direction.

 

Accompagner la transformation de l’outil industriel

En économie, comme en natation, il est plus facile d’aller dans le sens du courant que de tenter de remonter la rivière. Plutôt que d’investir à fond perdu pour sauver des usines non viables, nous devons concentrer le soutien financier de l’état sur des dispositifs permettant aux sites compétitifs d’améliorer leur productivité en modernisant leur outil industriel (robotisation, technologie moins énergivore et moins émettrice de GES), en formant leur personnel ou en augmentant leur capacité pour réaliser des effets d’échelles.

 

Soutenir les dynamiques territoriales

Il faut aussi rendre nos territoires plus attractifs en appliquant une démarche similaire. Certaines zones sont aujourd’hui totalement désindustrialisées alors que d’autres conservent des bases industrielles significatives. C’est sur ces territoires-là qu’il faut concentrer nos efforts. La France, avec un secteur industriel trois fois plus petit que celui de l’Allemagne, ne peut pas développer simultanément 56 pôles de compétitivité quand l’Allemagne en soutient 62. Il faut continuer l’exercice de rationalisation des pôles et établir des pôles de référence à l’échelle continentale, voire mondiale.

Les premières informations autour du plan de relance – baisse des impôts de production, modernisation de l’outil industriel dans le cadre de la transition énergétique, soutien à la formation, réflexion sur la clusterisation dans l’automobile – laisse penser qu’un changement de paradigme est en cours. Il faut désormais accélérer dans cette direction.

Cette nouvelle approche, pas plus coûteuse pour les finances publiques que les dispositifs actuels, sera plus en phase avec ce que doit être un Etat stratège au XXIème. L’industrie française a aujourd’hui besoin d’un Etat qui donne aux entreprises qui s’installent sur son territoire toutes les chances de réussir. Si nous le mettons en place, elle pourra tirer avantage des grandes transformations en cours pour se repositionner au cœur du dispositif industriel mondial.