Perspectives
Des villes intelligentes et sécuritaires : un potentiel énorme et de grands défis
Troisième partie
Par Peter Sloly
Dans notre série d’articles sur la sécurité dans les villes intelligentes, nous avons souligné que les villes doivent d’abord être sécuritaires avant de devenir intelligentes, et rester sécuritaires lorsqu’elles gagnent en intelligence. Les services de police doivent revenir à l’essentiel et établir des liens de confiance avec les collectivités qu’ils servent. Cette première étape, et elle est cruciale, permet de poser les assises en vue de l’introduction de nouvelles technologies pouvant transformer la manière dont les services de police et les citoyens collaborent pour améliorer la sécurité publique.
Une fois qu’elles sont sécuritaires, les villes peuvent devenir plus intelligentes. Dans ce contexte, les services de police peuvent faire partie intégrante d’un ensemble d’agences et de services municipaux, de services branchés, de capteurs, de dispositifs et de flux de données qui contribuent à améliorer la qualité de vie des citoyens.
Le potentiel des systèmes intégrés
Une intégration réalisée au moyen du numérique permet aux villes d’offrir leurs services de manière plus efficace et efficiente que jamais. D’après une étude, les villes intelligentes pourraient réduire les temps de déplacement quotidiens de 15 à 30 minutes, abaisser la criminalité de 30 % à 40 %, accélérer le temps de réponse des services d’urgence de 30 % à 35 % et même économiser de 25 à 80 litres d’eau par personne, chaque jour1.
Cascais, une petite station balnéaire portugaise de 200 000 habitants qui accueille plus d’un million de touristes par année, est un parfait exemple de ville intelligente en action. Pour atténuer la pression imposée à ses infrastructures et services et dégager davantage d’efficiences dans les domaines du transport, de la sécurité publique et autres, Cascais met à l’essai des solutions technologiques qui peuvent s’adapter aux besoins en évolution de la ville.
En 2016, Cascais a lancé MobiCascais, une solution logicielle en matière de mobilité regroupant des services de transport publics et privés. Grâce à ce service, les utilisateurs peuvent réserver, gérer et payer des stationnements, des vélos en libre-service, des autobus et des taxis au moyen d’une carte branchée à une application mobile ou à un portail web. MobiCascais est pratique pour les utilisateurs et d’une valeur inestimable pour la ville : la plate-forme intégrée assure le traitement des données sur le transport multimodal en temps réel, ce qui permet une gestion plus efficace de la circulation et une amélioration de l’ensemble de la logistique urbaine.
Les technologies centrées sur une application sont un bon moyen de connecter les citoyens les uns aux autres ainsi qu’à leur collectivité. Les villes découvrent aussi qu’un peu de ludification facilite l’adoption et l’utilisation des nouvelles technologies. Par exemple, une des nouvelles applications de Cascais invite les citoyens à signaler des problèmes de voisinage, comme les graffitis ou des feux de circulation défectueux, en les récompensant par des minutes de stationnement gratuit ou des billets pour des spectacles locaux. Le service de police de Toronto a aussi mis la ludification de l’avant lors d’un récent marathon de programmation invitant les étudiants et les jeunes professionnels à proposer de nouveaux outils pouvant aider les services de police à promouvoir la sécurité publique plus activement. La présentation préliminaire et la démonstration de faisabilité de l’équipe gagnante ont largement dépassé les attentes. Le développement est déjà en cours.
Il reste de grands défis à surmonter
Naturellement, tout n’est pas facile pour les villes intelligentes. Les citoyens sont de plus en plus méfiants quant à l’utilisation et à la communication de leurs données personnelles, ce qui peut compliquer les efforts de mise en service des nouvelles technologies. Reconnaissant ces préoccupations, les villes d’Amsterdam et de Barcelone ont mis en place quatre projets pilotes établis sur un autre modèle d’échange de données appelé DECODE (en anglais, decentralized citizen-owned data ecosystems). Le modèle DECODE est fondé sur un portefeuille numérique sécurisé et une technologie de registre partagé permettant aux participants de décider quelles données ils souhaitent communiquer, avec qui et comment – et de changer d’idée quand ils le veulent2. Ces projets pilotes contribuent à démontrer la valeur associée au pouvoir de décision des citoyens quand il s’agit de communiquer leurs données; la confiance qui en découle, surtout une fois que les avantages de la communication sont mieux compris, peut même inciter les gens à transmettre encore plus de données.
La gestion de l’intégration numérique de plusieurs domaines au sein d’une ville intelligente constitue un autre grand défi. Cascais dirige un centre de contrôle numérique centralisé qui intègre actuellement quatre domaines : la mobilité, la gestion des infrastructures publiques, la gestion des déchets ainsi que la protection civile et la gestion des urgences. Le centre de contrôle fournit des outils de visualisation de données, des services d’analytique et des données pratiquement en temps réel, qui aident les administrateurs de la ville à améliorer l’efficacité opérationnelle et à coordonner les réactions. Les avantages se manifestent déjà. Le personnel des services de transport, par exemple, utilise son réseau de capteurs et ses services d’analytique de données pour repérer les routes dégagées, congestionnées ou bloquées et transmettre rapidement cette information au service de police, qui, à son tour, ajuste ses propres ressources au besoin.
De vastes réseaux mobiles 5G à large bande et l’informatique en périphérie (traitement qui crée des données en périphérie du réseau, plutôt qu’à un emplacement centralisé) seront essentiels à l’exploitation du potentiel de l’immense flux de données qui doivent être recueillies, stockées et traitées pratiquement en temps réel3. Mais en raison des budgets restreints et de la hausse des coûts, il pourrait être difficile pour une municipalité de trouver les ressources lui permettant de devenir une ville intelligente.
Il faut changer notre manière de penser et oublier les modèles de partenariat public-privé qui ont contribué au financement des infrastructures publiques au cours des dernières décennies. Les gouvernements et d’autres organismes du secteur public doivent se montrer plus audacieux et créatifs dans leur manière d’offrir leurs services et d’autres formes de soutien. En même temps, les partenaires du secteur privé doivent être prêts à revoir leurs modèles de financement afin de contribuer à l’atteinte de buts communs avec les services de police, la justice et d’autres organismes municipaux.
Le financement pourrait être lié aux répercussions sociales. Les gouvernements et les partenaires du secteur privé pourraient investir ensemble dans l’élaboration de démonstrations de faisabilité, les concepts qui fonctionnent étant perfectionnés et adaptés sans qu’un nouvel appel d’offres doive nécessairement être lancé. Les villes et leurs fournisseurs de services pourraient recourir davantage au financement basé sur des récompenses, des rendements ou des résultats, ce qui n’est pas très fréquent dans le secteur public. Les organismes et les ministères, même les municipalités, pourraient se réunir pour centraliser certains services communs. Par exemple, ils pourraient regrouper les différents services 911 en une seule centrale desservant tous les territoires.
En fin de compte, les administrations et gouvernements devront s’assurer de proposer les mécanismes de financement et les modèles de prestation requis pour couvrir le coût de l’innovation technologique qui sous-tend la ville intelligente ainsi que la sécurité et le système de justice qui en forment le cœur. Promouvoir le changement et le progrès sans fournir les fonds nécessaires pour porter la vision ne peut se traduire que par des pressions sur les premiers répondants, les prestataires de soins de santé et les employés municipaux ainsi que par la désillusion et le cynisme des citoyens. Il existe sûrement un meilleur moyen de financer une ville plus sécuritaire.
Parce que, comme nous l’avons vu dans cette série d’articles, nous pouvons tous bénéficier de villes plus sécuritaires et plus intelligentes. Prenons contact pour discuter d’intégrations numériques plus sécuritaires et intelligentes et des mécanismes de financement de la ville de l’avenir.
Peter Sloly est associé chez Deloitte et ancien chef de police adjoint du service de police de Toronto. Il dirige la pratique nationale Sécurité et justice
1 Chris Teale, « Report : Smart city technology could dramatically improve quality-of-life indicators ». Smart Cities Dive, 12 juin 2018. Page consultée le 11 juillet 2018.
2 Anoush Darabi, « Amsterdam and Barcelona are handing citizens control of their data ». Apolitical, 22 mai 2018. Page consultée le 11 juillet 2018.
3 Daniele Loffreda, « Smart Cities 3.0: 5G, Edge Computing and Citizen Engagement ». StateTech, 5 juin 2018. Page consultée le 11 juillet 2018.
Lisez l’autre article de la série sur la sécurité et la justice de Deloitte
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