Point de vue

Relocalisations : et si on essayait vraiment ?

La France ne fera pas revenir les usines d’aujourd’hui comme elle n’a pas pu retenir celles d’hier. En revanche, si elle concentre ses efforts et ses énergies dans la bonne direction, elle peut construire les usines de demain.

De tous les néologismes que le Coronavirus a mis sous les projecteurs, Relocalisation est probablement celui qui passionne le plus la sphère économique. Suscitant ici l’enthousiasme, là la circonspection voire la moquerie, il ne laisse personne indifférent.

Pour aborder ce sujet complexe, il nous semble qu’une voie existe entre le volontarisme lyrique et la résignation, celle de la rationalité économique. Emprunter cette voie exige en premier lieu d’utiliser une terminologie adéquate. Du point de vue économique, il n’y a pas une relocalisation mais au moins trois, s’appuyant sur les différents leviers de l’avantage concurrentiel théorisés par l’économiste Michael Porter.

La première, c’est la relocalisation pour raison d’image. C’est la plus couramment envisagée. Elle repose essentiellement sur la compétivité hors-coût. La relocalisation en France générerait une augmentation de la qualité perçue des produits qui compenserait l’augmentation de leur coût de production. Elle ne peut être que limitée dans son application car elle nécessite un contexte spécifique. Il faut à la fois que l’étiquette « Made in France » apporte une véritable différenciation en termes d’image et que l’incrément de coût de production soit limité en regard de la valeur totale du produit. Elle ne peut donc concerner que des produits à forte valeur ajoutée. Sur la base de ces critères, trois secteurs semblent a priori éligibles, pour des raisons différentes, à ce type de relocalisation : le luxe pour lequel le phénomène qui existe déjà pourrait s’amplifier, l’agroalimentaire haut-de-gamme - au-delà des vins et spiritueux dont le succès ne se dément pas - en s’appuyant plus fortement sur l’image de l’art de vivre et du terroir français appréciée à l’étranger - à l’instar de ce que a brillamment réussi l’Italie pourtant importatrice net de matières premières agricoles- et la pharmacie où des efforts pourraient être consentis par les groupes pharmaceutiques pour garder un accès privilégié au très important marché européen.

 

La France malgré ses difficultés structurelles bien connues (fiscalité de production, coût du travail, rigidité du droit du travail, instabilité législative) possède néanmoins une carte à jouer dans cette bataille

 

La deuxième, c’est la relocalisation portée par la productivité. Elle repose sur la compétitivité coût. Elle est complexe à mettre en œuvre, mais pas totalement impossible. A l’image de ce qu’a pu réussir le Japon – le cas de l’Allemagne est plus hybride – dans l’industrie automobile notamment, il s’agit sur certains produits de compenser un coût du travail élevé par une excellente productivité. L’amélioration de la productivité repose sur la massification des volumes, la spécialisation des sites, parfois la simplification des chaînes d’approvisionnement, et surtout la modernisation de l’outil industriel grâce notamment à la robotisation et la digitalisation. Le modèle à suivre dans ce domaine est justement franco-japonais : l’usine Toyota de Valenciennes réussit le double exploit d’être le seul site à assembler des citadines (petits véhicules) en France et d’augmenter constamment sa production. L’industrie automobile pourrait répliquer ce modèle mais au prix d’une évolution culturelle et d’efforts financiers importants. Il faut en effet renoncer à certains sites pour concentrer les volumes sur d’autres et largement moderniser les sites retenus. La France malgré ses difficultés structurelles bien connues (fiscalité de production, coût du travail, rigidité du droit du travail, instabilité législative) possède néanmoins une carte à jouer dans cette bataille. Si elle produit peu de machines-outils à commande numérique, spécialité allemande, elle a une forte expertise dans le développement de jumeaux numériques, répliques virtuelles des sites de production et véritables clés de voûte de l’Industrie 4.0, grâce à des grands groupes tels que Dassault Systèmes et Schneider mais aussi de petites PME comme Cosmo Tech à Lyon ou Cervval à Brest.

La troisième, c’est la relocalisation portée par l’innovation. Il s’agit là de s’appuyer sur des innovations de rupture pour changer fondamentalement les termes de l’équation économique à son profit. C’est certainement l’option plus prometteuse car les bouleversements en particulier technologiques liés la transition écologique et à la crise du Covid19 vont redéfinir les chaînes de valeur et la France a des atouts importants pour rentrer dans le jeu à cette occasion. Elle produit une énergie peu chère et décarbonnée et possède des grands groupes aux capacités d’industrialisation reconnues ainsi que des start-ups ou des petites PME très innovantes.

 

 

L’industrie française possède un futur à condition de savoir le décliner au pluriel en s’appuyant intelligemment sur les 3 i, Image de marque, Industrie 4.0, Innovation de rupture

 

C’est la connexion entre ces deux mondes qui pêche aujourd’hui, limitant la valorisation de cette capacité d’innovation. Le récent partenariat entre TechnipFMC et Carbios dans le recyclage chimique du Polytéréphtalate d'Ethylène (PET) illustre le potentiel de ce type de collaboration. En alliant la compétence d’ingénierie de pointe du groupe franco-américain dans la pétrochimie (leader mondial de l’éthylène) et une technologie innovante développée par la PME auvergnate, les deux partenaires souhaitent construire près de Lyon, une usine permettant de recycler 97% de ce composé chimique, matériau principal des bouteilles plastiques, par dépolymérisation enzymatique. Ce procédé peut permettre de réduire considérablement la dépendance de la France à la résine de PET vierge issue du pétrole et largement importée en la remplaçant par du PET recyclé qui ne peut être produit que localement pour des raisons de coût d’acheminement de la matière première. Les différents exemples présentés ici le montrent. En faisant preuve de pragmatisme, d’inventivité et de rationalité économique, il est possible de vaincre l’apparente fatalité du déclin industriel. L’industrie française possède un futur à condition de savoir le décliner au pluriel en s’appuyant intelligemment sur les 3 I, Image de marque, Industrie 4.0, Innovation de rupture.

La France ne fera pas revenir les usines d’aujourd’hui comme elle n’a pas pu retenir celles d’hier. En revanche, si elle concentre ses efforts et ses énergies dans la bonne direction, elle peut construire les usines de demain. Pour cette raison, il est probablement préférable d’abandonner le terme Relocalisation qui rappelle les combats d’arrière-garde que la France a pu livrer dans le passé au profit d’un autre néologisme, Néolocalisation, qui exprimerait mieux le choix collectif de se tourner résolument vers l’avenir.

Tribune publiée sur L'Opinion