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Le risque de délit d’initié pendant l’épidémie de Covid-19 : une alerte pour les conseils d’administration et pour les comités d’audit
Focus sur le Covid-19
Les récentes accusations de “dumping boursier” aux Etats-Unis posent la question suivante : des individus ayant eu accès pendant de la crise à des informations privilégiées, sensibles et confidentielles, ont-ils pu placer leurs intérêts financiers personnels avant ceux des investisseurs ou de leurs sociétés, violant ainsi potentiellement les lois et règlements sur les délits d’initiés ?
En Europe, le règlement européen relatif aux abus de marché (MAR)1, le règlement d’exécution (UE) 2016/347 de la Commission du 10 mars 20162, et en France, le Code Monétaire et Financier3 et l’Autorité des Marchés Financiers (AMF)4 définissent, encadrent et sanctionnent les délits d’initiés. Aux Etats-Unis également, la Securities and Exchange Commission (SEC) exige que tout administrateur, dirigeant ou bénéficiaire effectif d’une société enregistrée dépose un formulaire 4 (Statement of Changes in Beneficial Ownership) auprès de la SEC dès qu’un changement de propriété a lieu5. Les dépôts documentant l’exécution de ces transactions sont facilement accessibles au grand public via le système de collecte, d’analyse et d’extraction de données électroniques (EDGAR) de la SEC6 aux Etats-Unis et, en France, via la Base des décisions et informations financières (BDIF) de l’AMF7.
Le Wall Street Journal a récemment examiné plus de 4 000 déclarations déposées auprès de la SEC par des sociétés cotées et a mis en lumière que les cadres supérieurs de certaines sociétés enregistrées auprès de la SEC ont vendu pour environ 9,2 milliards de dollars d’actions de leurs propres sociétés entre le 1er février et le 19 mars 2020, totalisant 1,9 milliards de dollars de gains8. Cette pratique a attiré l’attention de la SEC qui, en mars 2020, a publié un communiqué de presse indiquant que :
Lorsqu’une société prend conscience d’un risque lié au coronavirus qui serait matériel pour ses investisseurs, celle-ci devrait s’abstenir d’effectuer des opérations sur ses titres et devrait prendre les mesures nécessaires pour empêcher ses administrateurs et dirigeants (et les autres initiés de la société qui détiennent des informations confidentielles) de réaliser de telles opérations tant que les investisseurs n’ont pas été correctement informés du risque9.
Dans un communiqué du 23 mars 2020, la Division of Enforcement de la SEC a également précisé que les initiés ayant accès à de nouvelles informations privilégiées, sensibles confidentielles sur l’épidémie “devraient être vigilants quant à leurs obligations de garder ces informations confidentielles et de se conformer aux règles en vigueur concernant le délit d’initié”. La Division of Enforcement souhaite ainsi protéger les investisseurs des fraudes et pratiques illégales qui pourraient survenir dans un environnement de marché et des circonstances économiques exceptionnels10.
D’un point de vue juridique, il n’est pas aisé de déterminer si les transactions réalisées par les initiés respectent les réglementations qui les encadrent. Pour qualifier les transactions réalisées par les initiés, il est nécessaire de rassembler des informations factuelles sur les sujets suivants : la chronologie des transactions, l’accessibilité des informations (confidentielles ou publiques), leur impact sur le financement et le cours de bourse, et la concordance entre communications en interne et au grand public dans la période entourant les transactions d’initiés et les variations du cours de bourse, par exemple.
Compte tenu des déclarations de transactions déposées à la SEC et des communiqués de cette dernière, des sanctions rendues par l’AMF et des règles instaurées par le règlement européen Abus de Marché (MAR), les conseils d’administration et les comités d’audit, comme les directions juridiques et les fonctions Compliance des entreprises impactées par le Covid-19 doivent déterminer si les transactions réalisées par leurs initiés nécessitent une surveillance accrue, voire dans certains cas, des investigations. Les transactions les plus sensibles doivent rapidement faire l’objet de vérifications concernant leur régularité. Rappelons que ces transactions peuvent donner lieu à des enquêtes du régulateur et des litiges avec les actionnaires.
Deloitte Forensic a l’expérience et les compétences pour assister les avocats et les entreprises à réaliser des investigations proactives et réactives, en s’appuyant sur les outils digitaux pour collecter, préserver et analyser les données structurées (données financières et comptables) et non structurées (emails et documents). Nos outils permettent également d’entreprendre ou de poursuivre des travaux d’investigations essentiels, à distance, de façon efficace et économique. Chaque investigation en matière de délit d’initié revêt ses caractéristiques propres, et nécessite un plan de travail spécifique.
Cependant, il est raisonnable d’envisager les étapes suivantes lors de chaque investigation :
- Identifier les employés concernés : identifier tous les directeurs, responsables, et bénéficiaires effectifs qui sont tenus de soumettre des déclarations aux autorités (SEC, AMF, etc.).
- Analyser la chronologie des évènements et du marché : établir une chronologie des évènements liés au Covid-19, qui comprend les données de marché générales (par exemple : les restrictions de voyages et fermetures de frontières, les premiers cas dans chaque pays pertinent, et l’évolution du cours de bourse des titres considérés), et les évènements spécifiques (périodes de discussions internes et communiqués autour de transactions particulières, restructurations, et impacts du Covid-19 sur la performance de l’entreprise). L’analyse doit prendre en compte les informations échangées en interne, comme les informations rendues publiques (au travers des réseaux sociaux, des communiqués de presse, des données publiées et déposées auprès des régulateurs).
- Effectuer une revue de documents : obtenir et revoir la documentation pertinente, comme par exemple les comptes rendus de réunion et de call, les politiques et procédures, les plans de rachats et de cessions d’actions établis au préalable, afin d’identifier des éléments complémentaires à inclure dans l’analyse chronologique. Par exemple, une telle revue peut permettre d’identifier dans des comptes-rendus de réunion des informations confidentielles importantes et non encore rendues publiques, les périodes d’interdiction de transaction instituées en interne, et les plans d’achat ou de cession d’actions déterminés préalablement.
- Revoir et analyser les transactions : reconstituer les historiques de transactions réalisées sur une période de 2 à 3 ans par les directeurs, responsables et bénéficiaires effectifs initiés. Utiliser des outils d’analyse de données avancés pour établir l’historiques d’acquisition et/ou les tendances à la vente. Comparer ces éléments avec la chronologie du Covid-19 pour l’entreprise concernée.
- Collecter et revoir (eDiscovery) : réaliser des collectes d’email ciblées et effectuer la revue à partir des potentiels red-flags, afin d’évaluer si certains membres du management sont susceptibles d’avoir effectué des transactions à partir d’informations non-publiques. L’investigation doit aussi déterminer si ces informations pourraient avoir été communiquées à des proches ou à de la famille, dans la mesure où certains régulateurs pourraient s’intéresser à cette question.
- Mener des entretiens : à l’issue de la collecte, de l’analyse de la documentation et des données pertinentes, réaliser les entretiens avec les interlocuteurs clés, y compris les personnes susceptibles d’être impliquées dans les transactions d’initiés réalisées.
Références
1. Règlement (UE) n°596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32014R0596&from=FR et https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/dossiers-thematiques/abus-de-marche-mar
2. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32016R0347&from=FR
3. Code monétaire et financier, article L465-1 modifié par LOI n° 2016 819 du 21 juin 2016 - art. 1.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.
do?idArticle=LEGIARTI000006654281&cidTexte=LEGITEXT000006072026&dateTexte=20100211&oldAction=rechCodeArticle
4. Règlement général de l’Autorité des marchés Financiers, article 622-2.
https://reglement-general.amf-france.org/eli/fr/aai/amf/rg/622-2/article/20041125/fr.html
5. https://www.sec.gov/about/forms/form4data.pdf
6. https://www.sec.gov/edgar/searchedgar/companysearch.html
7. https://bdif.amf-france.org/Recherche-avancee?formId=BDIF&DOC_TYPE=BDIF&LANGUAGE=fr&subFormId=dd&DATE_ PUBLICATION=&DATE_OBSOLESCENCE=&isSearch=true
8. https://www.wsj.com/articles/bezos-other-corporate-executives-sold-shares-just-in-time-11585042204
9. https://www.sec.gov/news/press-release/2020-53
10. https://www.sec.gov/news/public-statement/statement-enforcement-co-directors-market-integrity
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