Point de vue

Comment bien préparer sa transmission ?

Mieux vaut prévenir que guérir. Cet adage bien connu s’adapte parfaitement à la transmission des entreprises familiales. La succession et le passage d’une génération à la suivante sont des moments cruciaux dans la vie d’une société. De nombreux dirigeants ont toutefois tendance à constamment remettre au lendemain la gestion de ce processus pourtant complexe qui comprend le transfert de la propriété et de la direction, mais aussi et surtout une forte dimension émotionnelle, pour le cédant, le ou les repreneurs et les membres de la famille. Ces successions mal préparées sont, hélas, une spécialité française. La part des transmissions d’entreprises dans le cadre familial atteint ainsi à peine 12% dans notre pays alors qu’elle approche 65% en Allemagne et 76% en Italie. Préparer plutôt que subir, là est la clé... 

Une transmission subite est fréquemment vouée à l’échec

Les transmissions subites sont souvent la conséquence d’un décès du dirigeant en place et d’une mauvaise planification successorale. D’un point de vue fiscal, si aucune mesure d’anticipation n’a été prise au préalable, les héritiers doivent se préparer à payer un montant très élevé de droits de succession qui peut approcher 45% de la valorisation de la société en cas de transmission dans une même branche familiale voire 60% pour une transmission à un tiers.

Une succession inattendue peut également engendrer des problématiques de gouvernance. Lorsqu’un « capitaine » quitte inopinément son navire et qu’aucun second n’a été désigné au préalable pour reprendre la barre, le bateau aura vite tendance à quitter son cap voire à s’échouer sur les premiers écueils venus. Un néo-dirigeant mal préparé peut ainsi mettre économiquement et juridiquement l’entreprise en danger. Quant aux éventuels membres de la famille qui auraient été exclus de la succession, ils risquent d’éprouver des sentiments négatifs, pour avoir été écartés ou simplement ne pas avoir été pris en considération. Cette situation engendre systématiquement de l’amertume et entraîne des répercussions durables tant sur l’avenir de la société que sur l’harmonie familiale. 

La disparition ou le départ non planifié d’un dirigeant peut enfin provoquer des situations actionnariales compliquées. Des ayants-droits qui vont récupérer leurs parts peuvent avoir un effet néfaste sur l’entreprise s’ils ne s’entendent pas avec les autres membres de famille ou s’ils souhaitent vendre leurs titres et que leurs proches n’ont pas les moyens de les racheter. Ces mésententes peuvent parfois aboutir à une vente précipitée de la société ne serait-ce que pour acquitter les droits de succession afférents à ladite transmission.

 

Transmission préparée = entreprise sauvegardée

  • Une réflexion préalable indispensable 

Pour garantir la solidité et la pérennité de son entreprise, un dirigeant doit accepter qu’il peut être remplaçable du jour au lendemain et prendre en conséquence toutes les mesures nécessaires pour assurer une transition dans les meilleures conditions possibles. 

Organiser sa transmission est un travail complexe qui nécessite de se poser de nombreuses questions et de travailler en parallèle sur l’ensemble des sujets concernés.    
La réflexion doit être fiscale mais pas que ; les aspects de gouvernance future, de répartition des pouvoirs ou des droits entre associés dirigeants, ou encore de l’équilibre avec les associés non impliqués dans la société sont des paramètres tout aussi importants à considérer.Il n’existe pas d’approche universelle pour la succession au sein d’une entreprise familiale…pas de vade mecum sur l’étagère prêt à l’emploi. Chaque situation est particulière et singulière. De nombreux outils juridiques et fiscaux sont à la disposition du dirigeant associé averti et chaque famille doit être guidée pour trouver LA solution qui lui convient le mieux.
L’arrivée de la cinquantaine pour le dirigeant en place est souvent une période propice pour entamer ces réflexions concernant le « passage de bâton » générationnel.

  • Des outils pour une transmission réussie 

Pour bien préparer la transmission, il est tout d’abord important d’évaluer son actif et de faire intervenir un expert dans ce domaine afin de challenger la valorisation de son entreprise. Sur le plan fiscal, l’associé dirigeant se doit de s’interroger sur la mise en place d’un Pacte Dutreil - dispositif qui permettra à ses ayants-droits de réduire significativement les droits de mutation à titre gratuit - que ce soit dans le cadre d’une donation ou d’une succession, afin d’assurer une transmission sécurisée et sereine.
Bien que ce dispositif souffle cette année ses 20 premières bougies, ses conditions d’applications sont drastiques et rigoureuses…contreparties de l’avantage fiscal octroyé. 

La restructuration d’un groupe pré-existant de sociétés est souvent nécessaire au préalable afin de permettre le bénéfice de ces dispositions. L’anticipation est donc le « maître mot ».
Cette réorganisation est rendue indispensable lorsque le groupe détient également des actifs non indispensables à l’exercice de l’activité économique (immobilier, valeurs mobilières de placement…).
Il en est de même lorsque l’associé dirigeant souhaitera transmettre les titres de la holding animatrice de son groupe. Animation n’est pas activation, définir la politique générale du groupe ne se limite pas à rendre des prestations de service. 

Ce démembrement trouve également tout son intérêt dans le cadre d’une SCI familiale qui par la nature immobilière de son activité n’est pas éligible en tant que telle au régime du Pacte Dutreil précité.
La réflexion du dirigeant associé sera également d’autant plus pertinente qu’elle intégrera la possibilité de dissocier le pourcentage de détention capitalistique des droits de vote ou des droits pécuniaires (aménagement statutaires, actions de préférence…). Le fait de conserver l’usufruit permettra ainsi au dirigeant de transmettre son patrimoine tout en se préservant un complément de revenu pour sa retraite sous forme de dividendes. 

La bonne combinaison d’une donation en nue-propriété et en pleine propriété, couplée à la mise en place d’une gouvernance sur-mesure, permettra souvent de répondre aux nombreux enjeux familiaux identifiés.

 

L’efficacité d’une donation sous Pacte Dutreil peut être encore amplifiée dans deux cas particuliers. 

Soit lorsque le donateur réalise une telle transmission en pleine propriété avant ces 70 ans. Dans ce cas outre l’abattement de 75 % résultant du Pacte Dutreil, les donataires peuvent bénéficier d’une réduction de droits de donation supplémentaire de 50% ce qui permet de réduire considérablement le coût fiscal de la transmission. 

Soit, dans le cadre d’une donation de titres démembrés, à savoir en séparant l’usufruit généralement conservé par le donateur de la nue-propriété transmise aux ayants-droits.Dans ce cas, l’abattement précité de 75% se combine avec la réduction de « base » liée au démembrement. Cette réduction est d’autant plus importante si la donation est anticipée dans la mesure où la valeur de la nue-propriété usuellement donnée augmente avec l’âge du donateur.

  • Des mécanismes de protection à prévoir 

Outre la charte familiale que de nombreux groupes familiaux ont pu mettre en place, le dirigeant associé doit penser à souscrire un mandat de protection future en cas d’incapacité brutale ou surtout un mandat à effet posthume en cas de disparition soudaine et imprévue. En signant ce mandat, le dirigeant associé donne à une (ou plusieurs) personne que l’on nomme « mandataire » le pouvoir d'administrer ou de gérer tout ou partie de sa succession pour le compte et dans l'intérêt d'un ou plusieurs héritiers en cas de décès brusque. Le mandataire peut ainsi accomplir tous les actes d’administration, gérer les biens successoraux, recevoir des paiements et exercer en justice les actions relatives à l'administration ou à la gestion des biens qui lui sont confiés.
Si le testament permet la dévolution successorale du patrimoine du défunt, le mandat à effet posthume permet celle de la gestion maitrisée de ce dernier.

 Enfin, pour limiter les frottements au sein d’une famille et préserver leur patrimoine, de plus en plus de dirigeants choisissent de rassembler leurs titres au sein d’un fonds de dotation. Cet outil de financement au service de la philanthropie et du mécénat permet de gérer des biens qui lui sont apportés à titre gratuit et de manière irrévocable, et à utiliser les revenus de leur capitalisation en vue de la réalisation d'une œuvre d'intérêt général.
Aider son prochain ou léguer son capital à ses proches ? Le choix est cornélien mais les deux options sont compatibles...