Point de vue

Entreprises familiales et ouverture du capital à des fonds d’investissement : quelles étapes, contraintes et opportunités dans l’évolution de la gouvernance ?

 


Les entreprises familiales, expriment souvent des réticences à ouvrir leur capital à des investisseurs financiers, quelle que soit la typologie d’opération envisagée (LBO, OBO, capital développement). La raison ? pour ne pas perdre le contrôle, conserver une liberté de décision, préserver l’ADN de l’entreprise. Et sans doute parfois par méconnaissance de ce sujet. C’est pourtant une voie qui mérite d’être explorée lorsque l’entreprise familiale fait face à des besoins de financement nouveaux, mais également dans le cas de conflits familiaux ou pour préparer une succession / transmission.



Vision long-terme, culture familiale et ouverture du capital

La culture d’entreprise et ses valeurs font partie des piliers essentiels qui caractérisent les entreprises familiales. Les actionnaires s’inscrivent dans le temps long, avec une vision généralement prudente et souvent une grande discrétion. Ces éléments peuvent paraître en contradiction avec les objectifs d’investisseurs financiers, se positionnant aux côtés de l’entreprise sur un temps plus court, usuellement entre 4 et 7 ans, et avec des objectifs définis de performance et de retour sur investissement. Pas nécessairement. L’objectif commun restera toujours la création de valeur et la consolidation de l’entreprise.

Et pour cela il faut s’entendre sur les orientations stratégiques dès le départ : les investisseurs financiers n’ont pas vocation à prendre en main la stratégie de l’entreprise ni la direction opérationnelle des affaires. La phase de préparation de l’opération permet, a contrario, de définir la stratégie et d’entamer une période d’échanges, incontournable pour s’assurer d’un alignement des visions et d’une envie de travailler ensemble. Et en tout état de cause, pour que le choix de l’investisseur soit pertinent, il ne peut se réaliser sur le seul prix mais doit bien tenir compte des valeurs partagées et montrer un alignement stratégique. S’il est probable que la stratégie suivie sur la durée connaitra des ajustements, il est certain que la confiance instaurée permettra d’établir un dialogue régulier constructif, prenant en compte les avis divergents, pour sécuriser un consensus, in fine, bénéfique à l’entreprise et à une croissance durable.

Une opération d’ouverture du capital est d’ailleurs souvent l’occasion de réaligner la structure actionnariale et la structure managériale, permettant de faire remonter au capital ou reluer les actionnaires impliqués dans la gestion opérationnelle de la société.


L’opportunité de mettre en place des principes de bonne gouvernance

L’entrée d’investisseurs au capital de l’entreprise nécessite de définir les modes de fonctionnement, et de les formaliser. C’est donc naturellement l’opportunité de mettre en place ou d’améliorer la gouvernance avec la définition de règles partagées (emplois familiaux, politique de rémunération, attentes des actionnaires) mais également de mettre en place un Board (Conseil d’Administration ou Conseil de Surveillance) dont le rôle est notamment de valider les décisions majeures du management et de veiller aux intérêts des actionnaires et au respect des règles de gouvernance.

L’entrée des investisseurs au capital induit l’élargissement du Board à leurs représentants et usuellement à des administrateurs indépendants (spécialiste sectoriel ou métier (digitalisation, internationalisation) dont l’expertise peut être discriminante pour relever les défis de l’entreprise. La recomposition du Board permet également d’atténuer les conflits éventuels entre actionnaires familiaux, en dépassionnant les oppositions mais également en permettant d’objectiver les décisions proposées par le Management.

La réflexion en amont sur la structuration juridique et notamment sur les principaux termes du Pacte d’Actionnaires, aux côtés des conseils juridiques et financiers, permet à la fois d’acculturer les actionnaires et de préempter les sujets de frictions éventuelles, en préparant des mécanismes de gestion et de résolution de conflits.

La négociation du Pacte d’Actionnaires permet également de préempter un sujet potentiellement épineux, à savoir les conditions de sortie de l’investisseur. Comme évoqué précédemment, les fonds d’investissement ont à la fois un horizon de liquidité défini, à 5 ans en moyenne, et un objectif de rendement de leur investissement. Sauf accord spécifique initialement acté, la sortie du fonds intervient donc usuellement après un processus compétitif et cela, soit avec l’entrée d’un nouveau fonds, soit par une introduction en bourse, ou par le rachat de leurs titres par les actionnaires historiques, mais à une valeur de marché.


Diversifier les compétences pour ouvrir de nouveaux horizons

L’entrée au capital d’un investisseur financier se traduit naturellement par sa présence dans les organes de gouvernance. Au-delà de la nécessité de rendre compte au Board de l’avancement des projets et de l’exécution de la stratégie, instaurer un dialogue continu ou régulier avec les représentants des investisseurs permet de bénéficier de leur apport et de leur grande expérience des situations de transformation, des opérations d’acquisitions et/ou de recentrage stratégique. C’est aussi un levier pour bénéficier de nouveaux réseaux de partenaires ou d’experts en capacité d’accompagner l’entreprise dans son développement.

Il nous semble donc approprié de choisir l’investisseur après avoir testé sa compréhension des enjeux, sa capacité à accompagner l’entreprise dans son expansion ou dans ses croissances externes, notamment en échangeant avec les dirigeants de certaines de leurs participations. L’investisseur, s’il n’a pas vocation à prendre la place du chef d’entreprise, doit être un sparring partner, un associé capable de participer à un dialogue stratégique constructif et d’apporter des conseils nourris de ses expériences passées.

L’accompagnement dans la stratégie de croissance externe est un des atouts majeurs des fonds d’investissement qui bénéficient d’une capacité à identifier des cibles pertinentes pour l’entreprise (complément géographique, marchés adjacents, briques technologiques, …), d’un savoir-faire dans la conduite des opérations d’acquisition et dans leur intégration mais également de ressources, support du management dans ces opérations chronophages.

Ouvrir son capital est une aventure et nécessite donc de prendre en compte la dimension humaine dans le choix du fonds qui accompagnera le développement de l’entreprise mais également ses défis et ses transformations pendant l’horizon d’investissement.


Comment s’y préparer ?

Se faire accompagner de spécialistes sur l’ensemble de ce processus (avocats M&A, conseil financier en fusion-acquisition…) est un atout indéniable. Outre les compétences techniques, ces conseils permettront d’accompagner les actionnaires dans la définition et la préparation de l’opération : stratégie, plan de développement, définition de la structure actionnariale, objectifs patrimoniaux et gouvernance. Une fois cette phase finalisée, ces conseils accompagneront le choix des actionnaires sur la base de critères rationnels et de l’expérience (ticket, alignement stratégique, structure de l’opération, conditions de sortie…). Pour permettre à l’entreprise de concentrer ses propres diligences sur des critères plus intuitu personae : la compatibilité des ADN, la capacité à travailler efficacement ensemble sur la durée et à considérer l’investisseur comme un partenaire capable d’apporter une réelle valeur ajoutée au-delà des seuls aspects financiers.
 

Cet article traitera indifféremment des entreprises familiales et des entreprises patrimoniales, i-e détenues par leurs fondateurs