Point de vue
3 questions à Alexandre Rocco, président co-fondateur du groupe Shift
Diplômé de emlyon, Alexandre Rocco a commencé sa carrière en tant que salarié de grands groupes (Vivendi Universal, Altran et Orange) dans des rôles d'intrapreneur, de business development, puis de directeur de périmètres impliquant jusqu'à 450 personnes, toujours en lien avec l'innovation numérique. En 2013, à l'âge de 36 ans, il crée Shift, un groupe indépendant de conseil assurant un rôle de catalyseur de l'innovation digitale et qui compte aujourd’hui 150 collaborateurs. Il en est l'actionnaire majoritaire, seule façon de « garantir le temps long d'une stratégie et le respect des comportements préférables ».
Quelles sont les raisons qui vous ont amené à ouvrir le capital de Shift aux salarié.e.s ?
Shift a le statut d’Entreprise à Mission au sens de la loi PACTE depuis octobre 2021, avec un engagement RSE fort et une raison d'être qui est celle de « mettre l'humain au cœur de l'innovation digitale ». Dans notre rôle de conseil auprès des entreprises, nous aidons à identifier et à cadrer les opportunités et les impacts liés aux investissements numériques : certes en matière de performance IT et métiers, mais aussi de plus en plus en matière de gouvernance et de culture managériale, et in fine d’expérience de travail et de sens pour les personnes impactées par ces transformations.
Cette raison d'être nous pousse à être exemplaires à notre niveau en offrant à nos salariés une expérience à la fois attrayante et épanouissante au quotidien. C'est dans cet esprit que nous avons construit ensemble les quatre engagements statutaires et juridiquement opposables de Shift : toujours associer développement professionnel et développement personnel des salariés ; faire progresser l'équité femme-homme en entreprise ; cultiver un collectif de travail nourri par des comportements vertueux ; et développer un réseau de partenaires externes variés et vigilants afin de mettre en résonance ces influences positives.
Dans ses pratiques managériales, Shift a toujours fortement fait le pari d’une grande transparence avec l’ensemble de ses parties prenantes, stimule et valorise en permanence au sein de ses équipes le collectif de travail : levier puissant d’innovation !
Ce pari du collectif se reflète dans notre gouvernance, et en particulier dans notre Comité de Mission, organe de surveillance et d’inspiration des engagements statutaires de l'entreprise en matière de RSE. Alors que la loi PACTE impose simplement qu’y siège un représentant des salariés, chez Shift l'ensemble des parties prenantes sont représentées : les salariés (x3 votes), le CSE (x1), les actionnaires (x1), les clients (x2), les sous-traitants (x1), les alumni (ex-salariés) (x1) ou encore des personnalités de l’Economie Sociale et Solidaire. A noter que la direction ne siège pas au Comité pour en garantir l’indépendance de cette instance.
Mais ce pari du collectif se traduit aussi dans les choix capitalistiques : l'actionnariat salarié s'est imposé comme une évidence : au-delà du partage des valeurs, il s’agissait de partager également la création de valeur économique. Autrement dit, d'associer performance et sens.
Comment avez-vous procédé pour mettre en place cet actionnariat salarié ?
Nous avons étudié toutes les possibilités : actions gratuites, BSPCE, etc., avant d'opter pour un actionnariat salarié plein et entier et une ouverture du capital en trois phases. Lors de la première vague pilote, en 2022, seul.e.s une dizaine de directeurs.trices étaient éligibles. L'opération a été un grand succès et nous avons cédé 6,2 % du capital du groupe, alors que nous n'espérions pas plus de 4 %. La deuxième phase, début 2023, nous a permis d'élargir la souscription à l'ensemble des managers, et là encore, l'intérêt a été grand, puisqu'aujourd'hui les salariés détiennent, en cumulé, un peu plus de 10 % du capital via une holding d'investissement dédiée, la Société des Shifters (SDS). L'objectif est de poursuivre sur cette lancée en ouvrant le capital à l'ensemble des salariés début 2024 et de franchir le seuil des 20 % du capital acquis par les salariés, devenant ainsi un véritable actionnaire d’ancrage.
Les salariés ont acheté leurs actions à une valeur établie par un expert, sans ticket d'investissement minimum, en choisissant librement leurs modes de financement, et en assumant pleinement le risque d'investisseur. Toutes les opérations administratives sont réalisées sur la plateforme PMEx, une place de marché virtuelle qui centralise et simplifie la gestion administrative et l’expérience des investisseurs néophytes pour la plupart en la matière, tout en réduisant drastiquement les coûts opérationnels. La plateforme PMEx a permis également de créer une communauté d'actionnaires fédérés par ce projet entrepreneurial, avec la possibilité de vendre ou de racheter très simplement des actions tous les six mois.
Cette importante ouverture du capital a-t-elle entraîné des difficultés, notamment en matière de gouvernance ?
Nous avions d’emblée mis en place des mécanismes pour que cette nouvelle configuration actionnariale ne soit pas un frein au développement ou au fonctionnement de l'entreprise. Je détiens une participation symbolique et le mandat social au sein de la SDS : cela me permet de maîtriser les décisions importantes, et de préserver ainsi les intérêts du Groupe de manière à éviter tout blocage. En matière de gouvernance, des consultations sont évidemment nécessaires dans le cas d’une opération de haut de bilan par exemple, mais avec des processus qui demeurent ainsi simples et rapides. A aucun moment ce fonctionnement n'a posé de problème aux salariés-investisseurs qui ont confiance dans notre mode historique de management basé sur la transparence et sur la collégialité.
Je suis par ailleurs convaincu que la SDS peut constituer à l’avenir une opportunité de financement de l'entreprise. En tant qu'actionnaires salariés, ses membres sont des investisseurs et je suis convaincu que si nous leur présentons une opération structurante et créatrice de valeur, ils nous suivront et participeront au projet. Pour ce qui est des actionnaires extérieurs, la détention de 20% du capital par les salariés sera un élément rassurant, gage du haut niveau d'engagement des collaborateurs. Un atout indéniable.
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