Point de vue

Intégration des risques ESG dans les dispositifs de gestion des risques de crédit

Etats des lieux et principaux défis de l’industrie bancaire

Article co-rédigé avec Franck Affali, Senior Manager Risk advisory.


Le 18 novembre 2022 s’est achevée la 27e édition de la conférence internationale de l’ONU sur les changements climatiques. Le sujet de la lutte contre le réchauffement climatique et de ses effets n’a jamais été autant d’actualité.

L’ONU dans son rapport 2022 indiquait que « la crise climatique exige une transformation rapide des sociétés, constate que la communauté internationale est loin d'avoir atteint les objectifs de Paris et qu'aucune voie crédible pour atteindre 1,5°C n'est en place. Seule une transformation urgente de l'ensemble du système peut éviter une catastrophe climatique ». Il y a donc urgence à rendre tangible les nombreux engagements pris par les acteurs de l’économie en faveur du climat.

Les phénomènes climatiques en cascade de cet été (canicule, sécheresse, incendies, orages violents, etc.), les records de températures hautes hors saisons de ces dernières années et la récente crise énergétique mondiale soulignent davantage la tension qui va s’exercer sur les entreprises pour respecter les accords mondiaux en faveur de la réduction des gaz à effet de serre.

Le gouvernement français dans ce cadre a promis une vaste concertation pour définir une nouvelle loi d’orientation énergie-climat. Cette dernière devrait aboutir à des ambitions de décarbonation beaucoup plus importantes pour pouvoir s’aligner avec le Green Deal Européen.

Les établissements bancaires sont des acteurs clés dans ce défi global compte tenu de leur rôle central dans le financement de l’économie. Les différentes instances de régulation de l’activité financière en Europe ont, dans ce cadre, émis des attentes de plus en plus prégnantes pour l’évaluation et la prise en compte des risques et facteurs ESG dans la gestion des risques des banques :

  • Stress test réglementaires (EBA, ACPR, etc.)
  • Attentes de la BCE pour la prise en compte dans le modèle d’affaires, le cadre de gouvernance et le cadre de gestion des risques
  • Prise en compte dans la Guidance on Loan Origination and Monitoring (stratégie, politiques de risques, processus d’octroi, de gestion et de monitoring des prêts, valorisation des collatéraux, etc.)
  • Exigences de reporting (Pilier 3, GAR, taxonomie, reporting extra financier, etc.)
  • Enjeux IFRS 9 et évolutions attendues dans le cadre du forward looking

Ces exigences qui portent le rôle à jouer par les banques dans la transformation de l’économie, ne doivent pas faire oublier le second aspect de la double matérialité qui s’impose à elle. En effet les banques sont également, comme les autres acteurs de l’économie, impactées par les conséquences du changement climatique et la mise en œuvre de la transition et doivent s’organiser pour y faire face pour assurer la pérennité de leurs activités.

Les banques sont un acteur clé de la transformation de l’économie car elles influencent les flux d’investissement. Les engagements d’alignement de portefeuilles (bancaires mais aussi des investisseurs non bancaires) sont une composante essentielle de la transformation de l’économie. Les banques seront également impactées par les conséquences du changement climatique et la mise en œuvre plus ou moins ordonnée de la transition. C’est le sujet de la gestion des risques climatiques.

Antoine Bezat, BNP Paribas

Où en sont les banques aujourd’hui ?

Le niveau de maturité des banques sur la question de l’évaluation et de la prise en compte des risques climatiques et environnementaux est assez hétérogène.

Les banques ont pour la plupart mis en place des projets visant à se conformer aux attentes vis-à-vis des stress test, des reportings et dans une moindre mesure à l’évaluation des risques climatiques et environnementaux.

L’enjeu aujourd’hui est d’arriver à utiliser ces travaux pour en faire de vrais outils au service du dispositif de gestion du risque de crédit et plus spécifiquement de la prise en compte concrète des risques climatiques et environnementaux dans ce dispositif.

Certains établissements ont construit des systèmes de notation des risques climatiques et environnementaux. Cependant les notations/indices sur les risques climatiques et environnementaux ne sont pas à date utilisés dans les processus de gestion des risques (octroi, suivi des risques, cartographie des risques, calcul des provisions, stress test, calcul des fonds propres, ICAAP, etc.). Il subsiste encore de nombreux freins internes à leur utilisation (disponibilité et qualité des données, approches méthodologiques mouvantes, manque de recul et de fondements empiriques sur les risques ESG, manque d’appropriation des sujets ESG par les équipes internes, impact de la collecte d’information sur la charge de travail des équipes, crainte d’une résistance des clients, etc.)

Les reportings mis en place par les établissements sont, pour la plupart d’en eux, essentiellement destinés à répondre aux obligations de publication (Pilier 3, taxonomie, GAR, reporting extra financiers, etc.) mais ne sont pas utilisés dans le suivi et le pilotage des risques des portefeuilles. Il reste donc tout un pan de reporting interne à construire, adapté aux spécificités des activités et des portefeuilles des banques pour leur permettre d’identifier clairement ces enjeux sur ces risques et aider le management à prendre les bonnes décisions sur la gestion de ces risques.

D’autre part, les Stress tests sont aujourd’hui réalisés par les établissements, essentiellement pour remplir les demandes du régulateur et ne servent pas dans le dispositif de gestion du risque pour les aider à anticiper les risques et mettre en place des actions pour y faire face.

Enfin, sur les trajectoires de décarbonation des portefeuilles, la plupart des banques ont défini ou sont en train de définir leurs feuilles de route. Cependant, très peu ont mis en place une véritable stratégie, un dispositif de pilotage et un plan opérationnel concret pour piloter l’atteint de cet objectif.

 

Il reste encore beaucoup à faire

Début novembre 2022, la BCE a publié les résultats de sa revue spécifique sur l’alignement du secteur bancaire sur ses attentes en matière de surveillance des risques climatiques et environnementaux. L'examen a conclu que les banques manquent toujours de méthodologies plus sophistiquées et d'informations granulaires sur les risques climatiques et environnementaux. Les autorités de surveillance s'inquiètent également des capacités d'exécution de la plupart des banques, qui tardent encore à mettre en œuvre leurs pratiques. En conséquence, les banques continuent à sous-estimer de manière significative l'ampleur et la magnitude de ces risques, et presque toutes les banques (96 %) ont des angles morts pour les identifier.

A l’issue cette revue thématique, la BCE publie un calendrier imposant aux banques de respecter l’ensemble des attentes en matière de gestion des risques climatiques d’ici fin 2024. 
 


Toujours dans le but de s’assurer que des actions concrètes soient mises en place, les ESA (EBA, EIOPA, ESMA) ont lancé un appel à contribution à un questionnaire visant à identifier les pratiques potentielles de Greenwashing dans l’ensemble du secteur financier de l’UE (banques, les assurances et les marchés financiers).

Le risque de Greenwashing est en effet un sujet dont la commission Européenne s’est saisie et pour lequel elle a demandé aux ESA de fournir d’évaluer l’ampleur dans le secteur financier européen et de prendre des actions pour faire face à ce risque.

En France, l’ACPR et l’AMF ont de leur côté publié leur rapport sur les engagements climatiques des acteurs de la place. Les analyses mettent en évidence des engagements de plus en plus détaillés. Cependant, des efforts de précision restent attendus. Les politiques charbon par exemple n’ont pas été renforcées par rapport aux efforts constatés en 2021.

Enfin, la société civile qui estime que les choses ne vont pas assez vite est également une source de pression en vue d’agir. Les conséquences sur la réputation des établissements sont particulièrement importantes surtout si les établissements en question communiquent sur leurs efforts. Les exemples de HSBC réprimandé par le régulateur britannique de la publicité ou celui de BNP Paribas pris dans l’étau entre ses clients américains producteurs d’énergie fossile et les ONG qui estiment que la banque ne fait pas assez, sont illustratifs de cette tension.

 

 

Défis actuels et futures des banques en la matière

Les résultats de la revue spécifique de la BCE sur la prise en compte de ses attentes en matière de surveillance des risques climatiques et environnementaux indiquent que 85 % des banques ont maintenant mis en place au moins des pratiques de base dans la plupart des domaines. Mais pour autant ces pratiques restent liées à la mise en conformité face aux exigences des régulateurs (reporting, stress test) et sont à ce stade loin de la gestion opérationnelle et de la prise en compte concrète de ces risques. Le calendrier publié par la BCE témoigne de cette nécessité d’aller plus loin et plus vite.

L’intégration des risques ESG dans le dispositif de gestion des risques et plus généralement dans les processus de la banque est une condition indispensable pour rendre concrètes leurs prises en compte et leur suivi. Elle permettra en effet aux banques de mieux identifier ces risques mais surtout les transformer en opportunités.

L’enjeu à ce niveau est d’ordre stratégique et de rentabilité. Les banques devront en effet définir des pricing différenciés en fonction des impacts climatiques ou ESG et, proposer des produits et des offres à impact ou supportant la transition sans impact négatif sur leur rentabilité. En d’autres termes, cela implique de justifier des taux moins forts pour de « meilleurs » crédit, et donc de bien intégrer ces enjeux à moyen-long terme dans l’analyse des risques et le pricing.

A ces enjeux s’ajoute celui lié à la réputation de l’établissement, à l’image qu’elle renvoie à ses clients et à la société civile. L’opinion publique d’aujourd’hui s’attend à des banques engagées vis-à-vis de leur impact sur l’environnement et vis-à-vis de l’accompagnement des autres acteurs de l’économie dans la voie de la transition. Dans ce cadre, la prise en compte de ces risques aidera par exemple les établissements à mieux planifier et suivre leurs ambitions et leur trajectoire de décarbonation.

Enfin l’intégration des risques ESG permettra à ces établissements d’identifier les impacts de leurs actions et leurs contributions à la transition des entreprises qu’elles financent.

Pour y parvenir, les établissements doivent mettre en place un véritable plan de transformation de la culture risque interne et des processus liés. Les sujets à traiter sont nombreux :

  • Articulation du risque physique et du risque de transition
  • Combinaison des notations/scores avec les indicateurs usuels de risques type note crédit, PD ou ECL
  • Déclinaison d’objectifs de pilotage sur la stratégie net zéro dans les dispositifs d’octroi
  • Définition et mise en place d’indicateurs de rentabilité sur un horizon de temps cohérent avec le pilotage du risque climatique et permettant de supporter une vision de la rentabilité pluriannuelle

Ces transformations, pour qu’elles soient acceptées, doivent être faites progressivement mais de façon cadencée car il y a urgence à agir.
 

Nous avons de nombreux chantiers à lancer simultanément et dans des délais serrés sur les risques climatiques et environnementaux. Les collaborateurs de SFIL sont très investis sur ce sujet et de nombreuses initiatives sont lancées en parallèle. Pour être efficace et assurer la cohérence de la démarche, il est important de développer une matrice unique d’analyse des différents risques C&E par scénario de transition et par pas de temps, qui puisse servir de base commune aux différents travaux (octroi, pilier 2, ECL, reporting extra-financier etc.).

Emmanuel Moritz, SFIL


Les banques doivent donc mieux identifier et gérer les risques climatiques et environnementaux et les quelques bonnes pratiques observées dans certaines d’entre elles démontrent que des progrès sont possibles.