Point de vue

Comment projeter les entreprises dans un futur souhaitable et aligné avec les limites planétaires ?

La Grande Réconciliation

Article rédigé par Ywan Penvern, Julien Welgan et Lou Blanco, des équipes Sustainability de Deloitte France

« Insuffisants ». Voilà comment le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) qualifie les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique1. Au-delà de cette seule question climatique, d’autres dérèglements physiques bouleversent les conditions mêmes d’habitabilité de la Terre2 : dépassement des limites planétaires, déplétion des ressources naturelles, disparition de la biodiversité3, etc.

Ces dérèglements créent déjà des vulnérabilités au sein des entreprises. Cela est par exemple visible dans l’industrie extractive - arrêt des activités au Canada en raison des feux de forêt [4] - ou encore agroalimentaire. D’après la Banque mondiale, le changement climatique génère une diminution des réserves d’eau, une multiplication des épisodes extrêmes (inondations, tempêtes violentes…), une augmentation du stress thermique et de la prévalence des parasites et des maladies. Des phénomènes qui auront de plus en plus d’impacts négatifs sur la production agricole [5] !

« A mission », contributives, voire décroissantes : certaines entreprises se mettent en ordre de marche pour s’aligner avec cette nouvelle réalité physique et, qui sait, préfigurer le monde de demain.

Notre conviction

C’est toute la stratégie d’entreprise qui doit être réinventée pour anticiper les contraintes écologiques à venir et leurs impacts sur la résilience des organisations. La redirection des activités vers de nouveaux modèles, fondés sur des imaginaires fédérateurs et compatibles avec les limites planétaires, est nécessaire pour assurer la performance de long terme des entreprises.

Plusieurs questions se posent alors pour envisager une transformation progressive mais profonde des modèles d’affaires :

Quelles contraintes écologiques pèseront sur les différents secteurs d’activité dans les 10, 20 ou 30 années à venir ? Quels en seront les impacts en termes physiques (sécheresse, événements climatiques extrêmes…) et de transition (réglementaires, sociales, technologiques...) ? Comment composer avec l’incertitude, le long-terme et la finitude des ressources ?

Quelle sera la place de votre entreprise dans ce nouveau monde ? Comment l’aligner avec ces scénarios ? Quelles transformations engager pour assurer la continuité de vos modèles, ou les réinventer ?

Comment déclencher dès aujourd’hui cette transformation à long terme ? Comment s’assurer de la pertinence et de la viabilité des nouveaux modèles envisagés ? Comment assurer à chacun un rôle dans la reconfiguration de l’entreprise ?

Nos enseignements

Pour se projeter dans cette nouvelle réalité et passer à l’action, nous vous accompagnons au travers de notre Lab Future of Sustainability pour opérer la redirection nécessaire de vos activités et assurer votre résilience sur le temps long.

Nous vous proposons de découvrir quelques aperçus clés de ce Lab :

  • Anticiper ce nouvel environnement. De nombreux outils sont déjà à disposition des entreprises pour faciliter leurs démarches de prospective écologique, comme ClimWise, notre solution pour réaliser des stress-tests climatiques basés sur les scénarios du GIEC et identifier les vulnérabilités des modèles d’affaires. En parallèle, des analyses qualitatives sont nécessaires pour identifier les signaux faibles et leur potentiel de disruption.Dans le monde du sport par exemple, pourra-t-on continuer d’organiser des événements qui déplacent des milliers de personnes à travers le monde ? La prise de position des ultra-traileurs Kilian Jornet ou Xavier Thevenard en faveur d’une forte diminution des déplacements en avion des athlètes suggère l’avènement d’une nouvelle pratique des sports outdoor. En analysant ces signaux faibles par des études prospectives mêlant approches quantitatives et qualitatives, les entreprises deviennent ainsi capables d’identifier les tendances qui façonneront le monde et leur secteur d’activité à horizon 2050, et ainsi de construire des scénarios prospectifs pour se projeter dans un cadre concret.
  • Imaginer et co-construire de nouveaux modèles d’affaires. Le changement climatique ira inévitablement de pair avec des contraintes d’accès aux ressources, qui interrogeront la légitimité de certaines activités économiques et obligeront les entreprises à intégrer des renoncements. En replaçant l’intérêt collectif au cœur des modèles d’affaires, elles pourront identifier de nouvelles opportunités. Cette réinvention pourra être co-construite avec les parties prenantes internes (collaborateurs) et externes (monde associatif, société civile, instituts de recherche, financeurs…) de l’entreprise. Une telle démarche collaborative permet d’assurer la prise en compte de l’intégralité des enjeux et des réalités de terrain, de fixer le bon niveau d’ambition et de garantir le soutien de la société civile en proposant une stratégie cohérente avec ses attentes. C’est par exemple la voie qu’ont choisie les groupes Seb et Ares en créant RepareSeb, une coentreprise sociale qui reconditionne des produits électroménagers tout en permettant l’insertion des personnes éloignées de l’emploi.
  • Expérimenter dès aujourd’hui, pour assurer sa résilience de demain. Les transformations profondes indispensables à une transition écologique juste s’inscrivent nécessairement dans le temps long. Pour autant, les échéances fixées à 2050 se préparent dès maintenant. Expérimenter de nouveaux modèles dès aujourd’hui, c’est prendre le temps de tester afin de trouver ce qui fonctionne, de former et d’embarquer tous les collaborateurs, d’anticiper pour réduire les risques. Le constructeur automobile Renault l’a par exemple compris en transformant son usine de Flins en Refactory, le premier site européen dédié à l’économie circulaire de la mobilité au travers d’activités de retrofit, de réemploi et de recyclage de pièces automobiles et de batteries.

Anticiper, se réinventer, expérimenter… Il s’agit là d’un avantage concurrentiel pour les entreprises qui mettront les premières le doigt sur des modèles d’affaires compatibles avec les limites planétaires. Elles s’assureront une place de choix dans le paysage économique de demain, tandis que celles qui ne parviendront pas à prendre ce virage en seront fragilisées.

En savoir plus ?



Notes : 

[1] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. « Rapport de synthèse : changements climatiques 2023 ». Mars 2023, Copenhague. AR6 Synthesis Report: Climate Change 2023 (ipcc.ch).

[2] Pour certains scientifiques, nous sommes entrés dans l’Anthropocène, une nouvelle ère géologique où l’humanité en tant qu’espèce serait la principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques. Source : Terre, climat : qu’est-ce que l’Anthropocène, ère géologique | vie-publique.fr

[3] « Le concept des limites planétaires définit un espace de développement sûr et juste pour l’humanité, fondé actuellement sur neuf processus biophysiques qui, ensemble, régulent la stabilité de la planète : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d’utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère et l’introduction d’identités nouvelles dans la biosphère ». Source : Présentation du concept des limites planétaires - notre-environnement

[4] Sharma, Ashima. « Wildfires force mine workers to suspend operations in Canada ». Mining Technology, 7 juin 2023, New York. https://www.mining-technology.com/news/canada-wildfires-halt-mining-in-quebec/ - catfish

[5] Banque mondiale. « Tout ce que vous devez savoir sur la sécurité alimentaire et le changement climatique ». 17 octobre 2022, Washington. Tout ce que vous devez savoir sur la sécurité alimentaire et le changement climatique (banquemondiale.org)