Point de vue

Les instruments de dette intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG)

Un beau concept, une comptabilité compliquée ?

Les instruments de dette intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne cessent de gagner en popularité aujourd’hui. Comment sont traités ces instruments dans les états financiers IFRS des émetteurs ou emprunteurs et des investisseurs ? Que doivent prendre en compte les entreprises pour atténuer le risque que ces instruments peuvent faire peser sur leur bénéfice net ? Explorez ces questions (et leurs réponses) dans notre dernier point de vue !

La popularité des instruments de dette intégrant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ou « instruments ESG ») s’est accrue ces dernières années. Mais cet intérêt croissant risque-t-il de se traduire par davantage de complexité pour les entreprises qui présentent leurs informations financières conformément aux normes International Financial Reporting Standards (IFRS) ? Comment les émetteurs d’instruments ESG et les investisseurs peuvent-ils promouvoir un bon comportement social tout en atténuant le risque de volatilité de leur résultat net ?

Deloitte vous assiste afin de répondre à la complexité des enjeux comptables associés aux instruments ESG en aidant ses clients à s’assurer que l’introduction de clauses ESG ne se traduise pas involontairement par une plus grande volatilité dans le compte de résultat.

L’importance d’évaluer le risque

Parmi les instruments ESG, les sustainability-linked bonds (SLB) présentent un coupon dont le montant varie en fonction du respect par l’émetteur d’objectifs de développement durable (ODD) précis. Lorsque les ODD spécifiés ne sont pas atteints, l’émetteur encourt une pénalité (ou une perte de décote) sous la forme d’une majoration du taux d’intérêt (« step-up »). Cela peut créer de la variabilité dans les flux de trésorerie de l’instrument et avoir des conséquences imprévues en termes de comptabilité IFRS.

Contrairement à d’autres formes d’instruments ESG, pour lesquels les fonds levés sont nécessairement alloués à des projets spécifiques, les SLB n’engagent pas l’emprunteur sur l’utilisation des fonds.

Quels sont les enjeux les plus courants ?

La plupart des émetteurs et des investisseurs ayant recours aux normes IFRS ne souhaitent pas accroître la volatilité de leur compte de résultat. A quelques exceptions près, ils préfèrent comptabiliser leurs actifs et passifs financiers au coût amorti, évitant ainsi le recours à une évaluation « mark-to-market » (ou « évaluation à la juste valeur par le biais du résultat net »), ce qui n’est possible que si l’instrument remplit les conditions requises par la norme IFRS 9 pour le classement en coût amorti.

Dans quelles circonstances un instrument ESG ne remplit-il pas les conditions pour une évaluation au coût amorti ?

Des problèmes potentiels peuvent survenir lorsque les termes de l’instrument ESG prévoient des variations de flux de trésorerie, par exemple une augmentation de la marge d’intérêt lorsque les critères ODD de l’instrument ESG ne sont pas remplis. Les normes IFRS nécessitent de tenir compte de telles caractéristiques contractuelles. Celles-ci doivent être analysées pour les besoins de classement et d’évaluation de l’instrument et peuvent empêcher, dans certains cas, le recours au coût amorti. Dans ce cas, l’instrument doit être mesuré, en partie ou en totalité, à sa valeur de marché, ce qui peut avoir des effets indésirables sur le compte de résultat.

De quoi les investisseurs doivent-ils tenir compte ?

Si l’investisseur a pour stratégie de détenir des instruments ESG afin d’en percevoir les flux de trésorerie contractuels, le classement en coût amorti de ces actifs financiers est alors possible si, en application d’IFRS 9, les flux de trésorerie de l’instrument ESG correspondent uniquement à des remboursements de principal et à des versements d’intérêts sur le principal restant dû (« solely payments of principal and interest » ou « critère « SPPI »). En l’absence de respect du critère SPPI, l’actif financier dans son entier doit être évalué à la juste valeur par le biais du résultat net.

Ceci peut entraîner de la volatilité, particulièrement pour les instruments à taux fixe avec des échéances à plus long terme.

En quoi une clause de step-up du taux d’intérêt dans un instrument ESG pourrait-elle faire échouer le test SPPI ?

Cela est dû aux principes de la norme IFRS 9 qui peuvent être restrictifs quant aux caractéristiques pouvant créer de la variabilité des flux de trésorerie. Si ces caractéristiques ne remplissent pas le critère SPPI, alors la comptabilité au coût amorti n’est pas permise. Il est donc important de vérifier que les clauses qui introduisent de la variabilité ne compromettent pas le test SPPI lorsqu’une évaluation au coût amorti est souhaitée. D’un point de vue normatif, les clauses qui ne font pas échec au test SPPI se rencontrent dans les instruments de dette ordinaires dits « basiques », comme par exemple des actifs à taux variable dont les flux de trésorerie se réfèrent à un taux d’intérêt de référence (taux benchmark), ou présentant des clauses prévoyant une augmentation de la marge de taux en cas de détérioration du risque de crédit, certaines indexations sur l’inflation ou certaines clauses de remboursement anticipé.

Les clauses introduisant des variations qui ne sont pas directement en ligne avec ces exemples simples, telles que les clauses de step-up dans un instrument ESG, nécessitent une analyse plus approfondie.

Que faut-il pour qu’une clause de step-up dans un instrument ESG soit conforme au critère SPPI ?

Les flux de trésorerie sont considérés SPPI lorsqu’ils correspondent à ceux d’un contrat de prêt « basique », c’est-à-dire un contrat dans lequel l’intérêt consiste principalement en une contrepartie pour la valeur temps de l’argent et pour le risque de crédit. Selon la norme IFRS 9, l’intérêt peut aussi comprendre une contrepartie pour d’autres risques et frais qui se rattachent à un prêt « basique », comme par exemple le risque de liquidité et des frais d’administration, de même qu’une marge. Les majorations du taux d’intérêt conçues pour compenser uniquement ces facteurs sans créer d’exposition à d’autres risques ou une volatilité qui sont sans rapport avec un contrat de prêt « basique » ne causent pas l’échec du test SPPI et donc ne contraignent pas à évaluer l’actif financier à la juste valeur. Par contraste, les majorations qui répondent, ou apportent une compensation en réponse à des événements économiques qui ne sont pas en ligne avec celles d’un prêt « basique » (comme par exemple, une indexation sur le prix d’une matière première) donnent lieu à des flux de trésorerie dits non-SPPI.

Toutefois, l’application de la norme IFRS 9 rend nécessaire l’exercice du jugement. Les analyses et conclusions doivent être documentées, en recherchant conseil et assurance en cas de doute.

Que doivent prendre en compte les émetteurs ?

Du côté des émetteurs, les normes IFRS applicables continuent de se fonder sur les principes de la norme IAS 39, c’est-à-dire qu’une clause de majoration du taux d’intérêt dans un instrument ESG devra être évaluée de manière à déterminer si elle représente un instrument dérivé incorporé à comptabiliser séparément. Dans ce cas, l’émetteur détient deux instruments financiers : un contrat hôte qui est évalué au coût amorti, et un instrument dérivé qui est évalué à la juste valeur (à moins que l’émetteur ne désigne l’intégralité du contrat comme étant à la juste valeur par le biais du résultat net). Une clause de majoration dans un instrument ESG est donc comptabilisée séparément à la juste valeur si cumulativement elle répond à la définition d’un dérivé et la majoration n’est pas considérée comme étroitement liée aux caractéristiques économiques et aux risques du contrat hôte (l’instrument ESG).

Quand bien même un dérivé n’est pas comptabilisé séparément, l’application d’une majoration du taux d’intérêt pourrait néanmoins induire de la volatilité (via l’actualisation des flux de trésorerie futurs ajustés de cette majoration). Le traitement comptable et les impacts dépendent des faits et circonstances propres à chaque situation :

  • Certaines clauses de majoration du taux d’intérêt pourraient ne pas répondre à la définition d’un dérivé financier car la variable sous-jacente qui détermine la valeur de cette clause est « non financière » et « spécifique » à l’émetteur. Ce serait par exemple le cas d’un ajustement du taux d’intérêt prenant effet lorsqu’un engagement social spécifique de l’émetteur n’est pas atteint.
  • Par ailleurs, certaines clauses pourraient répondre à la définition d’un dérivé mais être considérées comme étroitement liées au contrat hôte (par exemple, les clauses dont on peut estimer qu’elles reflètent effectivement les changements de la qualité de crédit de l’émetteur). Dans ce cas, ces clauses ne doivent pas être comptabilisées séparément.


L’analyse d’une clause de majoration du taux d’intérêt dans un instrument ESG afin de déterminer si les caractéristiques économiques et les risques de ce dérivé sont étroitement liées au contrat hôte nécessite l’exercice du jugement.

Pour conduire cette analyse, les émetteurs peuvent par exemple analyser si le dérivé remplit les caractéristiques associées à un contrat de prêt « basique », telles que présentées ci-dessus pour les investisseurs (paragraphe B4.1.7A de la norme IFRS 9).

Il est important que les émetteurs portent une attention particulière à ces caractéristiques contractuelles, qu’ils les analysent et documentent leurs conclusions en prenant les mesures appropriées si nécessaires.

Comment couvrir les risques liés aux instruments ESG ?

Il peut être opportun, pour les émetteurs comme pour les investisseurs, d’entrer dans des transactions de couverture pour répondre aux risques du marché inhérents aux instruments ESG. Par exemple, certains émetteurs ont une politique de couvrir des prêts à taux fixe. Dans l’hypothèse où un instrument ESG est comptabilisé au coût amorti et qu’un contrat de swap de taux d’intérêt est conclu, un nouveau risque d’exposition à la volatilité apparaît dans le compte de résultat du fait que le swap doit être évalué à la juste valeur par le bais du résultat net. La mise en place d’une comptabilité de couverture formelle et conforme aux obligations des normes IFRS est alors nécessaire pour atténuer cette volatilité.

La comptabilité de couverture sous IFRS nécessite une documentation et un suivi de l’instrument de couverture et de l’élément couvert. Dans ce contexte, il se pourrait que les majorations de taux d’intérêt dans un instrument ESG ne se retrouvent pas dans le contrat du swap de taux d’intérêt. Ainsi, il pourrait être nécessaire de désigner soigneusement le risque couvert.

Par exemple, un émetteur cherchant à couvrir les flux de trésorerie d’un prêt à taux variable pourrait ne désigner que les variations de flux de trésorerie attribuables aux changements du taux de référence et laisser la marge (et donc la clause de majoration du taux d’intérêt) non couverte. Alternativement, on peut voir émerger des swaps de taux d’intérêt qui incorporent des majorations de taux d’intérêt liées aux critères ESG.

Deloitte est l’un des principaux fournisseurs de services d’assurance

Deloitte est à l’avant-garde des développements relatifs aux problématiques ESG. En particulier, en matière de conformité aux normes IFRS, nous travaillons à la fois avec des émetteurs et des investisseurs en leur apportant des services de conseil et d’assurance sur des sujets comme le classement et l’évaluation des instruments financiers, les écritures comptables, la documentation des principes et méthodes comptables et/ou des relations de couverture.