Point de vue

Le passage à la vaisselle réutilisable, un challenge pour les modèles opérationnels de la restauration rapide

À compter du 1er janvier 2023, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi Agec) imposera aux établissements de restauration de passer à la vaisselle réemployable. En plus d’être une exigence légale et réglementaire, c’est également une demande des consommateurs dont les attentes en matière de réduction des déchets grandissent fortement.

Article co-rédigé avec Pascale Berry, Senior manager au sein des équipes Sustainability de Deloitte France.


Cette obligation concerne l’ensemble des points de vente avec une activité de restauration, qu’elle soit en intérieur ou en extérieur, principale ou accessoire, dès lors qu'elle permet de restaurer simultanément au moins 20 personnes. Ces établissements seront donc tenus de servir les repas et boissons dans de la vaisselle réemployable. 

L’article L541-15-10 du code de l’environnement précise que l’obligation portera sur les emballages associés aux aliments, c’est-à-dire : 

  • Les contenants pour boissons (gobelets et leurs moyens de fermeture et couvercles) ;
  • Les assiettes et récipients alimentaires ; 
  • Les couverts.

Si la presse parle essentiellement de la restauration rapide, c’est bien tout le secteur de la restauration qui est concerné. Cependant, il reste de nombreuses précisions à apporter sur le périmètre : qu’est-ce que la loi entend par « permettre de restaurer simultanément au moins 20 personnes » ? Est-ce une capacité de 20 places assises ? Les mange-debout sont-ils concernés ?
 

 

Une réduction des déchets de près de 100 000 tonnes par an

Les enseignes de restauration rapide servent six milliards de repas par an dans plus de trente mille points de vente sur tout le territoire1. Selon le document de référence « La loi anti-gaspillage dans le quotidien des Français : concrètement ça donne quoi ? »2 publié en septembre 2021 par le ministère de la Transition écologique, le secteur de la restauration rapide produit chaque année en France 180 000 tonnes d’emballages, immédiatement jetés après utilisation. Parmi ceux-ci, 55 %3 seraient liés à la restauration sur place. 

Cette mesure aura donc pour premier effet de limiter de presque 100 000 tonnes le volume des déchets de ce secteur, ce qui constituera un gain immédiat en limitant les impacts environnementaux associés à leur traitement (transport, recyclage, valorisation ou mise en décharge/incinération). 

Bien que ce transfert vers la vaisselle réutilisable pour les acteurs de la restauration soit une démarche environnementale positive que les consommateurs apprécieront, elle ne résout qu’une partie du problème. En effet, en France en 2018, 1,69 millions de tonnes d’emballages étaient mises sur le marché par l’ensemble des établissements de restauration (emballages pour la vente à emporter, emballages restant en cuisine, etc.).4



Source : Ademe, État des lieux des emballages liés à la restauration, février 2022

 

Un changement de paradigme total de la restauration rapide 

La transformation du modèle des emballages jetables aux emballages réutilisables nécessite un véritable changement de paradigme et d’organisation. En effet, il ne s’agit pas que d’un changement de contenants mais d’une transformation majeure de l’organisation et des process sur l’ensemble des métiers de la restauration. 

Les restaurants doivent choisir des contenants appropriés à leurs spécificités. Si l’offre s’avère pour le moment peu développée, un approvisionnement Europe/France reste cependant possible et recommandé pour un bilan environnemental positif. Le choix des matériaux doit être évalué selon différents critères : santé des utilisateurs, résistance à la chaleur, à la casse, au lavage, bilan carbone, capacité de recyclage, etc. Il est important de trouver l’équilibre entre le niveau de qualité des contenants, affectant le nombre d’utilisations potentiel, et le taux de démarque anticipé, lié au vol par les consommateurs ou aux erreurs de tri. 

Ce changement de contenants s’accompagne de la mise en place de nouveaux « gestes métiers » en restaurant. Les équipes doivent ainsi être formées à l’utilisation des contenants réutilisables dans la préparation des produits. De nouveaux process sont également à définir pour la collecte et le stockage des contenants utilisés par les clients. Concernant le lavage de cette vaisselle, deux options sont envisageables (lavage internalisé ou externalisé) et à évaluer en fonction du coût, de la dispersion du réseau ou encore des spécificités immobilières des restaurants. Enfin, il est nécessaire de trouver des solutions pour stocker des contenants plus volumineux dans des espaces souvent restreints.

Pour réussir cette transition à la vaisselle réutilisable, il est capital de limiter les vols et les pertes de contenants. Pour cela, il faut accompagner les consommateurs aux nouveaux gestes de tri, avec un dispositif de récupération de la vaisselle très clair, accompagné d’une communication bien visible. La consigne peut également être étudiée pour optimiser le retour des contenants. 

 

 

Les éléments clés pour réussir la transformation du modèle opérationnel

À la suite de différentes missions réalisées pour plusieurs acteurs du secteur, nous avons identifié 3 bonnes pratiques pour répondre aux challenges mentionnés précédemment.

Il faudra tout d’abord bien travailler le choix des contenants, et notamment :


Que les restaurants soient homogènes ou hétérogènes, il faudra toujours
tester les process par l’intermédiaire d’un ou plusieurs restaurants pilotes, sans nécessairement attendre les contenants définitifs. Ces pilotes permettront également d’évaluer la performance des dispositifs de récupération de la vaisselle et de la communication associée, en suivant de près la démarque.   

Enfin, il est essentiel d’anticiper le fait que cette transformation pourra dans le futur concerner également la vente à emporter, et de choisir des solutions qui seront toujours pertinentes à ce moment-là.

 

 

Une réglementation qui pourrait s’étendre au-delà de la consommation sur place

La réglementation française continue d’évoluer dans le sens de la réduction des déchets et de la promotion du réemploi des emballages avec notamment la mise en place de la consigne. Cette dernière, qui avait quasiment disparu avec l’apparition des emballages jetables, connait en effet un regain de croissance. Ainsi, au-delà de la restauration sur place, la restauration livrée et la vente à emporter sont aussi sujettes à ces évolutions. 

Les articles 41, 42 et 44 de la loi Agec obligent depuis le 1er janvier 2021 les commerçants de détail et les restaurateurs de la vente à emporter à accepter les contenants apportés par les clients pour être servis, sous réserve de propreté. Ils doivent aussi obligatoirement proposer des réductions sur la vente de boissons si le client utilise son propre contenant.   

De son côté, l’article 24 de la loi "Climat et Résilience" du 22 août 2021 prévoit la possibilité de mettre en place des expérimentations de systèmes de consignes pour la restauration livrée qui est une forte émettrice de déchets d’emballages. Cette expérimentation peut être rendue obligatoire pour tous par décret sur certains territoires. Par cette loi, l’État souhaite apporter plus de soutien au système de la consigne.

Par ailleurs, le décret n° 2022-507 du 8 avril 2022 en application de la loi Agec 2020 définit pour les années 2023 à 2027 la proportion minimale d'emballages réemployés à mettre sur le marché annuellement en France afin d'atteindre les objectifs de réemploi fixés par l'article L541-1 du code de l'environnement, soit 5 % en 2023 et 10 % en 2027 (pour les producteurs déclarant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros). 

Face à ces évolutions réglementaires, les acteurs de la restauration s’organisent pour s’adapter. En février 2021, 19 acteurs du secteur de la restauration livrée ont ainsi signé une charte d’engagement5 avec le ministère de la Transition écologique afin de formuler des propositions concrètes au Gouvernement pour réduire la quantité de déchets que génère leur secteur. Ils ont été rejoints par 15 nouveaux acteurs en juillet 2021 et 4 autres en mars 2022. Parmi les signataires, on retrouve notamment UberEats, Deliveroo, Frichti, Nestor, Popchef, Uzaje, GreenGo, Reconcil, Pyxo, bioburger ou encore Planet Sushi. Plusieurs mesures phares ont été annoncées :

  • Un objectif de 50 % des emballages livrés sans plastique à usage unique d’ici le 1er janvier 2022 puis 70 % au 1er janvier 2023 ;
  • La fin de la livraison systématique de couverts et de sauces dès le 1er mars 2021 ;
  • Le lancement de 12 expérimentations de réemploi des contenants pour plats, notamment des dispositifs de consigne ;
  • Un objectif de 100 % d’emballages recyclables au 1er janvier 2022.