Point de vue

Les contrats de performance environnementale, accélérateurs de la transition des chaînes d’approvisionnement

Un article co-rédigé par Albane Aupècle, Ema Darthiail, Eugénie Duféy et Céline Kochinyan, des équipes Sustainability de Deloitte France.

Merci à la Ville de Lille et à CDC Biodiversité d’avoir partagé leurs expériences avec nous.

Crises géopolitiques ou sanitaires, événements climatiques extrêmes, violation des droits humains fondamentaux… Autant d’éléments qui fragilisent les chaînes d’approvisionnement et conduisent à un renforcement de la réglementation sur la responsabilité du premier donneur d’ordre. Les lois française et européenne portant sur le devoir de vigilance rendent par exemple les entreprises responsables de leurs chaînes d’approvisionnement amont et les contraignent à prendre des mesures effectives pour prévenir les atteintes à l’environnement ainsi qu’aux droits humains et du travail.

Néanmoins, face à la complexité des chaînes d’approvisionnement de beaucoup d’industries, composées de nombreux fournisseurs et sous-traitants, dont les implantations géographiques ne sont pas toujours connues et en l’absence (à quelques exceptions près) de jurisprudence, les entreprises se heurtent à la difficulté d’engager les fournisseurs d’une chaîne d’approvisionnement au-delà de leurs fournisseurs directs (« rang 1 »).

Si dialoguer avec les fournisseurs de rang 1 reste un prérequis ([#4 Traçabilité] L’impérative nécessité du dialogue fournisseurs pour transformer les filières (deloitte.com), il semble essentiel de trouver des moyens plus systématiques de garantir la performance environnementale et sociale des fournisseurs de tous rangs. Les clauses de performance environnementales liées au prix, inscrites dans tout contrat avec un fournisseur direct, pourraient constituer une réponse adéquate à cette difficulté opérationnelle.

 

Qu’est-ce qu’un contrat de performance environnementale ?


Les contrats de performance se sont multipliés avec l’essor de ce que l’on nomme «
l’économie servicielle » dont le principe est de monnayer la valeur d’usage d’un bien plutôt que le bien lui-même. L’avènement d’entreprises fondées sur le partage de biens comme AirBnb, Uber, Blablacar ou, plus simplement, les laveries automatiques, témoigne de l’intérêt de ces modes de consommation – malgré leur bilan social parfois contesté en raison de la précarité du statut des travailleurs.

Dans ce cadre, les contrats de performance permettent de réduire le besoin de production matérielle : le fournisseur d’un bien a en effet intérêt à en maximiser la durée de vie (en luttant contre l’obsolescence programmée) plutôt qu’à produire ou acheter de nouveau.

Le contrat de performance environnemental engage le fournisseur à améliorer en particulier l’empreinte carbone, énergétique, biodiversité, eau (…) de son produit, au même titre que sa qualité ou son délai de livraison. La rémunération du fournisseur est alors directement indexée sur la performance environnementale réalisée,par rapport à des objectifs préalablement déterminés entre les parties. Le fournisseur limite ainsi les déchets, l’extraction et l’utilisation de ressources matérielles et réduit les émissions de gaz à effet de serre liées à sa production.
 

  • Dans le secteur public, le marché de l’énergie a intégré très tôt aux pratiques courantes l’usage de ces contrats, passant de la vente d’énergie à la vente de performance énergétique, grâce à la création par l’Union européenne en 2006 des contrats de performance énergétique (CPE) régulés par l’Etat.
  • Autre exemple : le contrat de performance environnementale conclu entre la ville de New York et Veolia1 en 2012 visait à améliorer la performance de gestion et de maintenance des services publics d’eau et d’assainissement de la ville, tout en réduisant les coûts de fonctionnement et en préservant les emplois locaux. A l’aide de ce contrat de performance d’une durée de 4 ans, la ville de New York avait pour objectif d’économiser 100 à 200 millions de dollars par an sur les coûts de gestion et de maintenance qui présentaient un budget de 1,2 milliard de dollars. La rémunération de Veolia était calculée selon les gains de performance réalisés.
  • Dans la gestion des déchets, l’agglomération de Montauban a conclu avec Suez en 20212 un contrat de performance environnementale qui rémunère en partie l’entreprise non plus selon la quantité de déchets traités, mais selon l’atteinte d’objectifs de réduction des déchets produits et l’amélioration des taux d’emploi et d’insertion sur le territoire grâce à des partenariats entre les acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire et Suez. Après 11 mois de mise en place, le volume collecté d’encombrants a été réduit de 31 %, de 17 % pour les déchets verts, de 7 % pour les ordures ménagères et de 5 % pour la collecte sélective des emballages.
    L’article 35 de la loi française climat et résilience a introduit en 2021 l’obligation pour les acheteurs et les autorités concédantes d’intégrer des clauses environnementales dans les marchés publics et de retenir au moins un critère d’attribution prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Ainsi, une offre pourra être jugée plus ou moins pertinente selon son impact environnemental, au-delà des seuls facteurs du prix, de la qualité et des délais de livraison jusqu’ici pris en compte. Dans son rapport du 15 février 20223 relatif à l’application de la réglementation en matière de marchés publics, l’Observatoire économique de la commande publique estime que 18,6 % des marchés publics comportaient une clause environnementale en 2019.
  • Le secteur privé a quant à lui su faire de ces contrats des avantages concurrentiels dans les appels d’offre. Lorsque Michelin, dans son offre Effifuel4 lancée en 2013, vend aux entreprises du transport un engagement de performance sur la réduction de la consommation de carburant plutôt que des pneus, il met tout en œuvre pour produire les pneus les plus résistants possibles et améliorer l’efficacité des trajets de ses clients. En deux ans, cette offre a couvert 2 millions de pneus en Europe et les premiers contrats ont permis d’économiser 1,5 litre aux 100 km sur un an.

 


Comment fonctionne le contrat de performance environnementale ?
 

Le contrat de performance environnementale est fondé sur une obligation de résultat environnemental ou social du prestataire de service ou du fournisseur, liée à la clause de prix.

Quatre étapes constituent des facteurs clés de succès dans la mise en œuvre de ce type de contrats.



Choisir l’objet de l’obligation de résultats sociaux ou environnementaux du fournisseur en priorisant les impacts sur lesquels portera la clause de performance environnementale ou sociale : transparence/traçabilité, éco-conception, bilan carbone du produit et/ou du transport, empreinte biodiversité du site de production, création d’emplois, développement de la protection des travailleurs…



Déterminer la modalité de rémunération de la performance environnementale ou sociale du fournisseur. Plusieurs niveaux d’ambition sont envisageables entre le fournisseur et son client :


  • - Le paiement d’une pénalité encourage le fournisseur à atteindre ses objectifs pour ne pas perdre une partie de sa rémunération ;
  • - Le versement d’une prime permet de récompenser l’atteinte des objectifs ;
  • - Le partage du coût environnemental ou social évité entre donneur d’ordre et fournisseur responsabilise davantage les deux parties au contrat en les incitant à travailler main dans la main pour l’atteinte des objectifs ;
  • - La libération d’une partie du paiement du prix à l’atteinte des objectifs est certainement la modalité la plus ambitieuse car elle remet les enjeux ESG au cœur des obligations contractuelles du fournisseur. Dans les exemples étudiés chez nos clients, 10 % du prix est libéré à l’atteinte des objectifs.




Définir les objectifs, qualitatifs ou quantitatifs, mais évaluables, du fournisseur dans ses engagements.




Préciser le dispositif d’évaluation de la performance : temporalité, indicateurs, outils de mesure et processus de récupération des données, possibilités d’accompagnement… Le reporting du fournisseur doit donc également devenir une obligation contractuelle car il permet de déterminer s’il a rempli ses obligations de performance sociale ou environnementale et, le cas échéant, d’anticiper des plans de progrès.



Pourquoi le contrat de performance environnementale peut devenir un levier de transformation des chaînes d’approvisionnement et d’application de la loi sur le devoir de vigilance, auprès des fournisseurs de tous rangs ?


Que ce soit pour son impact carbone, son empreinte biodiversité, sa gestion des déchets ou sa responsabilité sociale, le bilan du fournisseur de rang 1 dépend souvent de celui de ses propres fournisseurs. En faisant porter une obligation de résultat liée au prix en matière de performance environnementale ou sociale par le fournisseur de rang 1, on joue « l’effet domino » contractuel en l’incitant à reporter la même obligation sur le rang 2 et ainsi de suite…

La mise en œuvre de contrats de performance environnementale et sociale apparaît donc comme un outil non suffisant mais fondamental pour engager, par un effet domino, tous les rangs de fournisseurs dans la transformation de leurs pratiques.
 

Conclusion
 

L’expression anglaise « Scope 3 » désigne l'exigence de calcul et de réduction de l’empreinte carbone liée aux chaînes d’approvisionnement et de distribution d’une organisation. Cette exigence est habituellement transmise par les entreprises à leurs fournisseurs directs.

Or aujourd’hui, les éléments qui fragilisent ces chaînes sont variés et évolutifs, et dépassent largement le premier rang de fournisseurs : difficultés d’approvisionnement en matières premières, impératifs réglementaires de décarbonation, conséquences légales et sociales des emprises au sol des sites de production, violations des droits humains et du travail dans les chaînes d’approvisionnement, etc.

Anticiper et répondre aux risques liés à ce « Scope 3 élargi » sont désormais des nécessités stratégiques pour les entreprises.

Le véritable défi des Directeurs Achats réside dans la mise en œuvre, jusqu’aux fournisseurs de matières premières, des stratégies d’achats durables qui ont fleuri ces dernières années et leur ancrage opérationnel dans le quotidien du métier d’acheteur.

Pour cela, faire évoluer les processus de prise de décisions (prix carbone intégré aux achats), de dialogue fournisseurs ou de contractualisation (critères de sélection des fournisseurs et contrat de performance environnementale et sociale), est incontournable.

Témoignages et partage de bonnes pratiques



Business Wire, Veolia Eau signe un contrat de partenariat avec la Ville de New York pour l’optimisation de ses services publics d’eau et d’assainissement, avril 2012.

Suez,  Réduction des déchets : 1ers résultats positifs du contrat de performance pionnier entre Le Grand Montauban Communauté d’Agglomération et SUEZ, décembre 2022.

Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Rapport à la commission européenne relatif à l’application de la réglementation en matière de marchés publics pour la période 2017-2019, février 2022.

4 Les Echos, Michelin accélère dans les services et l’innovation, février 2015.

5 Métropole de Lille, La MEL adopte une politique de l’eau inédite en Europe, mai 2023