Les banques canadiennes publient leurs résultats cette semaine et, jusqu’à maintenant, les chiffres sont catastrophiques. Il est quand même bon de rappeler que l’une des forces du Canada est la robustesse de son secteur financier. Lors de la crise financière de 2008-2009, aucune banque n’a nécessité d’opération de sauvetage. Au Canada, en général, les pratiques d’octroi de prêts sont plutôt prudentes. Peu de prêts sont consentis aux emprunteurs à risque. Les hypothèques sont des prêts avec recours, où le prêteur peut saisir des actifs en toute légalité pour compenser un manque à gagner dans la valeur du prêt. Une forte proportion des hypothèques sont quasi garanties par le gouvernement. Les besoins d’emprunt des sociétés commerciales peuvent être répartis entre les banques à charte et l’une des sociétés d’État, soit la Banque de développement du Canada (BDC) ou Exportation et développement Canada (EDC). Donc, même si nous connaissons actuellement le pire ralentissement depuis la Grande Dépression, les banques canadiennes devraient disposer d’amplement de fonds pour éponger les pertes de crédit prévues. Elles auront d’autant plus de réserves du fait que, en vertu des nouvelles normes comptables IFRS 9, les provisions pour pertes sur prêts sont réparties progressivement sur la durée de vie des prêts. Cela dit, il y aura inévitablement des pertes. Et elles seront considérables.
Malgré la multitude de programmes gouvernementaux visant à soutenir l’économie, des entreprises feront faillite. Je m’attends à ce que le Canada perde un grand nombre de petites et moyennes entreprises. Certaines grandes entreprises basculeront aussi vers la faillite.
Les politiques adoptées en réaction à la crise visaient essentiellement à accorder un accès adéquat au crédit pour assurer la survie des entreprises. Cette approche donnera forcément lieu à un fort endettement des entreprises, dont certaines auront tôt ou tard de la difficulté à respecter leurs engagements financiers.
Sur le plan personnel, la contraction économique a entraîné des pertes d’emploi et de revenu. Les banques permettent à de nombreuses personnes de reporter leurs versements hypothécaires, mais lorsque ces mesures prendront fin, ce fardeau financier pèsera de nouveau sur elles. Les Canadiens étaient déjà fortement endettés avant le début de la pandémie; aussi, le fardeau du service de la dette, exprimé sous forme de paiements d’intérêt et de capital relativement au revenu après impôt, sera plus élevé dans la foulée de la crise à cause des revenus en baisse et du chômage en hausse.
C’est pour cette raison que les banques canadiennes rapportent un net recul de leur bénéfice, en constituant des provisions pour des pertes de crédit plus importantes. La Banque Scotia a publié hier ses résultats du deuxième trimestre, tandis que la RBC et la BMO lui ont emboîté le pas aujourd’hui.
Le bénéfice de la RBC a reculé de 54 % au deuxième trimestre financier, la banque ayant mis de côté 2,83 milliards de dollars aux fins des provisions pour perte de crédit. Cette somme représente 1,65 % du portefeuille de prêts, ce qui est plus élevé qu’au sommet de la crise financière de 2008-2009. C’est aussi une augmentation spectaculaire par rapport au taux de 0,29 % qui était prévu il y a un an.
La BMO a également fait état d’un recul de 54 % de son bénéfice, alors qu’elle a constitué des provisions pour des pertes éventuelles sur prêts de 1,1 milliard de dollars.
Il importe de souligner qu’il ne s’agit pas ici de défauts de remboursement ou de radiations. Il s’agit de fonds qui sont réservés en prévision des défauts de remboursement qui, en ce moment, apparaissent très probables.
Il y aura un débat à savoir si les banques ont mis suffisamment de fonds de côté en prévision des pertes futures. Cela dépendra en grande partie de la façon dont se déroule la relance de l’économie et de ce qui arrivera lorsque les programmes temporaires de soutien des revenus et des salaires prendront fin. Compte tenu du niveau élevé d’endettement des ménages, la vulnérabilité est grande et nous ne devrions pas sous-estimer les risques.
Je reviens à mon point de départ. Ayant participé à de nombreux exercices de tests de résistance financière des banques, je crois que les banques canadiennes ont les reins assez solides pour éponger des pertes sur prêts encore plus élevées que prévu. Le risque le plus important découlant du fort endettement des ménages n’est pas la faillite des banques, ni même le risque systémique connexe pour le système financier, mais bien les conséquences sur la reprise économique et, du coup, notre niveau de vie. Si les provisions bancaires actuelles s’avèrent adéquates, les pertes sous-jacentes suggèrent des difficultés financières importantes, mais ne devraient pas fortement nuire à la reprise. On ne pourra pas en dire autant si les provisions se révèlent largement insuffisantes en raison de ce qui promet d’être un nombre sans précédent de défauts de remboursement.
Sur la scène mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a indiqué que l’investissement énergétique mondial devrait reculer d’environ 20 % cette année – une détérioration flagrante par rapport à la hausse de 2 % anticipée en début d’année. Le secteur canadien de l’énergie ne sera pas épargné. Les sociétés d’énergie au pays ont déjà réduit leurs investissements et diminué leur production. Comme on le dit si bien, la solution à la faiblesse des prix du pétrole, c’est la faiblesse des prix du pétrole. L’offre réduite permettra de renouer avec des prix se situant à des niveaux plus économiques. Les prix du pétrole brut sont remontés au cours des dernières semaines, alors que le prix de référence du WTI est passé de moins de 20 $ US à près de 32 $ US le baril. Toutefois, celui-ci demeure inférieur au niveau de 45 $ US d’avant le début de la réunion de l’OPEP en mars. Même s’il est souvent question des occasions de tirer parti de cette crise pour favoriser le virage vers une économie plus verte, il convient de souligner qu’une solide reprise économique au Canada n’est pas possible sans la participation à part entière du secteur de l’énergie.