La chute des prix du pétrole brut sur les marchés se poursuit et a de graves conséquences pour le secteur canadien de l’énergie. Le prix du baril américain West Texas Intermediate (WTI) pour livraison à Cushing, en Oklahoma, a plongé sous les 7 $ US avant de rebondir à plus de 13 $ US à la fermeture des marchés – une baisse de 36 % par rapport à la fermeture d’hier. Le pétrole Western Canada Select, dont le prix est habituellement inférieur au WTI, s’est vendu à environ 5 $ US par baril. Cette chute des prix du pétrole reflète les préoccupations continues sur le marché à l’égard de l’augmentation des stocks de pétrole malgré une demande mondiale très faible.
Hier, j’ai indiqué que les contrats à terme de WTI pour livraison en mai sont arrivés à échéance avec un résultat négatif, c’est-à-dire -37 $ US par baril, pour la toute première fois.
Aujourd’hui, de nombreux clients me demandent de leur expliquer cette absurdité. Afin de comprendre ce prix négatif, il faut comprendre les marchés des contrats à terme. Un contrat à terme permet à son propriétaire de recevoir des barils de pétrole à une date et à un emplacement déterminés à l’avance (la livraison du pétrole WTI se fait à Cushing, en Oklahoma). Les investisseurs qui possédaient des contrats avec échéance en mai misaient sur la possibilité que la demande reprenne ou que l’approvisionnement diminue, ce qui augmenterait les prix et leur permettrait de générer un profit. La majorité des investisseurs n’avaient pas l’intention de recevoir physiquement ce pétrole. Cependant, la demande est demeurée faible et l’approvisionnement s’est maintenu à un niveau semblable.
À Cushing, où la majorité du pétrole WTI est entreposé dans 15 espaces de stockage, les stocks ont augmenté de 48 % depuis février, ce qui a pour conséquence d’accroître la valeur des capacités de stockage. En raison des coûts de stockage exorbitants, les investisseurs n’ont pas d’autre choix que de payer pour résilier leur contrat. À l’inverse, les vendeurs qui ont des capacités de stockage excédentaires génèrent d’énormes profits, car ils peuvent mettre en vente ce pétrole en signant des contrats à terme venant à échéance en juin, dont la valeur se situait à 20 $ US hier.
L’étrange chute à un prix négatif qui a eu lieu hier était causée par le fait que les contrats à terme peuvent être reportés d’un mois à l’autre vers le 20e jour de chaque mois, ce qui a encouragé les propriétaires à reporter l’expédition du pétrole au mois suivant. Ceci explique également la panique liée aux positions de sortie qui ont eu lieu hier. Autrement dit, il s’agissait d’un événement technique causé par l’expiration des contrats. Cet événement ne reflétait pas la valeur économique réelle du pétrole brut.
Cependant, les ventes d’aujourd’hui représentent en grande partie un événement non technique et le prix signale la valeur du pétrole dans le cadre d’une récession mondiale causée par la pandémie. Elle met en évidence le déséquilibre continu lié à l’augmentation des stocks et à la réduction des capacités de stockage malgré le fait que l’OPEP a récemment annoncé une réduction de la production du pétrole.
Cela s’ajoute aux pressions intenses que subit déjà le secteur canadien de l’énergie, ce qui a des répercussions importantes sur l’économie canadienne.
En 2019, le secteur pétrolier et gazier canadien a engendré des retombées économiques de 110 G$, ce qui représente 5,6 % du PIB. Le secteur a également soutenu près de 528 000 emplois directs et indirects en 2017. De plus, la vente des produits génère des revenus importants pour les gouvernements. En effet, le secteur pétrolier et gazier a généré chaque année de 2016 à 2018 des revenus moyens de 8 G$ qui ont contribué à garnir les coffres des gouvernements provinciaux et fédéral.
Depuis 2015, de nombreuses sociétés canadiennes du secteur de l’énergie ont réduit leurs coûts d’exploitation en raison de la baisse des prix du pétrole, ce qui laisse peu de place à d’autres réductions. Les producteurs ont réduit leur offre, mais beaucoup de sociétés doivent maintenir leur niveau de production pour couvrir leurs dépenses et éviter les coûts liés au redémarrage après une interruption. Les investissements en capital du secteur de l’énergie qui représentaient 28 % des investissements canadiens en 2014 ont chuté presque de moitié en 2018. Cette tendance était contraire à celle observée aux États-Unis où les investissements dans le pétrole et le gaz ont considérablement augmenté en raison de l’exploitation du gaz de schiste.
Dans nos perspectives économiques, nous présumons que les activités économiques actuellement interrompues reprendront graduellement en Europe et en Amérique du Nord cet été et que la demande mondiale s’accroîtra au deuxième semestre. Cela devrait mettre fin à la débâcle et permettre aux prix du pétrole brut de regagner un peu du terrain perdu. Néanmoins, les prix du pétrole demeureront faibles. En effet, nos cibles pour la fin de l’année sont presque deux fois moins élevées que les cibles que nous avions établies en début d’année.
Ces différents éléments freineront les activités économiques canadiennes, mettront fin à des emplois bien rémunérés et nuiront aux revenus des gouvernements à tous les niveaux. Comme nous l’avons mentionné hier, les mesures de relance budgétaires et monétaires annoncées jusqu’à maintenant aideront le secteur de l’énergie, mais la situation sera toujours désastreuse pour de nombreuses sociétés. Par conséquent, les décideurs politiques devront peut-être envisager un programme comparable au programme TARP des États-Unis qui a servi à soutenir le système financier en 2008. Cette fois, par contre, le programme pourrait permettre d’acheter ou d’assurer les actifs en difficulté du secteur canadien de l’énergie.
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