Expertise
Décoder le recul du secteur pétrolier et gazier
Perspective canadienne
Une utilisation plus avertie de la technologie et des réactions innovantes à la dynamique du marché aide les sociétés pétrolières et gazières du monde entier à renouer avec les niveaux de rendement antérieurs au recul du secteur, voire à dépasser ces niveaux, mais les intervenants de la chaîne de valeur – en aval, en amont tout comme dans le segment des entreprises de services – ne se redressent pas tous au même rythme. Pour que le secteur pétrolier et gazier regagne la confiance des investisseurs et se rétablisse complètement, il est essentiel de remédier à ces disparités.
Cela dit, le contexte canadien reste unique. La capacité du secteur canadien de prendre des décisions éclairées pour composer avec un épisode de bas prix plus long que prévu aussi bien qu’avec un climat d’incertitude durable requiert un examen plus approfondi des sous-secteurs locaux.
En nous inspirant d’une étude récente sur le secteur mondial du pétrole et du gaz menée par des spécialistes de l’énergie de Deloitte, nous avons produit une série de courts commentaires sur les principaux thèmes de cette étude, qui traitent des disparités et du déséquilibre du marché dans une perspective canadienne, en mettant l’accent sur des facteurs propres au Canada. Nous espérons que ces commentaires seront utiles aux parties prenantes du secteur pétrolier et gazier pour qu’elles puissent prendre des décisions pleinement éclairées à l’heure où les perturbations sont incessantes.
Décoder le recul du secteur pétrolier et gazier : un point de vue canadien
Dans notre rapport mondial intitulé Decoding the O&G downturn, nous notons que pour s’adapter aux enjeux de l’avenir, le secteur [pétrolier et gazier] doit se doter d’un écosystème productif et vigoureux de producteurs, de fournisseurs de services, de transporteurs et distributeurs, d’entreprises de raffinage et de spécialistes du marketing. En clair, le secteur du pétrole et du gaz ne retrouvera son dynamisme d’antan que si la chaîne de valeur pétrolière et gazière dans son entièreté – les entreprises en amont, les services pétroliers, les entreprises intermédiaires, les raffineries et les spécialistes du marketing – exerce ses activités avec un niveau d’efficience élevé. Sinon, les gains liés à la reprise qui succédera au marasme qui règne dans le secteur depuis la fin de 2014 ne profiteront qu’à quelques privilégiés, alors que les pertes seront plus ou moins ressenties par tout l’écosystème.
Les déséquilibres de l’écosystème continuent d’entraver la relance, la capitalisation boursière reste faible et le secteur dans son ensemble peine à attirer des investissements. Et ce, en dépit du fait que :
-
l’économie mondiale a enregistré une croissance de 23 % pendant la même période;
-
le secteur mondial du pétrole et du gaz a dégagé plus de flux de trésorerie disponibles en 2018 qu’en 2013;
-
le rendement des capitaux investis (RCI) est pour l’essentiel revenu aux niveaux antérieurs au recul du secteur (6,9 % en 2018 comparativement à 7,3 % cent en 2013)1.
Comme si cela n’était pas suffisant, le secteur canadien fait également face à des pressions systémiques internes, soit la sous-capacité des infrastructures liées au transport du pétrole brut, l’instabilité permanente des investisseurs, l’incertitude attribuable aux obstacles réglementaires, les taxes sur le carbone, l’accélération de la demande de capacités de transport d’énergie de rechange et un mouvement mondial généralisé en faveur du désinvestissement2.
Au Canada, le contexte global des affaires s’est transformé au cours des cinq dernières années pour les sociétés pétrolières et gazières. Les États-Unis, qui sont le principal consommateur de pétrole et de gaz canadiens, sont en voie de devenir le plus important producteur mondial. L’activité se déplace des gisements canadiens de réserves non classiques (p. ex., Bakken, Cardium et Viking) vers le bassin permien aux États-Unis. La hausse de l’escompte par rapport au WTI continue de se faire sentir malgré un escompte déjà élevé. La réglementation environnementale se resserre. Enfin, les investissements internationaux dans de nombreux projets de sables bitumineux et certains projets de GNL sont en déclin.
Résultat? La part de la capitalisation boursière que représentent les sociétés pétrolières et gazières canadiennes a atteint 6,4 %, son plus bas niveau des dix dernières années, (comparativement à 7,5 % avant le recul du secteur) en dépit du fait que le Canada fait partie des pays qui possèdent les réserves prouvées de pétrole les plus élevées de la planète.
Malgré tout, les paramètres fondamentaux des sociétés pétrolières et gazières canadiennes n’ont pas été désastreux, puisque ces dernières ont enregistré un RCI moyen de 6,0 % qui, en 2018, était à peine inférieur à la moyenne mondiale de 6,9 %. Les faibles taux de fléchissement des projets de sables bitumineux (en particulier les sables bitumineux obtenus par extraction), les besoins moindres en dépenses en capital pour soutenir la croissance de la production en amont, la nature contractée du secteur intermédiaire dominant et la structure intégrée de nombreuses grandes sociétés canadiennes ont concouru à atténuer les risques pour les sociétés bien positionnées.
Cependant, l’incertitude plane toujours et la volatilité des prix du pétrole brut et du gaz naturel semble là pour rester. Par ailleurs, les programmes traditionnels de gestion du capital, les stratégies d’affaires rigides, les modèles contractuels disparates, la maturité numérique modérée et le faible niveau de confiance des investisseurs continueront de miner le secteur tant à l’échelle mondiale qu’au Canada. Comme la taille du secteur canadien n’est pas assez importante pour assurer son autarcie, il est impensable de faire abstraction des tendances dictées par l’exploitation de ressources non classiques ou l’évolution de la demande mondiale.
Après tout, le secteur pétrolier et gazier est mondialisé et connecté, ce qui signifie que les stratèges du secteur canadien du pétrole et du gaz pourraient tirer parti des points de vue de l’ensemble des intervenants de la chaîne de valeur. Joignez-vous à nous alors que nous explorons la série complète Decoding the O&G downturn afin d’avoir une vision globale de la situation actuelle et de l’avenir du secteur canadien du pétrole et du gaz.
1Decoding the O&G downturn, Deloitte
Insights, 23 avril 2019, https://
www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
2
<< Kenney’s stand on oil and gas divestment is likely to leave
Alberta out of position,>> The Globe and Mail, mai 18,
2019; << Clean energy one of Canada’s fastest-growing
industries: report,>> The Globe and Mail, 23 mai, 2019; <<
Renewable energy costs tumble,>> www.forbes.com/sites/dominicdudley/2019/05/29/renewable-energy-costs-tumble/;
<< Toyota speeds up electrified vehicle production,>> https://www.theglobeandmail.com/business/international-business/article-toyota-speeds-up-electrified-vehicle-schedule-as-demand-heats-up/
Consultez le rapport sur Deloitte Insights (en anglais seulement)
Exploration et production : Perspective canadienne
D’abord, la bonne nouvelle : le prix du pétrole a rebondi du creux de 26 $ US le baril enregistré en 2016, et le nombre de faillites d’entreprises nord-américaines en amont a chuté par rapport au sommet de 110 atteint en 2016. Cependant, les entreprises nord-américaines non diversifiées, les entreprises indépendantes internationales, les sociétés pétrolières intégrées et les sociétés pétrolières nationales ont été à la remorque des prix dans des proportions de 10 à 50 % – surtout en amont1. Cela ébranle la confiance des investisseurs. Heureusement, la dynamique actuelle du marché est plus nuancée que les analyses ne laissent croire en général lorsque l’on cherche des signes avant-coureurs d’une reprise.
En fait, notre rapport mondial Decoding the O&G downturn révèle un motif clair parmi les entreprises possédant les portefeuilles les mieux adaptés aux enjeux futurs. Dans un premier temps, celles-ci mettent l’accent sur les cycles d’investissement, puis elles tirent parti de leurs forces existantes plutôt que d’en acquérir de nouvelles, ce qui leur permet de réaliser et de maintenir un portefeuille équilibré; enfin, elles sont cohérentes dans leur stratégie et le plan de communication de leurs réussites.
La plupart des entreprises les plus prospères aménagent leurs portefeuilles en faisant preuve d’une grande souplesse dans leurs investissements, en se concentrant sur des projets de courte durée ou en réduisant le délai de mise en marché des projets dont les cycles d’investissement sont intermédiaires ou longs. Les sociétés américaines les plus performantes, en particulier, diversifient leur stratégie d’exploitation du gaz de schiste seulement en optant pour le cycle d’investissement le plus court et le plus souple. Entre-temps, les sociétés performantes hors des États-Unis réduisent le risque lié à la concentration de leurs activités dans une ressource ou un projet en abrégeant jusqu’à deux ans le délai de mise en marché des projets dont les cycles d’investissement sont intermédiaires et longs et en accordant la priorité à des projets de moindre envergure, dont les besoins en ressources sont plus modestes.
Au Canada, en raison de la nature cyclique de la planification des travaux de mise en valeur, le facteur temporel a une incidence plus marquée du point de vue de la mise en marché qu’ailleurs dans le monde. Par exemple, les écarts de prix se sont considérablement élargis à la fin de 2018, ce qui s’est traduit par une saison de forage 2019 décevante, qui devrait être comparable à la saison désastreuse de 2016. De plus, il vaut la peine de mentionner que la plupart des grandes sociétés sont intégrées; un groupe nombreux de sociétés indépendantes d’exploration et de production comblent les vides laissés par les entreprises intermédiaires et les jeunes entreprises. Ces sociétés indépendantes font partie de celles qui ont été les plus durement touchées par le recul du secteur, et il en a résulté un clivage dans le secteur canadien en amont entre une poignée de grandes sociétés intégrées et toutes les autres.
Les prix du gaz naturel canadien sont en butte à des pressions attribuables à l’augmentation de la production aux États-Unis et à la pénurie de débouchés. De nombreux producteurs en amont sont vulnérables et ont dû cesser d’être tributaires du marché au comptant local pour écouler leur production et se doter d’une stratégie de marketing diversifiée.
Par ailleurs, l’accès difficile au capital à cause de la réglementation environnementale et d’autres types de réglementation, et les perceptions entourant les évaluations des actifs canadiens incitent les sociétés internationales à se retirer du marché canadien. Cela a eu pour effet de réduire l’accès du secteur canadien au système bancaire mondial. Toutes ces pressions ont considérablement touché le marché des F&A, avec peu ou pas d’opérations d’importance effectuées au cours des 12 derniers mois.
La situation du secteur canadien est exacerbée par la réduction qui s’est atténuée, mais qui subsiste, des prix du pétrole lourd et du bitume, de même que par un accès limité aux voies maritimes et aux marchés étrangers. Sur une note plus positive, en restructurant les coûts pour être plus concurrentiel et en assainissant les bilans pour dégager des flux de trésorerie disponibles plus substantiels, le secteur mise sur l’évolution numérique afin de réaliser des gains au niveau supérieur et de rétablir l’optimisme sur le marché en amont.
1Decoding the O&G downturn. Deloitte Insights, 23 avril 2019, https://www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
Consultez le rapport sur Deloitte Insights (en anglais seulement)
Services aux champs pétrolifères : Perspective canadienne
À l’échelle mondiale, le secteur des services aux champs pétrolifères est pour ainsi dire un excellent acteur de soutien, qui aide le secteur pétrolier et gazier à surmonter des obstacles techniques de taille dans les projets de mise en valeur extracôtiers et de gaz de schiste. La relance de ce segment en particulier continue toutefois d’être à la traîne, car celui-ci se situe à mi-chemin de ses niveaux antérieurs au recul du secteur. C’est pourquoi il s’agit du segment le moins bien évalué par le marché; les investisseurs ont subi des pertes colossales de 300 milliards de dollars américains à la fin de 20181.
Au Canada, les entreprises de services aux champs pétrolifères continuent d’évoluer dans des activités ciblées comparativement à leurs homologues des États-Unis. Certaines entreprises sont spécialisées dans le capital de maintenance et la prestation de services liés aux travaux de forage. Cette spécialisation leur a permis de mieux faire face au repli du secteur que d’autres entreprises. Certaines autres ont concentré leurs activités dans des régions précises du bassin, mettant au point des technologies et un savoir-faire qui resteront utiles à longue échéance même si leurs marges restent étroites.
Dans l’ensemble, le sort des sociétés canadiennes de services aux champs pétrolifères est préoccupant. Nous avons constaté que des participants se tournent vers le marché américain pour saisir des occasions de croissance ou utiliser leurs compétences de base hors du secteur énergétique, par exemple en exécutant des travaux de forage ou en offrant des services semblables à des municipalités. Ces solutions sont au mieux parcellaires, et la fortitude du secteur continuera d’être mise à l’épreuve dans un contexte où les producteurs reportent encore leurs projets de six mois à un an.
Le renforcement des examens dont font l’objet les passifs liés à la mise hors service des sites, en particulier de la part des institutions prêteuses, peut être décisif pour les activités dans ce segment, mais la plupart des entreprises de bonne réputation ont déjà réduit activement leurs passifs. Les flux de trésorerie continueront de représenter un problème lancinant dans le contexte de repli tenace, et les améliorations pourraient être négligeables si les entreprises restent centrées sur la maintenance ou la production.
Les entreprises canadiennes sont des acteurs spécialisés, ou segmentés, contrairement aux grandes sociétés de type guichet unique comme celles des États-Unis2. Étant donné la tendance générale à exploiter des puits plus profonds et plus complexes et l’augmentation correspondante des coûts d’exploitation unitaires qui doivent être absorbés, quelques-unes au moins de ces entreprises prendront de l’expansion et se lanceront dans les services liés aux travaux de forage. Au-delà de cela, cependant, la diversification pourrait être infime, car il est facile de planifier, mais difficile d’exécuter.
En bref, les entreprises de services aux champs pétrolifères investissent dans la technologie et des modèles d’affaires de rechange, tandis que les producteurs canadiens amputent encore leurs dépenses en capital, voire réduisent carrément la taille de leurs activités . Néanmoins, un secteur d’activité qui a été durement frappé est en fin de compte un secteur d’activité plus averti, et les entreprises qui privilégient la souplesse de leurs modèles d’affaires et de leurs gammes de services – ce qui les amène notamment à faire preuve d’agilité et de rapidité dans leur adaptabilité ou la passation de contrats rémunérés au rendement – continueront de tirer leur épingle du jeu.
1Decoding the O&G downturn, Deloitte
Insights, 23 avril 2019, https://www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
2
<< Spanish energy giant Repsol cuts 30% of Canadian staff with
layoffs in Calgary, Chauvin and Edson,>> Financial Post, juin
19, 2019 >> https://business.financialpost.com/commodities/energy/exclusive-spains-repsol-cuts-30-of-canadian-staff-in-global-restructuring,
20 juin 2019
Consultez le rapport sur Deloitte Insights (en anglais seulement)
Les entreprises du secteur intermédiaire : Perspective canadienne
Comme nous l’avons fait ressortir dans notre rapport mondial Decoding the O&G downturn, le rôle déterminant du secteur intermédiaire dans l’approvisionnement général en énergie continue d’évoluer. Enfant chéri des investisseurs en raison de la constance de ses flux de trésorerie disponibles, attribuable à des modèles d’affaires stables, fondés sur la rétribution des services, ce secteur a été touché partout dans le monde par le profil de production du gaz de schiste, caractérisé par un cycle court, et les pressions résultant de la modification des flux et des voies d’acheminement commerciaux.
Côté positif, la croissance mondiale de l’offre et de la demande de pétrole et de gaz a amélioré les résultats dans le monde entier, rapportant aux investisseurs jusqu’à 19 milliards de dollars américains au cours des cinq dernières années1. Et comme le gaz naturel, en particulier le GNL, s’impose comme le carburant de l’avenir, le secteur se reconfigure en fonction des nouvelles réalités. [Pour en savoir plus, lisez le récent blogue d’Andrew Botterill, intitulé Betting big: LNG trends in Canada (en anglais seulement).] À long terme, un profil de croissance robuste se dessine pour le secteur intermédiaire.
Comme le capital au Canada reste limité dans tout le secteur énergétique, le secteur intermédiaire représente le segment le plus actif du secteur national dans son ensemble. Des ententes transfrontalières de même que des entreprises en démarrage issues de la cession d’actifs secondaires rendent le secteur intermédiaire relativement stable du point de vue des investisseurs. Des contrats de longue durée et des ententes adaptées quant aux coûts d’exécution sont à l’ordre du jour dans les entreprises intermédiaires qui cherchent à trouver un équilibre avec les producteurs. À preuve, le nombre de partenariats dans le cadre de projets d’infrastructure et de scissions par des producteurs d’actifs intermédiaires qui ont aidé à alléger l’endettement et à dynamiser les entreprises en démarrage.
Les principaux défis pour le secteur intermédiaire canadien restent les projets qui doivent survivre aux exigences de la réglementation, aux aléas politiques et aux conditions sociales, même si le gouvernement fédéral a récemment avalisé de nouveau l’oléoduc Trans Mountain. Ces difficultés sont renforcées par l’incertitude entourant les taxes sur le carbone et les enjeux juridiques, les transformations de la demande des consommateurs en matière de transport et un vaste mouvement de désinvestissement à l’échelle mondiale2.
En somme, bien que les pressions exercées par les organismes de réglementation continuent de se faire sentir, les grands projets avancent et devraient assurer le maintien de la domination du segment intermédiaire au Canada.
1Decoding the O&G downturn, Deloitte
Insights, 23 avril 2019, https://www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
2
<< Kenney’s stand on oil and gas divestment is likely to leave
Alberta out of position,>> The Globe and Mail, mai 18,
2019; << Clean energy one of Canada’s fastest-growing
industries: report,>> The Globe and Mail, 23 mai, 2019; <<
Renewable energy costs tumble,>> www.forbes.com/sites/dominicdudley/2019/05/29/renewable-energy-costs-tumble/;
<< Toyota speeds up electrified vehicle production,>>
The Globe and Mail, 7 juin 2019 https://www.theglobeandmail.com/business/international-business/article-toyota-speeds-up-electrified-vehicle-schedule-as-demand-heats-up/,
20 juin 2019
Consultez le rapport sur Deloitte Insights (en anglais seulement)
Raffinage et marketing : Perspective canadienne
S’il y a un segment du secteur pétrolier et gazier qui a tiré parti du recul enregistré à la fin de 2014, c’est bien celui du raffinage à l’échelle mondiale. Sous l’effet de la baisse des prix des marchandises attribuable au repli initial, de l’effondrement complet des prix en 2016, puis de la stagnation des prix du pétrole jusqu’en 2018, les marges ont en fait triplé au cours des cinq dernières années1. Traditionnellement considéré comme le parent pauvre de la famille pétrolière et gazière, le raffinage est en quelque sorte devenu une valeur sûre; les entreprises désireuses de trouver un refuge ont pu s’y abriter pour face à la tempête en cours.
Le recul du secteur pétrolier et gazier s’est révélé être une planche de salut pour les entreprises de raffinage du monde entier, mais pas au Canada. Le secteur du pétrole et du gaz au pays ne compte pas d’entreprises spécialisées dans le raffinage, le financement de projets dans l’ensemble reste limité et la capacité d’acheminement demeure restreinte.
Globalement, étant donné la dépendance des Canadiens à l’égard des raffineries des États-Unis pour écouler leurs produits, la dynamique du marché américain continuera d’avoir des répercussions importantes sur le secteur canadien. Ce scénario est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La complexité de nombreuses raffineries américaines reste un grand avantage pour les producteurs canadiens de pétrole lourd, car l’approvisionnement en provenance du Mexique et du Venezuela a chuté ces dernières années, et les raffineurs se tournent vers le Canada pour combler l’écart. Toutefois, les goulots d’étranglement et les pannes dans la zone de raffinage du golfe du Mexique peuvent être désastreux pour l’accès à la capacité de raffinage et des projets d’infrastructure de premier plan comme ceux de l’oléoduc Keystone XL peuvent paraître systématiquement retardés, indépendamment des approbations.
Plus près de chez nous, le secteur canadien du raffinage a été une bouée de sauvetage sous de nombreux aspects. La valorisation partielle attribuable à l’exploitation des sables bitumineux est pratiquée depuis que l’usine de Scotford a été mise en service dans les années 90, mais elle est perçue comme un atout notable, car elle couvre les risques liés à l’établissement des prix des diluants et aux pénuries potentielles de condensats. Certaines entreprises de raffinage canadiennes ont des ramifications sur des marchés spécialisés, investissant dans l’huile blanche et d’autres produits ultraraffinés, y compris des engrais. D’autres se sont orientées vers l’autre extrémité du spectre, investissant et innovant dans des produits raffinés bas de gamme, mais remarquablement lucratifs, tels que l’asphalte.
Le segment du raffinage et du marketing est généralement modeste au Canada, mais certains facteurs déterminants le différencient de ses homologues internationaux, en particulier le segment américain. Comme les entreprises américaines se concentrent sur la production de pétrole en formations étanches, le raffinage classique occupe encore une place de choix. Aux États-Unis, le segment du raffinage n’est pas tant en voie de consolidation que de réalignement des actifs sur les stratégies de base des entreprises : la prise de risques à court terme ou même quelques sacrifices en faveur de gains à plus long terme et un avantage commercial lorsque la reprise sera amorcée.
1Decoding the O&G downturn. Deloitte Insights, 23 avril 2019, https://www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
Consultez le rapport sur Deloitte Insights (en anglais seulement)
Regard vers l’avenir : Perspective canadienne
La plupart des enjeux et des défis du secteur mondial du pétrole et du gaz sont bien décrits dans notre rapport Decoding the O&G downturn1. Ils s’accompagnent d’un déséquilibre de l’ensemble de l’écosystème pétrolier et gazier, dont la volatilité est apparemment permanente.
Plusieurs dysfonctionnements sectoriels sont également mis en lumière, soit l’adhésion contre-productive à des modèles d’affaires rigides, des stratégies de gestion du capital désuètes (p. ex., la croissance à tout prix) et la chute généralisée des dépenses au titre de la recherche et du développement. À ce déséquilibre s’ajoutent des modèles contractuels déphasés par rapport aux transformations du cycle d’investissement (qui était long et devient court), de l’approvisionnement (la pénurie fait place à la surabondance) et des risques (liés à une transition croissante des forages souterrains vers l’exploitation à ciel ouvert). L’ensemble ou une partie de ces facteurs modifient les préférences en matière de risque et d’investissement de nombreux investisseurs qui détiennent des titres de participation dans des sociétés pétrolières et gazières.
De prime abord, il pourrait sembler que le secteur canadien est pour ainsi dire pris en tenailles : en plus des défis auxquels le secteur fait face à l’échelle mondiale, le secteur pétrolier et gazier du Canada doit composer avec une incertitude supplémentaire en raison du manque d’accès aux marchés et du cadre financier ultraconservateur qui minent encore plus la confiance des investisseurs.
Pourtant, à de nombreux égards, le Canada incarne depuis longtemps la résilience du secteur énergétique. À ses débuts, le secteur canadien a été aux prises avec un climat rigoureux et des conditions de faible capitalisation, après quoi il a innové en surmontant des obstacles économiques et techniques pendant les débuts de la mise en valeur des sables bitumineux et du gaz de schiste. Aujourd’hui, les entreprises collaborent de plus en plus pour trouver des solutions aux problèmes politiques et sociaux contemporains.
Cela signifie-t-il que le regain de confiance des investisseurs et la reprise complète du secteur ne sont qu’une question de temps et de dur labeur? Permettons-nous d’en douter. Le rapport Decoding the O&G downturn fait ressortir plusieurs éléments stratégiques importants sur lesquels les sociétés pétrolières et gazières doivent maintenant se pencher pour être prêtes pour l’avenir, soit :
- La diversification, par la voie d’investissements dans des sources d’énergie telles que l’énergie solaire, l’énergie éolienne et les biocarburants, ou de structures de rechange en matière de financement, de fonds publics et d’émission de titres de créance, et de co-investissement dans des projets de capital-investissement et de partage des coûts entre les segments.
- Le redimensionnement des portefeuilles, par la promotion de l’excellence opérationnelle et la transformation des modèles d’affaires, y compris l’évaluation de l’unique atout concurrentiel de l’entreprise et des situations dans lesquelles celle-ci a intérêt à nouer des partenariats avec des entreprises comparables ou des fournisseurs;
- La mise à profit du RCI numérique, par exemple l’utilisation de l’analytique et de plates-formes qui peuvent être facilement adaptées aux besoins en évolution rapide des clients, ou la conclusion d’opérations avec des marchés plus étendus par le recours à l’analytique avancée, ce qui permet aux entreprises d’être en phase avec la transformation des équilibres de l’offre et de la demande régionales.
- Des contrats axés sur le rendement et un partage accru des risques, par l’offre d’incitatifs visant à améliorer le rendement et à atténuer l’incidence des baisses de prix cycliques dans un segment donné.
- L’investissement dans la communication stratégique, qui commence par la reconnaissance de l’importance grandissante des réductions d’émissions de CO2, du développement durable et même des énergies renouvelables, à l’instar des mégasociétés européennes qui ont sans cesse surclassé les autres sociétés pétrolières internationales au cours des cinq dernières années2.
Aujourd’hui, les investisseurs ne suivent pas simplement les cycles des prix pétroliers pour synchroniser leurs investissements. Ils s’attendent aussi à entendre parler de stratégies souples à court terme et convaincantes à long terme, qui reposent sur un ensemble plus étendu de possibilités perturbatrices. Outre la transparence, l’ouverture et la persuasion de la communication, une intégration plus avertie et plus rigoureuse des approches dans tout l’écosystème pétrolier et gazier est de plus en plus essentielle à l’établissement d’une relation durable avec les entreprises.
Si l’on se fie au passé, le secteur canadien est en définitive tout à fait en mesure de maximiser ses atouts considérables.
1Decoding the O&G downturn. Deloitte Insights,
23 avril 2019, https://www2.deloitte.com/insights/us/en/industry/oil-and-gas/decoding-oil-gas-downturn.html?icid=dcom_promo_featured|global;en
2 Ibid.