Perspectives

Le rôle du gouvernement dans l’avenir

Restructurer le système de santé au Canada pour améliorer l’équité en santé et en services sociaux

Bien que des progrès aient été réalisés, il existe encore des inégalités au Canada en ce qui concerne la disponibilité et la réception des services de santé. Obtenir des soins appropriés au bon moment et au bon endroit n’est pas une réalité pour tous. La race, le sexe, l’âge, l’invalidité, le lieu de résidence ou le statut socio-économique peuvent nuire à leur capacité d’accéder aux services dont ils ont besoin. Et les nombreux obstacles auxquels certains sont confrontés représentent une menace importante pour leur santé à long terme.

En fin de compte, une telle iniquité en matière de santé coûte aux contribuables des milliards de dollars en dépenses évitables, nuit à l’économie en raison de la perte de productivité et, surtout, ruine leur niveau de vie et parfois même leur vie.

Compte tenu de ces pertes, il est urgent d’agir. Les gouvernements doivent redéfinir leur rôle pour mieux soutenir un système de santé efficace et favoriser un système de protection sociale robuste.

Au cours des derniers mois, des leaders de Deloitte se sont réunis pour examiner l’évolution du rôle de l’État dans ce domaine et faire le point sur la santé et l’équité sociale au Canada. Notre aspiration collective pour le Canada est la suivante : avoir un accès équitable à la santé et aux services connexes pour le bien-être global de tous, peu importe l’endroit, la race, le sexe, la capacité, l’orientation sexuelle ou d’autres facteurs socio-économiques.

Cet article fait partie de la série intitulée Le rôle du gouvernement dans l’avenir, qui examine les tendances incitant les gouvernements à agir et cherche à fournir aux gouvernements canadiens des idées audacieuses pour les aider à résoudre les problèmes sous-jacents. Lisez notre premier rapport, intitulé Le rôle du gouvernement dans l’avenir : notre société évolue; son mode de gouvernance doit changer lui aussi, pour une mise en contexte.

Deloitte a également récemment publié un point de vue sur ce à quoi pourrait ressembler le système de santé. Pour en savoir plus, lisez l’article Les soins de santé réinventés : l’avenir du système de santé au Canada.

Les Canadiens éprouvent des difficultés à accéder aux soins au moment où ils en ont besoin. Cela peut faire manquer aux patients un traitement critique et, par conséquent, avoir des conséquences négatives sur leur santé.Certains souffrent longtemps avant de subir une intervention, si encore elle a lieu.

Les nombreux obstacles à la prestation rapide des services de santé et des services sociaux peuvent présenter des risques importants pour certains groupes plus que pour d’autres, puisque les déterminants sociaux de la santé contribuent à 80 % aux résultats médicaux2 . Des groupes tels que les personnes âgées, les personnes marginalisées, les personnes racialisées ou d’autres groupes défavorisés sont confrontés à des inégalités qui conduisent à une détérioration de leur état de santé. Ces obstacles comprennent :

  • l’accès insuffisant à des soins de santé préventifs ou à des services sociaux en raison du manque de médecins généralistes ou d’infirmières praticiennes;
  • le manque d’interopérabilité entre les services de santé et les services sociaux liés à la santé, ce qui signifie que les soins ne sont pas continus et que les gens sont moins susceptibles de recevoir les services dont ils ont besoin;
  • de la discrimination dans les tentatives d’accéder à des soins;
  • des coûts non visés par la couverture universelle devant être assumés par les particuliers, ce qui rend certains services inaccessibles aux populations à faible revenu :
    • coûts connexes tels que le transport et le stationnement, les médicaments sur ordonnance et les services de soins à domicile;
    • coûts de soins préventifs tels que les services d’un physiothérapeute, d’un diététiste, d’un dentiste, d’un entraîneur privé, etc.;
  • une moyenne nationale de 30 % des soins de santé payés par le privé, y compris les médicaments sur ordonnance, les soins dentaires et les soins spécialisés comme les soins à domicile et les services de santé connexes.

Le gouvernement a le pouvoir et la responsabilité de réduire les inégalités causées par une distribution déséquilibrée des ressources en santé. Il peut utiliser les politiques, les lois, les budgets et l’innovation pour préconiser la réduction de ces obstacles et établir des objectifs réalisables favorisant l’équité en offrant des soins de qualité et accessibles à tous.

 

Situation actuelle

Nous avons cerné sept tendances qui exigent que les gouvernements canadiens agissent : faible engagement des patients, déconnexion entre les services de soins de santé et les services sociaux, fracture urbaine et rurale, résultats inéquitables en santé pour les collectivités autochtones, accès inéquitable pour les communautés de nouveaux arrivants, crise imminente de pénurie de personnel et vieillissement rapide de la population.

Faible engagement des patients

Au Canada, les gens ont peu ou pas d’accès à leurs données sur la santé, que ce soit pour obtenir leurs propres dossiers ou accéder directement au soutien et aux services. Cela se traduit par un faible engagement et une capacité d’agir limitée du patient dans le processus de prise de décisions, ce qui retarde l’accès aux soins ou contribue à créer une prestation de soins épisodique et non intégrée3 . Un faible engagement des patients peut également empêcher le système d’adapter les services aux besoins particuliers des patients, ce qui est contre-productif et nuit à leur qualité de vie.

Déconnexion entre les services de santé et les services sociaux

Les services de santé et les services sociaux communautaires sont de moins en moins connectés, en particulier pour les personnes âgées, qui ont un besoin accru de continuité entre les services de santé et les services sociaux4 . Ce manque de connexion prive les patients des soins nécessaires. Pour offrir des soins holistiques et complets, le Canada doit bâtir un écosystème qui permet aux services de santé et aux services sociaux de travailler en collaboration.

Fracture urbaine et rurale

La disponibilité et la qualité des services de santé sont nettement inégales entre les communautés rurales et urbaines du pays, ce qui crée des iniquités de santé entre les deux populations. Les personnes vivant dans les régions rurales peuvent avoir de la difficulté à accéder à des services de santé primaires et parfois essentiels en raison de la pénurie de ressources ou des problèmes de mobilité ou un manque de structure de base.5

Résultats inéquitables en santé pour les collectivités autochtones

Entre autres inégalités dans les services de santé, les communautés autochtones sont confrontées à la discrimination, qui est exacerbée par des crises sanitaires comme la pandémie6 . De nombreuses collectivités sont situées dans des endroits éloignés et ont peu de ressources de santé à proximité, et l’amélioration des résultats en santé reçoit moins d’attention dans ces collectivités que dans d’autres7.

Accès inéquitable pour les communautés de nouveaux arrivants

Les nouveaux arrivants se heurtent à des barrières linguistiques et culturelles dans l’accès aux services de santé. Beaucoup vivent dans des groupes qui peuvent être physiquement ou culturellement éloignés d’autres communautés, et certains parlent des langues différentes et ont des sources d’information autres que les médias traditionnels. Les personnes qui vivent dans ces communautés peuvent avoir de la difficulté à recevoir des services de santé appropriés en raison de facteurs tels que l’accès, la discrimination et le racisme systémique8.

Crise imminente de pénurie de personnel

Le système de santé traditionnel est fondé sur les professionnels de la santé et la prestation des soins en personne. Mais les professionnels souffrent d’épuisement et une importante cohorte de médecins vont bientôt prendre leur retraite. Une pénurie de main-d’œuvre se profile, ce qui conduira à la fermeture de cliniques, d’hôpitaux et même de services d’urgence.

Vieillissement rapide de la population

Le système de santé actuel n’est pas prêt à répondre aux besoins d’une proportion croissante d’aînés et de leurs aidants. L’approche du Canada à l’égard des soins aux personnes âgées repose sur les foyers de soins de longue durée, un système déjà soumis à de fortes pressions, comme l’a révélé la pandémie. La prise en charge des personnes âgées nécessite une refonte si l’on veut rebâtir la confiance du public.

 

Aux États-Unis, les inégalités empêchent le pays d’atteindre sa pleine capacité du point de vue social, économique et sanitaire. Il y a toujours une inégalité raciale provenant de comportements, de croyances et de politiques publiques et privées de longue date. Le manque d’accès aux soins, l’application inégale des protections et les possibilités limitées pour les Américains non blancs perpétuent les écarts de richesse nette et les disparités en éducation, sans parler des résultats inférieurs en matière de santé. Les normes sociales sexistes et racistes créent des écarts dans l’économie et mettent en jeu le niveau de vie des groupes victimes de discrimination. Les États-Unis s’efforcent de faire en sorte que chaque personne ait les mêmes chances de poursuivre la carrière qu’elle choisit pour améliorer les déterminants économiques et sociaux de la santé pour tous.

 

Recommendations

Afin d’aider le gouvernement fédéral à remédier à l’état actuel des inégalités en santé et en protection sociale au Canada, nous avons élaboré de nombreuses recommandations ciblées. Elles sont organisées selon quatre thèmes : les gens et le leadership, les politiques et les processus, la technologie et la collaboration.

Gens et leadership

Comment le gouvernement peut-il modifier les structures de gouvernance provinciales et territoriales pour favoriser un système de santé et de soins sociaux plus équitable?

  1. Intégrer une approche de gouvernance ascendante: À l’heure actuelle, la gouvernance des soins de santé au Canada suit une approche descendante, selon laquelle les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux établissent des budgets et des programmes que les administrations municipales doivent suivre. Cette structure hiérarchique maintient un déséquilibre entre les pouvoirs9 . Bien que l’approche descendante présente des avantages, il serait également bénéfique d’y intégrer une approche ascendante fonctionnant en parallèle. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent établir les normes, les résultats souhaités et les attentes. Cependant, comme les administrations municipales et locales comprennent mieux les besoins de leurs collectivités, elles devraient avoir le pouvoir de décider comment le financement est alloué. La mise en place des deux approches en parallèle peut favoriser une collaboration entre les administrations municipales et les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, et aider à mieux adapter les systèmes de prestation de soins de santé et de services sociaux aux besoins des collectivités.
Politiques et processus

Quels modèles les gouvernements peuvent-ils moderniser ou adopter pour devenir des fournisseurs de services sociaux et de santé plus équitables? Comment les gouvernements peuvent-ils intégrer l’habilitation des patients?

  1. Encourager l’intégration et l’innovation technologiques: Il est nécessaire d’effectuer un changement de paradigme dans les services de santé de façon à ce que l’information et la prise de décisions soient partagées entre les cliniciens et les patients. Un tel effort pourrait être restreint dans le contexte actuel en raison du manque d’interopérabilité des données entre les fournisseurs de services de santé. Le gouvernement pourrait orienter ses politiques de manière à promouvoir l’interopérabilité au sein des provinces et des territoires et entre eux. Cela favoriserait une organisation unifiée des données et un meilleur accès des utilisateurs, ce qui pourrait aussi accroître l’engagement des patients. Appuyée par des innovations technologiques qui aident à suivre la santé des patients, cette amélioration de l’engagement pourrait mener à la détection et à la gestion précoces des maladies, et entraîner de meilleurs résultats en santé.
  2. Compte d’épargne-santé universel: À l’heure actuelle, environ 30 % des services de santé, comme la fourniture des médicaments, les soins dentaires et les soins spécialisés (p. ex., les soins à domicile), sont payés par le privé. Ces coûts ne sont pas assurés par l’État parce que ces services sont considérés comme non essentiels. Cependant, ils sont nécessaires au bien-être à long terme de ceux qui ne peuvent pas se permettre ce type de soins. Un compte d’épargne-santé universel de base, financé par le gouvernement, pourrait offrir une allocation en vue de payer les frais déboursés par les patients pour les soins de santé nécessaires qui complètent les soins financés par l’État.
Technologie

Comment le gouvernement peut-il tirer parti de la technologie pour résoudre les disparités en santé et en bien-être causées par la fracture urbaine et rurale? Comment peut-on l’utiliser pour promouvoir la prise en charge individuelle et entraîner de meilleurs résultats en santé pour les gens?

  1. Écosystème numérique dans les zones rurales: Tous les gens ont besoin de l’équité numérique et de compétences, particulièrement ceux qui vivent dans des zones rurales loin des services de santé et des services sociaux. En tirant parti de la télésanté et de la télémédecine, comme la ligne de santé 811, on peut réduire les disparités d’accès aux services de santé entre les zones rurales et urbaines. Pour aider les collectivités mal desservies, les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux pourraient envisager de consacrer plus de ressources aux régions rurales pour élaborer des stratégies technologiques, améliorer l’infrastructure numérique et informer le public. Un écosystème de santé numérique favoriserait un avenir où il y aurait moins de disparités entre les zones urbaines et rurales.
  2. Identifiant numérique de santé: Les Canadiens ont un accès limité aux renseignements personnels sur leur santé et ils doivent suivre activement l’état d’avancement de toute demande qu’ils présentent pour des services sociaux en raison des restrictions imposées par le protocole et la technologie. Ce manque d’accès se traduit par un sentiment d’impuissance et de frustration, ce qui pourrait décourager les gens de chercher à obtenir des soins et des services. Mais des innovations comme l’identification numérique pourraient changer cela en permettant aux patients d’accéder facilement aux services, des résultats des tests de santé et des dossiers de vaccination aux demandes de paiement d’invalidité, et d’obtenir des mises à jour en temps réel sur les processus en cours. Un identifiant numérique de santé peut ouvrir la porte à l’interopérabilité entre les services grâce à une forme d’identité unique et assurer la confidentialité tout en permettant un accès intégré et facile aux données. Des services technologiques aussi transformateurs peuvent améliorer la qualité, la sécurité, la confidentialité et la disponibilité des services de santé et des services sociaux pour toutes les personnes vivant au Canada.
  3. Partage des données sur la santé: De nombreux patients, en particulier ceux qui ont des troubles diagnostiqués, peuvent surveiller leurs indicateurs de santé à la maison. Mais même s’ils remarquent des lectures anormales, ils ne rendent généralement visite à leur médecin ou à leur clinique qu’en cas de problème grave. Encourager l’interopérabilité des données et mettre en œuvre un partage complet des données sur la santé entre les fournisseurs de services de santé et les technologies de surveillance de la santé à domicile pourrait permettre aux professionnels des services de santé et aux patients de faire un suivi rapide des résultats anormaux. Cela permettrait aux gens de continuer à effectuer des mesures de santé simples à domicile (glycémie, fréquence cardiaque, saturation en oxygène, test sanguin, etc.) tout en recevant rapidement des options de suivi professionnel et de traitement si les mesures deviennent préoccupantes.
  4. Ludification de la santé pour promouvoir des comportements plus sains: suggèrent que la ludification de la santé peut favoriser un mode de vie sain et améliorer les résultats en santé de la population10 . Ainsi, les gouvernements pourraient mettre en place des politiques et des outils technologiques pour améliorer les résultats en santé publique, par exemple des initiatives qui favorisent la réduction des primes d’assurance pour les personnes qui accumulent suffisamment de points de santé par l’exercice physique ou une alimentation saine. Il existe aux États-Unis et en Europe de nombreux exemples d’outils et d’applications numériques de santé qui ludifient la santé et en font la promotion11 . Pour nous inspirer de cas plus près de nous, mentionnons l’initiative de Manuvie, dans le secteur privé, qui a utilisé des programmes de ludification pour aider les clients de ses régimes collectifs à rester en bonne santé12. Le gouvernement canadien pourrait également envisager de tirer parti de plateformes numériques comme un moyen d’encourager et de promouvoir un mode de vie sain, et de permettre aux gens d’atteindre leur santé optimale.
  5. Plateforme unifiée de soins de santé et de soins sociaux: Il existe un manque de communication, d’interopérabilité et de partage des connaissances entre les établissements de soins de santé et les établissements de services sociaux, y compris les organismes communautaires. Mais il arrive parfois que les services sociaux soient essentiels pour fournir des résultats optimaux en santé13. Ainsi, en assurant un accès numérique équitable aux fournisseurs et aux organisations et en créant une plateforme globale que les patients pourront utiliser pour accéder aux services de santé et aux services sociaux connexes, on peut aider à assurer la continuité des soins et à améliorer la santé.

 

Collaboration

Comment le gouvernement peut-il collaborer pour offrir à tous ceux qui vivent au Canada un accès et des résultats plus équitables de services de santé et de services sociaux?

  1. Encourager l’engagement des patients: Bien que les gouvernements et les autorités des services de santé jouent un rôle important dans la prestation de soins de qualité et personnalisés, il est également important d’encourager les gens à s’impliquer plus dans leur propre parcours de santé. Ils peuvent avoir du mal à obtenir des services de santé spécialisés en raison d’un accès limité à leurs dossiers de santé. Pourtant, favoriser un plus grand engagement de leur part peut leur permettre d’obtenir des soins appropriés, d’améliorer leurs résultats de santé, de réduire les coûts et d’augmenter leur satisfaction indépendamment de leur race, de leur origine ethnique et de leur statut socio-économique14. Le gouvernement peut jouer un rôle déterminant dans l’éducation, l’encouragement et le soutien technologique. Un changement de paradigme créera un avenir où chacun pourra être un participant actif en santé et en bien-être en étant pleinement informé pour prendre ses décisions.

 

Conclusion

Si les gouvernements du Canada prennent des mesures dans tous les domaines abordés plus haut, nous pourrions atteindre l’état futur décrit dans les paragraphes qui suivent :

  1. L’équité en santé est la norme et chaque personne reçoit un niveau élevé de soins, peu importe son adresse, sa communauté, sa race, son âge, son sexe, sa situation financière, son lieu de naissance, et plus encore. Différents paliers de gouvernement ont travaillé ensemble pour transformer le Canada en un endroit reconnu à l’échelle internationale pour son engagement envers l’équité en santé.
  2. Une structure gouvernementale descendante est équilibrée par une participation ascendante qui donne plus de pouvoirs aux collectivités et aux gouvernements locaux, tandis que des autorités sanitaires provinciales et territoriales unifiées offrent des soins cohérents et équitables répondant aux besoins des collectivités locales.
  3. La promotion de l’innovation numérique a mené à des technologies comme un identifiant numérique interopérable qui permet le partage de données, utilise la ludification pour favoriser des habitudes de vie saines, crée un écosystème numérique rural et unifie les services de santé et les services sociaux.

 

Notes de fin

Merci à nos contributeurs principaux, Rudy Saksena et Sabrina Wang

Avez-vous trouvé ceci utile?