Perspectives

Les bouchons de circulation post-pandémiques : ce que cela pourrait signifier pour les technologies, les médias et les télécommunications

Les préférences des navetteurs changent depuis que, partout dans le monde, les travailleurs reprennent le chemin du travail. Compte tenu des préoccupations sanitaires que la COVID-19 continue de susciter, l’utilisation des voitures particulières fait plus d’adeptes que le transport collectif, les courses en taxi et les services de chauffeur privé à la demande. Cette tendance se répercutera non seulement sur le secteur automobile, mais aussi sur les secteurs de la technologie, des médias et des télécommunications en raison de l’utilisation grandissante par le secteur automobile de la technologie à bord des véhicules pour répondre aux attentes des automobilistes par des applications de recherche d’itinéraires, des téléphones, des médias (audio) et d’autres services lorsqu’ils sont au volant.

En raison des politiques de télétravail, les niveaux de circulation routière aux heures de pointe du matin au Canada ont diminué de 72 à 86 % en mai, d’où l’hypothèse que les niveaux de circulation auraient aussi baissé. Cependant, selon nos données préliminaires, ce n’est pas le cas. À Chongqing et dans d’autres grandes villes chinoises (en anglais seulement), par exemple, la congestion routière aux heures de pointe est maintenant plus intense qu’en 2019. Ce phénomène s’expliquerait par la baisse de popularité du covoiturage et l’augmentation de l’utilisation des voitures particulières.

Un sondage effectué en Chine par Ipsos en février dernier a révélé que l’utilisation de l’autobus et du métro avait diminué de 57 %, que le recours aux courses en taxi et aux applications de chauffeur privé à la demande avait diminué de 30 à 40 % et que les déplacements en voitures particulières avaient augmenté de 94 %. Les répondants non motorisés ont déclaré, dans une proportion de 50 %, que le transport collectif n’était, selon eux, pas sécuritaire. Les deux tiers des répondants de ce groupe ont exprimé le désir d’acheter une voiture au cours des six mois suivants et 77 % d’entre eux ont précisé que leur but était d’éviter de contracter la COVID-19. Dans le cadre d’une enquête mondiale menée par Cars.com en mars (en anglais seulement), le cinquième des répondants ont signalé une urgence plus grande d’acheter une nouvelle voiture et près de la moitié des participants ont répondu qu’ils avaient cessé d’utiliser le transport collectif.

L’outil de suivi de la situation des consommateurs (en anglais seulement) de Deloitte montre qu’au 13 juin, 62 % des Canadiens projetaient de limiter leur utilisation du transport collectif au cours des trois mois suivants. Cinquante-sept pour cent d’entre eux ont exprimé leur intention de limiter leur recours aux services de chauffeur privé à la demande pendant cette période, tandis que 76 % ont déclaré qu’ils jugeaient important d’avoir une voiture. Les changements à plus long terme de l’utilisation des modes de transport mettent en lumière une tendance semblable. Selon un sondage non publié de Deloitte Canada et HEC Montréal effectué en mai 2020, les Canadiens s’attendent à utiliser plus leurs voitures et leurs vélos dès la fin du confinement. En revanche, ils projettent de moins utiliser l’autobus, le métro, les taxis, les trains de banlieue, le covoiturage et (étonnamment) les motocyclettes.

Même si les résultats de diverses enquêtes font état d’une augmentation des intentions d’achat de voitures dans un proche avenir, il se pourrait que ces intentions ne se traduisent pas par des ventes de voitures neuves à l’échelle mondiale. Les ventes de voitures neuves au Canada en avril  (en anglais seulement) ont baissé d’environ 75 %. Les mises à pied, les congés, les réductions de salaire et le chômage généralisé rendront peut-être difficile l’acquisition d’une voiture particulière, même si c’est le désir de nombreuses personnes. Si leurs intentions d’achat se matérialisaient, les consommateurs cherchant à éviter les risques sanitaires auxquels ils s’exposent en empruntant les autres modes de transport, le secteur automobile pourrait enregistrer des ventes supérieures à celles conclues pendant un repli économique d’une telle ampleur. Ce secteur pourrait même connaître une hausse de ses ventes comparativement à la période prépandémique. Ce phénomène pourrait avoir des retombées dans l’ensemble des secteurs de la technologie, des médias et des télécommunications.

Technologie

Le marché de l’automobile a représenté 12 % des ventes mondiales de semi-conducteurs, soit 54 milliards de dollars en 2018 et, selon des projections, (en anglais seulement) devrait faire partie des secteurs semi-verticaux qui connaîtront l’essor le plus rapide, soit un rythme de croissance annuelle composée de 18 % d’ici 2024. Cette croissance est dominée par la production de puces requises par les technologies de sécurité et d’infodivertissement et la fabrication des voitures connectées. De plus, le secteur automobile est le plus important acheteur de robots industriels (en anglais seulement); il a consommé plus de 30 % de la totalité des unités produites en 2018. Les batteries pour voitures électriques ont représenté un marché de 13 milliards de dollars en 2018. L’augmentation – ou ne serait-ce qu’une moins grande faiblesse – des ventes de voitures neuves serait favorable à tous les fabricants de semi-conducteurs, de robots et de batteries.

L’intensification de la congestion routière aura vraisemblablement deux autres effets sur le secteur de la technologie. Premièrement, les navetteurs se tourneront en plus grand nombre vers les vélos et les scooters électroniques – qu’ils partagent ou dont ils sont propriétaires – pour les trajets courts (40 % de la totalité des déplacements aux États-Unis sont de cinq kilomètres ou moins), ce qui stimulera la demande de batteries et d’applications logicielles de recherche d’itinéraires, de partage et d’enquête de véhicules perdus ou volés. Deuxièmement, bien que les voitures autonomes de niveau 5 (toutes routes, toutes conditions) ne soient pas encore là, les navetteurs irrités par les longues périodes de conduite à basse vitesse sur des autoroutes bondées pourraient opter pour les véhicules autonomes de niveau 2 ou 3, dont la technologie facilite l’exécution de tâches de conduite supervisées par le conducteur ou non supervisées à l’aide de caméras, de capteurs et de puces électroniques.

Médias et divertissement

C’est en voiture que nous écoutons le plus la radio, les baladodiffusions et les livres audio. Si les usagers des voitures diminuent, les statistiques sur l’utilisation de ces types de médias chutent ou deviennent relativement inférieures à celles des médias vidéo – ce que nous avons observé pendant les mois de confinement (en anglais seulement). Au contraire, si un plus grand nombre de navetteurs optent pour des voitures particulières (neuves ou non) et y passent plus de temps, on s’attendra à une hausse de popularité des médias audio. Par ailleurs, les médias imprimés, en particulier les quotidiens qui s’adressent aux usagers du transport collectif, perdront du terrain si ce mode de transport est délaissé. Autre enjeu pour les médias : la disponibilité des espaces de stationnement. Des dizaines de millions de fervents du sport, de cinéphiles et d’amateurs de spectacles utilisent ordinairement le transport collectif. On ne sait pas précisément à partir de quand la fréquentation de grandes manifestations publiques sera possible, mais, le moment venu, où les automobilistes gareront-ils leur véhicule s’ils se déplacent tous en voiture?

Télécommunications

En 2018, 41 millions de véhicules aux États-Unis étaient dotés d’un système de base 3G ou 4G intégré (en anglais seulement) sur un parc d’environ 275 millions de véhicules, moyennant un taux de croissance de 20 % sur 12 mois. À mesure que ces véhicules seront connectés à des réseaux et passeront au réseau 5G, selon les projections des exploitants de réseaux, les revenus mondiaux annuels générés par ce marché s’élèveront à des milliards de dollars. Les voitures connectées étant appelées à devenir la norme dans un nombre grandissant de modèles, un volume de vente supérieur ou même en croissance serait favorable aux exploitants de services de télécommunications. Par ailleurs, si les bouchons de circulation s’intensifient, les exploitants de réseaux devront augmenter la couverture sur les trajets des navetteurs parce que les personnes qui se déplacent en voiture consomment davantage de médias et de données.

Infrastructure

Une solution aux problèmes de l’accroissement du nombre de voitures et de l’aggravation de la congestion routière consiste à rendre les routes, les feux de circulation et les autres dispositifs de signalisation plus intelligents. Les systèmes de transport intelligents (STI) représentaient un marché mondial de 27 milliards de dollars en 2019  (en anglais seulement) et on prévoyait un taux de croissance de 6 % annuellement même avant la pandémie. Les STI font appel à une combinaison de matériel informatique, de logiciels et de services de télécommunications visant à rendre les routes et les autoroutes plus intelligentes.

Une grande réinitialisation pandémique

Toutes les observations qui précèdent reposent sur l’hypothèse que les navetteurs reprendront leurs anciennes habitudes comme cela s’est produit dans le passé, la voiture particulière étant la valeur par défaut. Cependant, certains voient dans la pandémie de COVID-19 une occasion de procéder à une grande réinitialisation et de repenser nos modes de travail et de déplacement.

Plutôt qu’un retour aux comportements du passé, on pourrait assister à une évolution générale des habitudes de mobilité. La plupart des grands employeurs, établissements d’enseignement et établissements de soins de santé envisagent de profiter de ce moment pour repenser l’aménagement physique et virtuel de la main-d’œuvre de manière à explorer de nouveaux modes de mobilité. La communication des données, l’optimisation du numérique, le matériel informatique, les logiciels, les réseaux 5G et d’autres technologies de télécommunications joueront un rôle charnière dans la gestion de ces changements. Ils permettront d’éviter les problèmes comme la diminution de la productivité, les impacts climatiques de la hausse des émissions attribuable à une utilisation accrue des voitures particulières et l’aggravation de la congestion routière.

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