Perspectives

Les locaux pour bureaux, le télétravail et la Covid-19

Les effets durables de la pandémie sur le marché des locaux pour bureaux

Imaginons que nous sommes en septembre 2020 : plusieurs entreprises canadiennes retrouvent une nouvelle normalité partout au pays et, par conséquent, une partie de leurs employés réintègrent leurs bureaux. Mais pas tous les employés chaque jour, ce qui aura pour effet de réduire la demande des espaces de bureaux. N’est-ce pas?

À la fin du mois de mars 2020 (article en anglais), près de cinq millions de Canadiens qui n’ont pas l’habitude de faire du télétravail travaillaient de la maison. Ajoutons à cela quelques millions de personnes qui ont l’habitude de faire du télétravail; c’était donc plus de 40 % des Canadiens qui se préparaient chaque jour à travailler à la table de cuisine ou à un bureau dans le coin du salon. Les trois quarts des gens s’attendaient à ce que cette tendance se poursuive après la fin de la pandémie, alors que les deux tiers affirmaient vouloir faire du télétravail plus souvent. Évidemment, plusieurs secteurs d’activité se prêtent moins bien au télétravail, mais dans certains secteurs comme ceux des services financiers, de l’assurance, des cabinets d’avocats, de l’immobilier et des services professionnels, il est possible d’envisager que seulement la moitié des effectifs ait besoin de se rendre au bureau lors d’une journée de travail.

D’ici septembre, en tenant pour acquis qu’aucun remède ou vaccin contre la COVID-19 n’aura été découvert, les entreprises canadiennes devront tout de même ouvrir leurs locaux, mais en s’assurant de les protéger contre la pandémie. Par exemple, les bureaux partagés seront nettoyés plus souvent, des cloisons de plastique pourraient être installées entre les postes de travail, les corridors deviendront à sens unique, une technologie de recherche des contacts sera employée et les buffets libre-service seront interdits. Toutefois, le plus important changement sera certainement sur le plan de la densité : nos employés devront être assis plus loin les uns des autres, de sorte que nos bureaux ne pourront accueillir chaque jour que 50 % de nos effectifs.

La diminution du nombre de travailleurs présents au bureau par jour en raison du télétravail correspondra presque entièrement à la diminution de la densité requise pour respecter la distanciation sociale, ce qui signifie que l’effet NET de ces deux facteurs sur la demande d’espaces de bureaux sera probablement nul.

Mise en garde : si un vaccin est prêt plus tôt que prévu, si un remède miracle est découvert, si l’immunité collective est atteinte plus rapidement que prévu, ou si les entreprises décident de ne pas appliquer les mesures de distanciation sociale dans leurs bureaux, alors les répercussions du télétravail se traduiraient probablement par une diminution de la demande d’espaces de bureaux. Toutefois, cette diminution pourrait être atténuée par le fait que plusieurs entreprises ont conclu des contrats de location à long terme. Selon David Cairns, vice-président principal chez CBRE Canada, « 40 % des locataires dans le marché du centre-ville de Toronto sont de grandes entreprises, comme des banques et des cabinets d’avocats, qui sont assujetties à des obligations locatives de cinq ans ou plus; elles ne pourront donc pas procéder à des changements du jour au lendemain, ce qui signifie qu’une modification en profondeur de l’aménagement des bureaux se fera probablement sur plusieurs années ».

Bien que la réouverture des bureaux n’ait pas encore eu lieu, les experts indiquent qu’un aménagement décalé sera nécessaire pour assurer la sécurité des travailleurs : ils ne pourront plus s’asseoir directement à côté de quelqu’un d’autre, et ils auront besoin d’un espace suffisant devant et derrière eux. Plusieurs plans de répartition des places sont proposés, mais le plan figurant dans ce lien présente un plan d’étage comprenant initialement 150 sièges et qui en compte maintenant seulement 48, ce qui représente une réduction de deux tiers de la capacité maximale. Ajoutons à cela le nettoyage des salles de conférence entre chaque réunion ainsi que la nécessité d’éviter la congestion dans les corridors, dans les salles de bain et dans les endroits offrant des services à tous, comme les salles d’imprimantes, et l’on peut conclure que la réduction de la densité sera probablement de 50 %.

Il n’est pas impossible de réduire de moitié la densité (ou de doubler la superficie nécessaire pour chaque employé). Par exemple, nos anciens bureaux de Deloitte à Montréal et à Toronto allouaient environ 300 pieds carrés par personne, alors que nos nouveaux bureaux (qui sont splendides d’ailleurs) allouent 160 pieds carrés par personne. En supposant que plusieurs entreprises ont également accru la densité de leurs locaux au cours des dernières années, le fait de doubler l’espace requis par employé ferait en sorte qu’ils retrouveraient leur superficie d’il y a quelques années.

En 2017, la superficie moyenne par employé était de 151 pieds carrés aux États-Unis comparativement à 425 en 1990 (trois fois plus) et à 600 en 1970 (quatre fois plus).

Évidemment, ce n’est pas uniquement une question de superficie, mais plutôt en fonction de l’agilité. David Cairns ajoute que « non seulement les entreprises accorderont-elles de la valeur aux contrats de location assortis d’une durée flexible, mais elles apprécieront plus que jamais les configurations agiles dans un monde post-pandémie ».

Un jour, un vaccin sera créé, un remède sera trouvé ou l’immunité sera atteinte, peut-être même les trois en même temps. Il se passera alors quelque chose d’intéressant. En effet, on pourrait alors renouer avec la tendance des 50 dernières années visant à augmenter la densité des locaux, ce qui permettrait aux entreprises de réduire leurs frais immobiliers. Ou peut-être que la distanciation sociale sera tellement ancrée dans l’esprit des travailleurs que cette habitude se poursuivra à long terme. Même s’il n’y aura plus de risque d’infection, plusieurs d’entre nous pourraient continuer de se sentir claustrophobes, ou plutôt dirais-je « coronaphobes », lorsque des collègues s’assoiront ou passeront trop près de nous.

Et les discussions près du distributeur d’eau se feront plutôt près d’une énorme bouteille de désinfectant pour les mains, ou alors sur Zoom, pour les personnes qui n’auront plus besoin de revenir au bureau.

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