Deloitte: Quels sont vos champs d’action prioritaires en tant que CFO au cours des douze prochains mois ?
Timo Ihamuotila: Avant tout, je tiens bien évidemment à pérenniser les performances d’ABB. Mais il y a également quelques points spéci-fiques sur lesquels je souhaiterais m’attarder davantage. Le premier concerne notre modèle d’exploitation ABB-Way, lequel définit notre manière de travailler avec notre structure décentralisée et ce, conformément à nos principes de responsabilité, de transparence et de rapidité. Cette année, nous continuerons à travailler sur la création de notre brochure ABB-Way. L’objectif est de produire un support de communication clair et ludique qui permettra à chaque collaborateur d’ABB de comprendre COMMENT opère ABB. Cela servira à consolider notre culture de la haute performance et de l’intégrité pour l’avenir.
Le deuxième sujet important au cours des douze prochains mois est la finalisation de notre « ABB Finance Transformation Program » grâce auquel nous sommes en mesure d’harmoniser et, au besoin, de redéfinir toutes les données financières légales au sein de la société. Il s'agit d'un programme d’une durée de trois ans, de la définition jusqu’à sa mise en œuvre complète à l'échelle mondiale, qui s'achèvera au second semestre 2024. Toutes les données financières d'ABB seront alors disponibles dans le cloud et nous pourrons les examiner en profondeur afin d’analyser les performances de notre entre-prise. Nous serons en outre en mesure d’établir nos comptes quasiment en temps réel.
Nous souhaitons également capitaliser sur le succès du premier rapport annuel intégré d’ABB, publié l’année dernière, qui met en lumière nos performances financières et celles en matière de développement durable. Nous avons pour objectif, en nous appuyant sur notre modèle de création de valeur, d’améliorer le reporting de manière continue sur les progrès réalisés dans le cadre de nos ambitions et de démontrer comment nous créons de la valeur de manière globale pour nos parties prenantes à court, moyen et long terme. Notre avenir s’annonce prometteur !
Deloitte: Quel est, selon vous, le potentiel de l’IA générative pour la fonction finance, notamment au regard de la pénurie de main-d’œuvre ?
Timo Ihamuotila: Il existe de nombreux outils permettant d'améliorer l'efficience et l'efficacité de la fonction finance. Je ne pense pas qu’ABB Finance doive d'emblée miser sur l'IA générative en la matière. Comme je l’ai évoqué auparavant, nous sommes actuellement en train de transformer la fonction finance. Grâce à notre programme, nous disposerons d'un modèle de don-nées entièrement harmonisé et cohérent qui servira de base à notre analyse et à notre planification financières. Actuelle-ment, il s’agit de notre priorité absolue. Pour l’instant, ce projet, c’est un peu comme la construction d'une maison : il faut d'abord installer des fondations solides avant de pouvoir s'occuper de l'intérieur. La transformation de notre fonction fi-nance nous permettra également de réaliser des gains d'efficacité grâce à l'harmonisation des processus, ce qui nous aidera à lutter contre la pénurie de personnel qualifié.
Pour les grandes entreprises, l'IA générative soulève également quelques questions liées notamment à la propriété intellec-tuelle, lesquelles doivent être clarifiées avant toute mise en œuvre. C’est pourquoi je pense que pour nous, chez ABB, l'utilisation de l'IA générative n’est pas encore d’actualité. Par ailleurs, sans parler de notre fonction financière en particu-lier, l'IA générative devient un sujet de plus en plus important dans notre travail avec des clients opérant dans les domaines de l'électrification et de l'automatisation. L'IA fait partie intégrante de notre activité et nous poursuivons actuellement plus de 100 projets dans ce domaine à travers le groupe.
Deloitte: Selon vous, comment le rôle du CFO va-t-il évoluer au cours des prochaines années ?
Timo Ihamuotila: Si j’en crois mon expérience, le rôle du CFO deviendra de plus en plus prospectif et stratégique. Il est très important que le CEO et le CFO travaillent en bonne intelligence et que le CFO puisse fournir les bons éléments de comparaison pour étayer la prise de décision, par exemple en matière d'allocation de capital et de gestion de portefeuille. Je pense également que le rôle du directeur financier consistera de plus en plus à veiller à ce que l'entreprise œuvre pour créer de la valeur à long terme et ce, de manière systématique. Cela signifie qu’il faudra donner davantage la priorité aux processus de planifi-cation agiles à long terme tout en soutenant la mise en œuvre de la stratégie de l'entreprise. Bien entendu, les tâches tradi-tionnelles liées à la fonction, à savoir un reporting précis et la garantie d'un financement à tout moment, conserveront toute leur importance.
Les directeurs financiers doivent également réfléchir davantage aux types de compétences qui seront importants à l’avenir. Grâce à une base de données étoffée, automatisée et disponible en permanence, l'accent sera davantage mis sur l'analyse que sur le reporting réel. Cette évolution nécessitera davantage de faire appel à des talents dotés de compétences en matière de planification et d'analyse financières (FPA), voire à des data scientists spécialisés dans le domaine de la finance. À titre d’exemple, je pense qu’à l’avenir, l’exactitude des prévisions s’améliorera du moment que les prévisions s’appuieront sur une modélisation des données et quelques ajustements top-down (approche descendante), plutôt que sur un processus bottom up (approche ascendante) qui nécessite de nombreuses ressources. Ce changement favorisera l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience. Autre domaine à mentionner : l’audit interne. La réalisation d’audits individuels séparés de-vrait évoluer vers un suivi continu des données et la détection d’anomalies dans les données, ce qui permettra d’optimiser également l'efficacité et l'efficience.
Deloitte: Selon vous, comment les taux d’intérêt évolueront-ils sur les douze prochains mois et quel en sera l’impact sur les conditions de financement des entreprises ?
Timo Ihamuotila: Nous avons pu observer une pause dans les hausses des taux d’intérêt en euros et en francs suisses et nous avons proba-blement presqu’atteint un pic. Et aux États-Unis, la donne a aussi changé même s’il reste à voir la tournure que vont pren-dre les choses au vu du grand dynamisme de l’économie américaine. D'un point de vue plus global, appliquer, pour tou-jours, des taux d’intérêt nuls n’a jamais été un scénario envisageable sur le long terme et je ne pense donc pas que nous y reviendrons de sitôt.
Avec le recul, il est clair qu’un scénario avec des taux d'intérêt nuls n’a jamais été raisonnable, et je ne pense donc pas que nous y reviendrons de sitôt. Dans l'ensemble, les conditions de financement pour les grandes entreprises restent bonnes, le marché est suffisamment liquide et je ne vois pas de problème de disponibilité de financement pour les entreprises qui affichent une bonne solvabilité. Le prix des actifs a également quelque peu baissé face à la hausse des taux d'intérêt, ce qui pourrait permettre aux entreprises disposant d’un bilan solide d'obtenir un meilleur rapport rendement/risque lorsqu'elles envisagent une croissance inorganique.
Timo Ihamuotila
CFO du groupe ABB
« CFO of the Year » dans la catégorie Swiss Market Index Expanded® (SMI Expanded®)
En avril 2017, Timo Ihamuotila a été nommé CFO et membre du Comité Exécutif du groupe ABB. Depuis 2009, il était CFO du groupe Nokia Corporation, après avoir occupé les fonctions de directeur exécutif des ventes et de Corporate Treasurer chez Nokia. Timo Ihamuotila a également travaillé dans le négoce de produits dérivés à la Citibank Plc à Londres et dans la gestion des actifs et passifs à la Kansallis Bank en Finlande.