Point de vue
« Il faut travailler sur l’établissement de normes environnementales pour une résilience commune »
L’heure est aux choix. Les entreprises sont de plus en plus confrontées à des dilemmes. Les membres du think tank Confiance & Gouvernance, initié par Deloitte, se sont attelés à explorer le sujet, aussi bien sur le plan économique, environnemental que sociétal. 40 dirigeants se sont confiés sur leurs expériences pour définir les nouveaux fondamentaux du modèle de l’entreprise. Rencontre avec Bertrand Badré, Directeur Général de Blue Like an Orange Sustainable Capital.
Quelles failles du système capitaliste ont été révélées par la crise sanitaire ?
Le système de maximisation du profit a abouti à notamment au déploiement de chaînes de valeur extrêmement longues et fragiles. Soumis à un choc inattendu tel que la pandémie, ce système ne fonctionne plus. L’optimisation a oublié la résilience. Il est important de redéfinir des fondamentaux en adéquation avec les enjeux de notre époque.
Après cette crise, nous espérons tous un capitalisme plus inclusif, plus résilient, plus durable. Mais en réalité, ce n’est pas fait et il est possible que nous nous dirigions en fait vers un capitalisme plus dur. Les restructurations d’entreprise vont peut-être se mener de façon traditionnelle, sans accompagnement, alors que nous devrions en profiter pour nous transformer... Des efforts massifs de formation, d’innovation, de recherche sont aujourd’hui indispensables. Nous ne pouvons pas faire « more of the same ».
L’ESG est une étape nécessaire, mais non suffisante. Il est désormais urgent d’établir des normes pour les intégrer durablement à notre système. Il faut passer d’un monde de l’intention à un monde du résultat.
Cela passe-t-il par la capacité des entreprises à être plus résilientes ?
Une entreprise résiliente sait se projeter dans un projet durable. Maximiser son profit ne suffit pas toujours pour garder le cap et son ADN... Je prête beaucoup d’attention aux “entreprises à mission” et à celles qui indiquent leur raison d’être. Si je constate que les engagements sont de plus en plus nombreux sur le climat et le développement durable, l’ensemble reste encore parfois fragile.
Il faut aller plus loin et travailler sur l’établissement de normes environnementales pour une résilience commune… Et c’est là que notre époque manque d’un leadership moral et intellectuel de portée mondiale. Avant, ce rôle était endossé par les États-Unis, mais aujourd’hui personne ne semble vouloir le porter. Je crois pour ma part que l’Europe a une responsabilité particulière dans l’élaboration de ces nouvelles normes communes.
Certaines organisations internationales ou inter-gouvernementales prônent la décroissance : la perte de capital, sèche, brute, nette. Quel est votre regard sur cette politique ?
Il faut tout d’abord se demander si nous mesurons bien et si cela est pertinent. En effet, parler de croissance équivaut à parler de PNB mondial, or, la plupart des personnes ne le connaissent pas... et les limites du système sont de plus en plus débattues. Je crois donc qu’il faut davantage parler de développement que de croissance ou de décroissance.
Quant à sa juste mesure, nous pouvons réfléchir à de nouveaux outils pour que la politique économique s’appuie sur des indicateurs plus significatifs que le PNB tel qu’il est défini aujourd’hui. Entre la crise financière, la crise sanitaire ou encore le changement climatique, il est urgent de lancer de nouveaux types de référentiels en comptabilité privée. Nous nous servons encore trop d’indicateurs établis dans les années 1930 et modifiés dans les années 1970.
Aujourd’hui, est-il nécessaire de détruire certains pans d’activités pour en renforcer d’autres ?
La destruction créatrice fonctionne et devrait être accélérée dans les années à venir. S’il ne fait pas de doute que les entreprises doivent innover pour survivre, le problème reste l’investissement. Il va être crucial de voir si l’argent des plans de relance sera investi ou épargné. Nous devons apprendre à abandonner certaines activités pour en créer d’autres. L’innovation et la durabilité ne sont pas synonymes de pertes. Au XIXe siècle, la logique de rendement primait. Au XXe, nous avons inventé le couple risque-rendement. Aujourd’hui, il faut considérer un troisième pilier : risque-rendement-durabilité.
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