Point de vue

L’inflation, moteur d’un rééquilibrage des relations fournisseurs-distributeurs ?

Des renégociations contractuelles bouleversées

L’inflation est là pour durer, il est dorénavant impossible de l’ignorer. Elle fait suite à de multiples facteurs, tels que les conséquences de la pandémie de Covid-19 ou encore le déclenchement de la guerre en Ukraine, entraînant des tensions sur le marché des matières premières et bouleversant les chaînes d’approvisionnement.

Aujourd’hui, avec une inflation à deux chiffres, les fournisseurs, notamment dans le secteur agroalimentaire, n’ont pas d’autre choix que de demander aux acteurs de la grande distribution de répercuter ces hausses de coûts dans les tarifs convenus, ouvrant inévitablement la voie à une répercussion finale sur les prix aux consommateurs. Ce contexte crée ainsi de nouveaux défis pour le pilotage des relations fournisseurs-distributeurs, tant à court qu’à long terme.

 

Une adaptation impérative du cadre de négociation

Alors que les relations entre fournisseurs et distributeurs étaient structurées par des négociations annuelles, ce cycle habituel s’enrichit désormais d’un flux permanent de (re)négociations ponctuelles. Le risque est ainsi grand d’une déconnexion entre les processus existants et l’impératif de pilotage des coûts et des tarifs. Ce qui est certain, c’est que distributeurs comme fournisseurs accusent un manque certain de maturité dans l’appréhension de ces sujets, tout comme ils manquent d’outils et de process adaptés. Il devient alors fondamental dans ce nouveau cycle de disposer d’une connaissance fine des évolutions de coûts, mais aussi de pouvoir en mesurer l’impact de manière dynamique sur tout un portefeuille de produits. 

S’adapter à l’inflation est également essentiel et suppose aussi d’anticiper les évolutions à venir. Les problématiques de rupture d’approvisionnement et les hausses de coûts sur un ensemble de produits plus vastes vont s’intensifier à mesure que les transformateurs répercuteront aux distributeurs la hausse de leurs propres coûts. L’anticipation devient ainsi une variable clé de la réussite des négociations. 

Enfin, il est indispensable que la relation de confiance soit maintenue dans un contexte où les fournisseurs peuvent légitimement craindre de dévoiler les détails de leurs équilibres économiques, tandis que les distributeurs craignent des demandes de hausse tarifaire opportuniste et non fondées. Cette impasse peut notamment justifier le recours à un tiers de confiance à même de certifier que les hausses de prix réclamées par les fournisseurs reposent effectivement sur des hausses de coûts.

Le rôle de la puissance publique

Cela fait désormais plusieurs années que l’État s’est emparé du sujet dans l’optique de sécuriser les revenus des agriculteurs, fragilisés par les augmentations de prix. Avec l’entrée en vigueur le 30 octobre 2018 de la loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous », dite loi Egalim, le législateur a introduit de nouvelles règles régissant les relations entre distributeurs et fournisseurs, et notamment des clauses d’indexation, dans l’optique d’un meilleur partage de la valeur. 

Les clauses de cette loi auraient normalement dû servir à absorber les chocs rencontrés depuis plusieurs mois par les fournisseurs, mais elles ont souvent été escamotées et n’ont ainsi pas suffisamment rempli leur rôle. Est-ce ainsi le signe qu’il est difficile de changer de mode de fonctionnement et que les clauses d’indexation systématique sont vouées à l’échec ? Ou au contraire qu’il faut accélérer ce mouvement tout en laissant le soin aux acteurs de s’approprier cette nouvelle façon d’encadrer les négociations ? 

Face à l’urgence, l’État a en parallèle œuvré à la signature d’une charte d’engagement entre fournisseurs et distributeurs : il intervient sans réguler les prix et réunit tous les acteurs autour de la table. Il reste toutefois confronté à cette très forte tension entre un impératif de maintien du pouvoir d’achat, la réalité des hausses de coût et l’objectif de préservation des revenus des agriculteurs et producteurs. 

Des évolutions sont ainsi attendues sur la loi Egalim, mais également sur les règles encadrant les relations entre fournisseurs et grande distribution. Elles devront fournir un éclairage précieux sur l’orientation des pouvoirs publics.


Les conséquences de l’inflation sur la relation distributeurs-fournisseurs à plus long terme

Le mode de pilotage en continu qui se met aujourd’hui en place peut être perçu comme plus vertueux. Et si le contexte de crise était alors l’occasion d’instaurer de manière pérenne un mode d’interaction plus collaboratif entre distributeurs et fournisseurs, de dépasser la conflictualité encore très souvent de mise ? 

Tous les acteurs du secteur agroalimentaire vont devoir s’armer sur le suivi des coûts et leur prise en compte, dont notamment les distributeurs qui sont davantage connectés à l’amont de la chaîne du fait de leur double activité de distributeurs-producteurs. Certains acteurs semblent prendre la direction d’un nouveau mode de relation, plus conçu comme un partenariat, et d’autres revoient simplement l’objet et le mode des négociations, ce qui laisse à penser que la transformation vers un modèle partenarial ne se fera pas uniformément ni rapidement. La crise peut aussi bien accélérer la tendance à une relation partenariale que susciter des réflexes défensifs qui crisperont la relation. 

À ces préoccupations économiques immédiates s’ajoute une réflexion de long terme sur l’intégration des critères de développement durable dans la relation distributeurs-fournisseurs. On pense notamment à la prise en compte croissante de l’impact social, aux problématiques de juste rémunération et, sur le plan environnemental, à la résilience des systèmes de production ainsi qu’à l’intégration de circuits courts soulevant la question de la relocalisation. 

Les fournisseurs pourraient profiter de ce contexte de hausse pour transformer de manière plus structurelle leurs offres et proposer ainsi aux distributeurs une alternative à des hausses de prix de produits existants … pour peu que les consommateurs suivent !