Point de vue

Retour des banques sur le projet de texte Pilier 3 ESG publié par l’ABE

Suite à la publication de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) d’un draft ITS (Implementing Technical Standard), les banques ont pu adresser leurs commentaires sur cette publication. L’ABE a donc publié par la suite leurs commentaires via le BSG (Banking Stakeholder Group – le Groupe d’Acteurs Bancaires) ainsi que la Fédération Bancaire Européenne.

 

Pour rappel, l’ABE a publié un projet d’ITS (Implementation Technical Standard) relatif aux informations sur les risques ESG que les banques devront publier dans le cadre du Pilier 3. A partir de Juin 2022, les banques seront tenues de présenter des informations quantitatives et qualitatives. Une partie de ce texte s’appuie sur la taxonomie verte européenne. La mise en œuvre de ce reporting Pilier 3 suppose une discipline importante des entreprises ainsi qu’un investissement conséquent dans la collecte des données pour les banques. En effet les banques dépendront directement des données fournies par les contreparties ou via des fournisseurs tiers afin de pouvoir répondre aux exigences du Pilier 3.

Selon le processus habituel, l’exercice a permis à 26 organismes, dont des banques1, think tanks et associations d’adresser leurs commentaires sur cette proposition de textes, commentaires qui ont été rendus publics par l’ABE.

Commentaires génériques

L'exercice portait sur deux types de tableaux : qualitatifs et quantitatifs.






Tableaux quantitatifs

Les banques se sont accordées pour noter un manque d’accessibilité et de comparabilité de la donnée. Aussi, les éléments demandés dans les tableaux requis par l’ABE constituent un périmètre considéré comme étant pour le moment trop détaillé comparé à la donnée disponible sur le marché.


Etant donné qu’actuellement les banques s’appuient principalement sur leurs contreparties pour collecter ces données, il serait approprié de responsabiliser les entreprises clientes dans la publication de ces informations tant sur la qualité, la fiabilité ainsi que sur la disponibilité. Pour se faire, il est impératif de rédiger des méthodologies telles que celles utilisées par les entreprises soumises à la CSRD afin d’uniformiser les reporting et ainsi limiter la non-comparabilité des informations publiées. Pour compenser le manque de données, les banques pourraient devoir faire appel à des proxies/intermédiaires accentuant la non-comparabilité de ces données.

Les banques suggèrent donc que l’utilisation des fournisseurs tiers de données soit limitée et de sortir du périmètre d’analyse les contreparties n’étant pas sujettes à la réglementation CSRD dans le cadre du Pilier 3 ainsi que celles en dehors de la zone euro n’ayant pas de réglementation similaire.
D’autre part, les catégories de données requises dans le cadre du Pilier 3 devraient distinguer les informations à destination des régulateurs ainsi que celles à destination du public et des investisseurs. Par exemple le tableau n°5 sur le référencement dans le portefeuille bancaire du top 20 des entreprises ayant les expositions les plus importantes va à l’encontre des principes généralement appliqués selon lesquels une contrepartie ne peut être identifiée spécifiquement et devrait uniquement être retranscrit à travers un reporting à destination du régulateur.

 

Tableaux qualitatifs

Les informations requises par les tableaux qualitatifs sont considérées comme étant alignées avec les éléments requis par les régulateurs et superviseurs mais divergent de celles recherchées par les agences de notation ESG. L’enjeu principal réside donc dans la normalisation des informations et l’harmonisation globale des tableaux.


Il est nécessaire de développer des méthodologies standardisées notamment pour les tableaux consacrés aux informations liées au social et à la gouvernance.

Des précisions sont également attendues pour déterminer si les données requises couvrent uniquement les impacts ESG sur les expositions financières des institutions ou si le périmètre englobe également les impacts sur leurs opérations.

Commentaires spécifiques

Les templates quantitatifs ont été subdivisés en trois catégories principales pour analyser les facteurs de risque climatique qui peuvent avoir un impact sur la banque.


 
  • Commentaire n°1 : le risque de transition, qui résulte d’une économie basculant vers le bas carbone, est analysé au travers des templates n°1 à 6
  • Commentaire n°2 : le risque physique, qui est issu des dommages météorologiques et climatiques, est analysé quant à lui dans le template n°7
  • Commentaire n°3 : la dernière série de tableaux concerne la mesure d’atténuation du risque climatique qui est analysée dans les templates n°8 à 10. Les templates n°8 et 9 accentuent les informations quantitatives en lien avec la Taxonomie Européenne et qui contribuent à l’atténuation du risque climatique. On aborde notamment ici le calcul du Green Asset Ratio (GAR). Le tableau n°10 permet lui aussi de présenter les expositions qui contribuent à l’atténuation du risque climatique, mais qui ne sont pas à date dans le champ de la Taxonomie Européenne telles que les expositions relatives au secteur de l’énergie nucléaire, transport aérien etc.


Nous présentons ci-après de manière synthétique les réponses et suggestions qui ont été apportées par les banques tableau par tableau :


Le tableau #1 permet de retranscrire le risque de transition à travers les montants des expositions par secteur économique (code NACE) dans le portefeuille bancaire. De manière générale, ce tableau est considéré comme étant trop granulaire. Une quantité importante de données sont requises pour des informations qui ne sont pas encore totalement abouties et pourraient être amenées à évoluer. Les investissements nécessaires à la mise en place de ce reporting semblent disproportionnés au regard des avantages attendus et du fait que les attentes du régulateur pourraient évoluer.

De manière plus spécifique le panel remet en question le lien entre les paramètres de risque et les données ESG non financières. Notamment, les informations IFRS 9 requises (PD, provisions…) dans le tableau vont au-delà des exigences actuelles de publication au niveau secteur dans le cadre du Pilier 3 CRR2 entrainant des interprétations erronées.

De ce fait, le panel souhaiterait supprimer ces informations. Enfin, il semblerait qu’il soit encore trop tôt pour demander aux banques de donner publiquement leurs expositions aux secteurs les plus exposés comme définis de la colonne F à K et P à U. Ces secteurs regroupent les expositions envers les entités exclues du benchmark européen défini dans les articles 12.1 et 12.2 du « Climate Benchmark Standards Regulation ». Le panel recommande donc de créer un tableau plus simplifié incluant seulement un reporting sur les expositions comptables brutes par secteur. Le niveau de granularité demandé actuellement pourra être atteint quand la CSRD sera en place et que le marché aura déterminé quels sont les secteurs au niveau européen qui émettent le plus en carbone.


L’analyse de l’impact des facteurs de risque de transition dans le tableau #2 se matérialise par la décomposition par maturité des expositions par secteur économique. L’analyse des maturités longues pose toutefois question. Elles traduisent davantage un risque global lié aux expositions concernées qu’un risque spécifique lié aux facteurs de risques ESG.

Les suggestions concernant ce tableau ont principalement deux objectifs: apporter une clarification quant à l'utilisation de la classification par code NACE à l'échelle de l'entité ou du groupe et aligner davantage le tableau avec le FINREP et la structure utilisée habituellement pour le Pilier 3


Concernant le tableau #3, qui permet de reporter les émissions de scope 3, il apparaît que les informations requises n’incluent pas toutes les données qui devraient être prises en compte. Notamment, les efforts réalisés qui permettent de compenser et réduire de facto les émissions nettes de CO2, comme définis dans le « Verified Carbon Standard », sont des éléments importants à prendre en considération. Cependant, cet axe d’analyse étant relativement complexe à mettre en place, le marché devra attendre Juin 2024 pour arriver à un accord commun permettant de mettre en application cette approche. En attendant que des méthodologies robustes pour les banques au niveau européen soient rédigées, il est proposé de surseoir à la publication de ce tableau.


Le tableau #4 propose d’analyser le risque de transition dans le banking book au travers de nombreux indicateurs tels que les tonnes de CO2 par kWh ou encore par kilomètre par personne par secteur et par code NACE. Ces métriques sont en ligne avec celles qui sont utilisées dans les accords de Paris ainsi que les émissions de scope 3. Cependant, ce tableau fait également l’objet de commentaires quant à la disponibilité des données publiées notamment par les entreprises de taille moyenne puisque certaines informations font l’objet d’hypothèses, d’incertitudes et sont difficilement calculables. Par ailleurs, le tableau manque de flexibilité quant aux scenarios considérés. Actuellement c’est le scénario 2°c qui a été choisi comme scenario de référence. Le panel souhaiterait pouvoir comparer les données à des scénarios plus ambitieux comme notamment le scénario 1.5°c de l’accord de Paris ou encore intégrer des scénarios externes tels que celui du One Earth Climate Model (OECM) et ainsi être cohérent avec les engagements pris auprès du public et des investisseurs.


Le tableau #5 permet, quant à lui, d’analyser le risque de transition en présentant les expositions envers les entreprises les plus polluantes. Ce tableau n’a pas fait l’unanimité au sein des banques puisqu’il oblige à donner des informations spécifiques à certaines contreparties. Par ailleurs les banques doivent définir par leurs propres moyens la liste des entreprises les plus polluantes. Ces dernières suggèrent donc que ce tableau ne soit communiqué qu’aux régulateurs pour garantir sa confidentialité et qu’il soit exclu des publications exigées dans le cadre du Pilier 3.


Dans le tableau #6, les banques questionnent l’utilité d’appliquer au trading book/portefeuille de négociation une mesure des impacts du risque de transition qui a démontré des limites en termes d’analyse. En effet, le trading book est composé principalement d’expositions à court terme alors que les facteurs de risque ESG se matérialisent sur des horizons moyens et longs termes. De plus, le ratio coût/bénéfice lié à l’élaboration de ce tableau est clairement défavorable. C’est pourquoi le panel recommande de focaliser l’analyse sur le banking book. En pratique il est donc suggéré de supprimer ce tableau.


Le risque physique est analysé dans le tableau #7 avec des informations synthétiques et détaillées.
Cependant, et y compris pour les informations plus synthétiques, l’approche proposée repose sur un modèle de données trop détaillé au regard de la disponibilité des informations. Cette granularité obligerait les banques à avoir un recours à des fournisseurs de données tiers qui utilisent leurs propres méthodologies, rendant plus complexe la comparaison entre les différentes informations.

Il est donc nécessaire de définir des méthodologies de calcul afin de permettre une meilleure comparaison des données.


Le GAR a pour objectif de calculer la proportion des actifs qui sont investis dans des activités économiques dites durables et conformes à la classification de la Taxonomie européenne. En mesurant les expositions qui contribuent à s’adapter au changement climatique, cet indicateur vise à mesurer dans le temps l’atténuation du risque. Cependant, selon le panel, cet indicateur n’est pas considéré pour le moment comme un indicateur de risque et ne devrait donc pas figurer dans le Pilier 3.
Il est donc proposé de retirer les tableaux #8 et #9 du Pilier 3.


Enfin, le dernier tableau avait pour objectif de mettre en avant les autres mesures d’atténuation du risque. Ce tableau a globalement été bien reçu par le panel et fait même l’objet de plusieurs recommandations pour améliorer la qualité des publications.

Le panel recommande notamment à l’ABE plus de flexibilité dans ce tableau pour que sur la base du volontariat, les participants incluent davantage d’éléments tels que : les crédits incluant les critères ESG et autre financement vert qui n’aurait pas été mentionné dans les précédents tableaux. Le panel donne par exemple les prêts verts (« Green loans ») en lien avec les « Green Loan Principles » et qui ne sont pas conformes à la taxonomy ou qui n’ont pas fait l’objet d’une revue à travers le technical screening criteria (TSC).
Les TSC étant des caractéristiques qui permettent de déterminer si une activité économique contribue de manière considérable à l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique.


Le règlement européen du 18 juin 2020 instaure un dispositif de taxonomie (de classification) des activités durables sur le plan environnemental (catalogue unique de ce qui peut être qualifié de « vert » parmi les activités d’une entreprise), en vue d’accélérer l’orientation des investissements vers les technologies jugées écologiques.

Cette taxonomie se compose d’un ensemble de critères d’éligibilité pour chacune des activités économiques sur les 6 objectifs environnementaux ci-dessous :

    a) L’atténuation du changement climatique
    b) L’adaptation au changement climatique
    c) L’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines
    d) La transition vers une économie circulaire
    e) La prévention et la réduction de la pollution
    f) La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes
 

Une activité ne pourra être qualifiée de « durable » ou « verte » que s’il est démontré qu’elle contribue significativement à un des 6 objectifs environnementaux définis précédemment, tout en n’entraînant pas de dommage sévère sur les 5 objectifs restants.

Le Règlement de cette taxonomie, publié en juin 2020, entraîne également des nouvelles obligations de reporting pour les acteurs privés et publics :

  • Les acteurs du secteur financier devront publier la part de leurs investissements dans des activités économiques durables. Le premier reporting est prévu pour 2022.
  • Les entreprises devront publier la part de leur chiffre d’affaires et de leurs investissements annuels réalisés dans une ou plusieurs de ces activités.

Concernant les modalités d’application de ces obligations de reporting par les entreprises :

  • Les entreprises éligibles sont celles concernées par la NFRD qui est en cours de révision. En effet, à partir du T1 2024, la NFRD évoluera en CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) avec :

                    1. Un périmètre d'application plus large

                    2. Un régime de normes de reporting obligatoire

                    3. Un contenu de l'information plus précis

                    4. Une information centralisée dans un format imposé

                    5. Une information obligatoirement auditée

  • Ces informations seront à publier au sein du non financial statement prévu par la NFRD (DPEF en France)
  • Le reporting est prévu à compter du 1er janvier 2022 pour les objectifs changement climatique - ie a) et b) - et à partir du 1er janvier 2024 pour les autres – c) à f) – en raison des actes délégués nécessaires sur les critères d’examen technique.

L’acte délégué, publié en Juillet 2021, a permis de détailler les attentes du régulateur en matière de ratios sur les deux premiers critères introduits par la taxonomie.

Les banques sont dépendantes des informations publiées par les entreprises pour calculer le GAR. Cela pose la question du calendrier d’obtention de ces informations.

L’acte délégué introduit une période de transition pour les banques entre le 1er Janvier 2022 et le 31 Décembre 2023. Cela permettra aux banques de s’appuyer sur les publications des entreprises qui auront déjà publié une fois leurs ratios en 2023 sur l’année 2022.

Les ratios demandés sur la période transitoire sont les suivants :

  1. Proportion des actifs éligibles / non éligibles à la Taxonomie par rapport aux actifs couverts
  2. Proportion dans les actifs couverts des actifs (i) exclus du calcul des indicateurs (expositions souveraines, banques centrales et supranationales), (ii) des actifs exclus pendant le reporting allégé (dérivés) et (iii) actifs non couverts par la NFRD (EU et non-EU)
  3. Explication des sources de données et de la stratégie de calcul adoptée

Dans un second temps, à partir de Janvier 2024, les banques devront présenter les GAR sur les 6 objectifs climatiques ainsi que des GAR plus granulaires (Bilan vs Hors Bilan, Type de contrepartie, Nature d’actifs, Stocks vs Flux, Type d’objectif environnemental). A partir de Janvier 2026, le trading book et les commissions seront intégrés dans le calcul du GAR.

Conclusion

Les commentaires apportés au projet de texte du pilier et les difficultés d’articulation avec la règlementation taxonomie mettent en lumière le dilemme actuel autour du reporting ESG de manière générale. La volonté bien comprise de l’Union Européenne et des régulateurs bancaires d’améliorer la transparence des informations publiées par les banques pour accélérer la réorientation des flux de financement vers des activités plus durables se heurte à l’absence de données et de méthodologies robustes. Le risque est donc de livrer au public des informations de mauvaise qualité, difficilement comparables et potentiellement trompeuses.

Il serait en outre important de clarifier les objectifs visés par ce cadre de reporting afin d’éviter la confusion. S’agit-il d’apprécier les risques portés par les bilans des banques du fait des facteurs de risque climatique, d’apprécier la réorientation des flux de financement vers des activités durables ou encore d’évaluer l’atteinte par les banques des engagements pris en termes de neutralité carbone ?

1 : liste des institutions ou associations bancaires ayant répondu à l’exercice : BBVA, BNP Paribas Group, ESBG (European Savings and Retail Banking Group), European Banking Federation, French Banking Federation