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Actualité

La féminisation des instances dirigeantes

Comex/Codir – Vers une nouvelle obligation visant à renforcer la parité

Article écrit en collaboration avec Émilie Garin, Senior Consultante Workforce Transformation

À l’occasion de la Journée mondiale de la femme et suite aux 10 ans de la loi Copé Zimmermann (1), les tribunes, les débats et les temps d’échange lors de webinaires ou de tables rondes se sont multipliés, témoignant d’une volonté collective de poursuivre la réflexion sur la parité en France. Le Gouvernement semble avoir pris la mesure de la nécessité de légiférer une seconde fois afin de renforcer l’égalité femmes-hommes dans les entreprises : le ministre de l’Économie, Monsieur Bruno Le Maire, a ainsi exprimé le souhait qu’une proposition de loi contraignant les entreprises à renforcer la parité au sein des instances de direction (comités de direction, comités exécutifs) soit déposée courant mars 2021.
Dans ce contexte, il nous est apparu opportun de partager des tendances chiffrées récentes sur la parité au sein des instances de direction, thématique sur laquelle Deloitte apporte son expertise aux entreprises depuis plusieurs années à l’occasion d’événements clients. Il s’agit également, dans cet article, de synthétiser l’ensemble des pistes identifiées à date pour améliorer la féminisation des instances dirigeantes et, plus largement, renforcer l’égalité professionnelle.
 

I- Une législation ayant fortement impacté la parité

La loi Copé-Zimmermann a très sensiblement permis de renforcer la parité des conseils d’administration et de surveillance des entreprises du CAC 40 et du SBF 120, avec un objectif de 40 % atteint six ans après sa mise en place – Tableau 1.
Avec une féminisation de 45 % en 2019, la France se situe en tête des pays européens, juste derrière la Finlande pouvant se prévaloir d’un taux de 46 %.
 

Tableau 1

L’analyse des taux de présence et de présidence féminins au sein des comités spécialisés des entreprises du SBF 120 fait apparaître un taux moyen de femmes de 47 % (tous comités confondus), ce taux se combinant à un taux de présidence féminine de 48 % principalement tiré par les comités RSE, Nominations, Éthique et Audit .

 

Tableau 2

II- Des comités exécutifs en retrait et marqués par des « territoires genrés »

Si les conseils d’administration et de surveillance se sont fortement féminisés sous l’influence du législateur, les instances où sont prises les décisions stratégiques de l’entreprise, à savoir les comités exécutifs ou de direction, restent très fortement masculines même si des améliorations ont été observées ces trois dernières années. Nos experts Deloitte observent ainsi un taux de féminisation médian de 20 % au sein du CAC 40 et de 18 % au niveau du SBF 120, soit cinq points de plus qu’en 2017.
En outre, l’analyse des documents de référence permet de noter une absence totale de femmes dans ces instances pour 16 % des entreprises du SBF 120.
Il est également intéressant de noter une persistance de la « séparation genrée » des fonctions avec des territoires dits plus « féminins » (Ressources humaines & Communication, Juridique & Secrétariat général, Commerce & Marketing) et d’autres « masculins » (Direction générale, Direction de Business Unit). De manière surprenante car allant à rebours des idées reçues, les DSI (directions des systèmes d’information) sont relativement féminisées avec un taux de féminisation supérieur de 10 points à la moyenne des taux – Tableau 3.
 

Tableau 3

III- Quota or not quota?

Les avis sont partagés et la question fait l’objet d’opinions tranchées. Si, pour l’AFEP, « l’idée d’imposer un quota au sein des instances dirigeantes, comme pour les conseils d’administration, doit être écartée » (extrait du Vade-mecum sur la féminisation des instances dirigeantes publié en mars 2019), le Conseil de la mixité et de l’égalité professionnelle dans l’industrie propose qu’un « objectif soit fixé par la loi. Un minimum de 30 % pour chacun des sexes en 2025 paraît parfaitement atteignable avec des dérogations éventuelles pour les secteurs où la démographie est spécifiquement déséquilibrée ».
Au sein de la communauté RH, les avis divergent également. Les rencontres RH du 21 janvier 2021, organisées par Le Monde en partenariat avec LinkedIn et Manpower, ont permis d’établir un bilan critique de la loi Copé-Zimmermann (2). Pour Alexis Berthel DRH de Panthera, la pratique de quota est considérée comme « un mal nécessaire pour lutter contre un phénomène sociétal ». Dominique Brard, de ManpowerGroup, met en avant le fait que les quotas puissent desservir les femmes, pouvant être soupçonnées d’avoir été recrutées du fait de leur genre et non de leurs compétences.

Enfin, au sein de la classe politique, les quotas sont diversement appréciés. Fin 2019, à l’occasion de la présentation d’un rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE), Bruno Le Maire se prononçait, presque malgré lui, en faveur de quotas : « Je ne suis pas un fan de quotas, mais il faut malgré tout s’engager en faveur des quotas dans les Comex. »

IV- Une vraie lueur d’optimisme est permise !

Depuis début 2020, les lignes bougent et la nécessité du renforcement de la parité au sein des instances dirigeantes est reconnue par l’ensemble des acteurs politiques, économiques et associatifs.
Ainsi l’AFEP, qui n’était pas en faveur des quotas, a revu sa position. La recommandation visée par l’article 7.1 du nouveau Code de gouvernance AFEP-MEDEF (3) prévoit que, « sur proposition de la direction générale, le conseil détermine des objectifs de mixité au sein des instances dirigeantes. La direction générale présente au conseil les modalités de mise en œuvre des objectifs, avec un plan d’action et l’horizon de temps dans lequel ces actions seront menées. » En outre, le Code prévoit un suivi annuel des résultats obtenus ainsi qu’une description, dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise, de la politique de mixité appliquée aux instances dirigeantes, y compris les objectifs de cette politique, les résultats obtenus au cours de l’exercice écoulé et si nécessaire les raisons de non-atteinte de ces objectifs.
Lors du petit déjeuner Deloitte sur la rémunération des Dirigeants organisé fin 2020, Deloitte avait convié deux femmes à s’exprimer sur le sujet de la féminisation des instances de direction : Sylvie Leyre, présidente du Conseil de la mixité et de l’égalité et ancienne DRH de Schneider Electric France, et Laurianne Le Chalony, Chief People Officer d’EcoVadis (Chief People Officer – Group HR Director de Linedata en octobre 2020).


Franck Chéron avait en particulier posé la question des quotas aux invitées. Sylvie Leyre s’était prononcée en faveur de nouveaux quotas sur les genres, rappelant que « c’est grâce à la loi Copé-Zimmermann qu’on a passé le cap sur la féminisation ». Laurianne Le Chalony avait estimé qu’« un quota à 30 % à moyen terme était envisageable », mais que cela nécessitait une préparation sur plusieurs années : « Il faut du temps pour faire monter les personnes, qu’elles soient formées et prêtes à prendre les postes. »


En outre, depuis janvier 2021, les appels à la mise en place de quotas se multiplient ; ils émanent aussi bien de dirigeants de grandes entreprises que de personnalités impliquées dans le renforcement de la parité.
Sept dirigeants d’entreprises, membres de l’Observatoire de la mixité, parmi lesquels Hélène Bernicot (Arkéa), Jean-Pierre Farandou (SNCF) et Anna Notarianni (Sodexo), se sont prononcés en faveur d’objectifs de mixité contraignants dans une tribune publiée par le journal Le Monde (4) : « La pandémie a récemment confirmé et renforcé les inégalités de genre. Nous voulons rendre cette crise utile et, par un engagement clair vers l’avancement des femmes, marquer un changement vers plus d’équité, qui va de pair avec une meilleure performance. C’est notre rôle de dirigeant(e) de prendre position, de faire preuve de courage et de vision, de dire que l’on ne peut plus continuer à perdre du temps sur un sujet stratégique. »

Fin janvier, une seconde tribune a été publiée par Le Journal du Dimanche, signée cette fois-ci par des personnalités militant pour l’égalité femmes-hommes et appelant le Gouvernement à agir en faveur d’une « relance paritaire » (5). Les signataires demandent notamment, en complément des quotas de femmes au sein des comités exécutifs/de direction, des quotas dans les filières technologiques. Une revalorisation des salaires, via un « Pay Equity Act, comme au Canada », est également requise afin de « comparer le salaire des infirmières à celui de techniciens dans un autre domaine impliquant le même niveau de responsabilité. Il n’est plus acceptable que les métiers les moins bien payés soient également les métiers les plus féminisés. »
Il est fort à parier que, dans le contexte actuel et à l’approche de la Journée mondiale de la femme (8 mars 2021), les appels ou les tribunes devraient continuer à être publiés dans les prochaines semaines.

V- Au-delà des quotas, comment renforcer la parité ?

En complément des quotas, des actions concrètes peuvent faire bouger les lignes selon Sylvie Leyre et Laurianne Le Chalony.
Le développement de relations entre écoles d’ingénieurs et CFA, afin que ces structures accueillent des filles dès l’adolescence, pourrait inciter les jeunes filles à s’engager dans des voies traditionnellement plus masculines et donc à renforcer la parité dans les secteurs scientifiques et techniques.
Au sein des secteurs et des entreprises caractérisés par un taux d’hommes important, des plans d’actions peuvent être définis afin d’inciter les femmes à rejoindre ces entreprises, à favoriser leur intégration dans un objectif moyen terme de rétention. En effet, il est fréquemment observé que les femmes, lorsqu’elles rejoignent des entreprises « masculines », les quittent rapidement si l’ambiance ne leur est pas favorable (manque de considération, blagues misogynes, machisme latent) et si les évolutions de carrière sont limitées du fait d’un manque d’ouverture du management.

  • Donner aux hommes les moyens de s’investir dans la parentalité doit également permettre de renforcer la parité ; l’allongement du congé paternité à 28 jours, voté le 30 novembre 2020 à l’occasion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021, permettra aux pères d’être présents après la naissance et donc aux femmes de revenir de congés maternité dans de meilleures conditions. Sylvie Leyre invite les entreprises à prévoir des entretiens de retour de congé paternité afin d’éviter que les femmes prennent l’ensemble de la charge liée aux enfants. Chez Linedata, plusieurs pays ont déjà mis en place des entretiens lors des retours de congé paternité ; ce dispositif donne la possibilité aux hommes de faire part de leurs éventuels souhaits d’aménagement du temps de travail.
  • En parallèle d’actions concrètes, un travail de réflexion approfondi sur le sujet de la parité peut être mené par les entreprises. Deux axes peuvent notamment être abordés, l’un ayant trait à l’accompagnement, l’autre ayant trait à l’identification des leaders/talents.
    Concernant l’accompagnement des femmes, il a pour objectif d’accompagner la prise de poste de middle management via des dispositifs de coaching, mentoring, sponsorship permettant aux femmes d’accroître leur confiance dans leurs capacités à occuper des fonctions de leadership, de construire et de développer leurs réseaux internes et externes ainsi que leur exposition interne à des missions ou projets stratégiques. L’accompagnement vise aussi à préparer certaines de ces femmes managers à évoluer à moyen/long terme sur des fonctions top management (N-2/N-1 Comex, membres Comex).
  • Le deuxième axe de réflexion correspond à un changement de paradigme. Il s’agitait en effet de changer la manière d’identifier les futurs leaders/hauts potentiels dans une logique plus inclusive. La logique actuelle orientée vers l’identification des hauts potentiels/futurs leaders sur une tranche d’âge 30/40 ans est pénalisante pour les femmes puisque cette période correspond à la période de la maternité ; les femmes sont donc quasi automatiquement écartées de ce premier filtre.

Dix ans après la loi Copé-Zimmermann, l’heure est venue de donner aux femmes managers l’opportunité d’occuper des fonctions stratégiques. La société française et notamment les jeunes générations sont favorables à la diversité (genre, âge, origine). Tous ensemble, ne manquons pas cette occasion de valoriser les compétences de toutes et tous et d’aller vers plus d’équité !

Sources :


(1) La loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011, dite Copé-Zimmermann, pose une obligation de respecter un quota minimum de membres de chaque sexe afin d’assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et des conseils de surveillance des entreprises.
La loi fixe pour objectif un horizon de 40 % de femmes en clôture des AG 2018. Lorsque le conseil est composé au plus de huit membres, l’écart entre le nombre des administrateurs de chaque sexe ne peut être supérieur à deux.
(2) Article du Monde, « Égalité professionnelle : le bilan critique des RH sur les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann », publié le 26 janvier 2021.
(3) Code de gouvernance AFEP-MEDEF révisé publié le 30 janvier 2020.
(4) Tribune du Monde, « Pour des objectifs de mixité contraignants à la tête des entreprises : l’appel de sept dirigeants de grandes entreprises », publiée le 26 janvier 2021.
(5) Tribune du Journal du Dimanche (JDD), « La relance doit être paritaire, par 120 responsables de réseaux féminins et entrepreneurs », publiée le 31 janvier 2021.