Dimanche, la coalition de l’OPEP+ des principaux pays producteurs de pétrole a annoncé une importante diminution de la production de pétrole dans le but de réduire l’offre de pétrole de 9,7 millions de barils par jour en mai et en juin. Il a fallu une semaine de négociations pour en arriver à cette importante réduction de l’offre historique. Elle devrait s’accompagner d’une autre réduction de la production de 3,7 millions de barils par jour des États-Unis, du Canada et d’autres pays, reflétant une offre réduite en réaction à une plus faible demande mondiale.
La réaction du marché a été discrète, et les prix du pétrole ont reculé lundi matin. Les marchés des capitaux sont prospectifs, donc une annonce d’une réduction d’environ 10 millions de barils par jour était déjà incluse dans la valeur du pétrole brut. En outre, il est largement admis que la réduction de l’offre n’est rien comparativement à l’ampleur de la chute dramatique de la demande mondiale. Par exemple, la consommation de pétrole aux États-Unis s’établissait autour de 21 millions de barils par jour en 2019, mais elle a chuté à environ 14,5 millions de barils récemment. Les États-Unis comptent généralement pour environ 20 pour cent de la consommation mondiale de pétrole.
Goldman Sachs Group Inc. a décrit le résultat comme « historique mais insuffisant ». Nous sommes tout à fait d’accord. Oxford Economics estime qu’environ 64 pour cent de l’économie mondiale est en confinement pour contenir et éradiquer la COVID-19. Les stocks de pétrole sont susceptibles d’augmenter jusqu’à ce que l’économie sorte du ralentissement imposé par les gouvernements. Et la capacité de stockage est limitée.
Andrew Botterill, notre leader national, Pétrole, gaz et produits chimiques, et moi-même coordonnons les prévisions de Deloitte concernant le secteur de l’énergie et l’économie canadienne de façon générale. Voici le point de vue d’Andrew : « Le marché sait qu’il n’est tout simplement pas possible de réaliser des économies suffisantes compte tenu de la destruction massive de la demande. Dans les mois à venir, les stocks vont continuer d’augmenter dans le monde entier et les prix canadiens continueront de subir les conditions difficiles du marché américain – dont ils dépendent largement –, lequel a également connu une baisse spectaculaire de la demande. Au cours des prochaines semaines, les compagnies pétrolières et gazières vont procéder à des baisses drastiques de production et à des licenciements pour tenter de lutter contre ces énormes écarts de prix. »
Nos prévisions économiques actuelles prévoyaient que l’OPEP reviendrait à la raison et réduirait l’offre, et que les autres pays abaisseraient leur production. Nous étions partis du principe que les prix du pétrole resteraient bas tout au long de l’été et qu’ils augmenteraient vers la fin de l’année, mais que le pétrole brut West Texas Intermediate ne se redresserait qu’à hauteur de 35 à 39 dollars américains d’ici la fin de l’année. Cette perspective de prix du pétrole faible contribue à une contraction de près de 5 % de l’économie canadienne, tandis que les provinces productrices de pétrole que sont l’Alberta, Terre-Neuve-et-Labrador et la Saskatchewan devraient connaître un recul plus important encore. À l’échelle nationale, la récession sera presque deux fois supérieure à celle de la période 2008-2009, et l’Alberta connaîtra une contraction semblable à celle de l’ensemble des provinces sur 2015-2016.
En ce qui concerne la santé publique, le tableau de bord de la reprise économique de Deloitte montre que la courbe nette des cas commence à s’aplatir au Canada, en particulier dans l’ouest du pays. Cette évolution est encourageante, et nous pensons que la tendance va se généraliser au fil du temps. Il faudra patienter encore avant que les mesures de confinement puissent être assouplies, mais les décideurs politiques et les entreprises doivent dès maintenant se préparer à cette éventualité.
Plus préoccupant, le président Trump a déclaré aujourd’hui qu’il lui appartenait de décider du moment auquel l’économie américaine devrait repartir. Or, les experts juridiques ne sont pas d’accord sur ce point, car selon le 10e amendement de la Constitution américaine, les gouvernements des États ont un pouvoir de police sur les citoyens et le droit de réglementer le bien-être public. L’évolution de l’approche des États-Unis face à la pandémie a un impact fondamental sur l’économie canadienne et sur les entreprises qui opèrent des deux côtés de la frontière. Nous espérons donc que ce n’est pas d’un débat politique entre les différents niveaux de gouvernement qu’émergera la décision quant au moment propice pour un retour au travail. Il ne serait pas non plus souhaitable d’envoyer des messages contradictoires aux entreprises américaines. Il nous semble plutôt essentiel que le confinement ne soit pas assoupli trop tôt afin de ne pas déclencher un potentiel deuxième cycle d’infection. La question de savoir qui déterminera quand assouplir le confinement peut ne pas constituer un problème en soi, mais elle peut influencer notre perspective sur l’avenir de l’économie. À ce titre et pour nous préparer à toute éventualité, nous modélisons actuellement des scénarios dans lesquels le Canada et les États-Unis réussiront tous les deux à endiguer l’épidémie en même temps, mais nous envisageons également d’autres scénarios dans lesquels le Canada parviendra à maîtriser la situation et les États-Unis auront plus de difficultés à le faire.