Point de vue

L’impact de la décarbonation passive sur les trajectoires carbone des portefeuilles de gestion

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L’impact de la décarbonation passive sur les trajectoires carbone des portefeuilles de gestion

Plusieurs Assureurs et Asset Managers avaient défini des objectifs de décarbonation de leurs portefeuilles d’investissements à horizon 2025. Il apparait que la décarbonation passive a joué un rôle significatif dans l’atteinte des objectifs fixés ces dernières années. La mise à jour des objectifs avec de nouvelles cibles plus ambitieuses à horizon 2030 nécessite de définir et d’activer des leviers de décarbonation. Ces actions s’avèrent d’autant plus complexes qu’il est difficile de prendre une décision de gestion sur la base de ce seul critère carbone.

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Cet article a été rédigé par Bérengère Pluchart, Manager Risk Advisory et Mohamed Benlaribi, Associé Risk Advisory chez Deloitte France.

Dans son troisième rapport d’avancement publié fin 2023, la Net Zero Asset Owner Alliance (NZAOA) revient sur les engagements pris par ses membres. Pour les portefeuilles d’actions et obligations d’entreprises, la moyenne des objectifs de réduction à horizon 2025 est fixée autour de 27 %1 (la NZAOA ayant préconisé des objectifs de réductions entre 22 % et 32 % à cet horizon), que ce soit pour les émissions financées absolues ou en intensité carbone. Se pose alors la question de la part de réduction de l’empreinte directement liée aux actions de gestion des assureurs et assets managers en comparaison à la part liée à la décarbonation naturelle, aussi appelée décarbonation passive.

Par décarbonation passive, il est ici visé les réductions d’émissions de gaz à effet de serre des entreprises : modification de processus, de chaîne d’approvisionnement, ou de sources d’énergie, etc.

L’impact de la décarbonation passive des portefeuilles ces dernières années

Pour apporter un éclairage à cette question, nous avons analysé l’évolution de l’empreinte d’un portefeuille à encours constant et répliquant à iso pondération l’Euro Stoxx 50² sur la période 2018- 2022.

Nous avons notamment calculé l’empreinte de ce portefeuille en valeur et en intensité monétaire, en considérant dans un premier temps les émissions de scopes 1 et 2 comme l’ont fait la majorité des établissements lors de la fixation de leurs premiers objectifs intermédiaires. Pour l’intensité, nous avons retenu les deux approches les plus utilisées qui se basent respectivement sur le chiffre d’affaires et la valeur d’entreprise (EVIC - Enterprise Value Including Cash).

A composition constante du portefeuille, les émissions scopes 1 et 2 exprimées en tonnes de CO2 équivalent diminuent de 18 % entre 2018 et 2022, avec notamment un point bas en 2020, directement lié à la crise Covid-19 qui fait chuter de 11 % les émissions par rapport à l’année précédente.

La baisse des émissions se traduit cependant de manière différente dans les indicateurs d’intensité carbone :

  • Alors que les émissions diminuent sur la période, le chiffre d’affaires moyen augmente quant à lui de 17 %. La tendance observée sur chacun des paramètres permet donc une diminution très significative de l’intensité carbone par le chiffre d’affaires de l’ordre de 35 %.
    A noter que la crise Covid-19 est ici moins perceptible du fait de la concordance entre la diminution des émissions et celle du chiffre d’affaires, qui stabilise le ratio dans un contexte économique au ralenti.
  • L’intensité carbone par l’EVIC diminue quant à elle de 26 % sur la période avec une évolution qui peut être analysée en deux phases : (i) une première phase entre 2018 et 2021 où l’augmentation de l’EVIC, associée à la diminution des émissions, permet une diminution de l’intensité de 34% et (ii) une année 2022 particulièrement marquée par une chute du cours des actions qui vient réimpacter à la hausse l’intensité d’environ 13%. L’impact Covid-19 est ici encore observable, avec une baisse de l’intensité de 12% sur l’année 2020, mais apparait toutefois moins flagrant grâce à une relative stabilité de cette intensité sur 2021 expliquée par la poursuite de l’accroissement de l’EVIC compensé par la reprise légère des émissions.

Nous pouvons également analyser l’évolution de manière plus détaillée :

Certains cas extrêmes sont observables au sein du portefeuille, comme notamment une entreprise industrielle dont l’empreinte varie très peu sur la période. Les entreprises pétrolières voient leur intensité carbone évoluer notamment compte tenu de l’évolution du prix des matières premières.

On peut noter que parmi les 38 entreprises non-financières constitutives de notre échantillon, plus de 60 % sont engagées à réduire leurs émissions de scopes 1 et 2 selon la méthodologie SBTi, ce qui devrait contribuer aux résultats observés.

Ainsi, pour l’échantillon considéré et sur l’horizon de temps observé, la décarbonation des entreprises est significative et contribuerait à l’atteinte des objectifs de décarbonation d’un portefeuille d’investissements, la majorité des membres de la NZAOA ayant fixé des cibles sur les scopes 1 et 2 uniquement à horizon 2025.

 

Le cas particulier des émissions de scope 3, une conclusion différente

Dans notre analyse sur la mesure de la décarbonation passive du portefeuille témoin, malgré notre ambition initiale, nous n’avons pas retenu le scope 3 des entreprises. La qualité et l’exhaustivité des données d’émissions de scope 3 s’est certes améliorée ces dernières années mais elle est trop variable sur la période d’analyse.

En effet, sur la période étudiée on constate que le scope 3 d’une dizaine d’entreprises non-financières augmente de plus de 200 %, avec en particulier une augmentation de plusieurs centaines de millions de tonnes de CO2 équivalent pour le secteur du transport. Des variations significatives sont également observables pour plusieurs entreprises et peuvent expliquer une tendance non uniforme dans l’évolution de ce paramètre sur la période.

Ainsi, en considérant le scope 3 dans leur mesure d’empreinte depuis 2018, celle-ci ne fait que s’accroitre, la diminution générée sur les scopes 1 et 2 (-18 % comme présenté ci-dessus) étant complètement écrasée par l’augmentation du scope 3 au fil des ans (+62 % entre 2018 et 2022). Il est difficile de savoir si cela s’explique par une amélioration des méthodes de calcul et du périmètre couvert sur le scope 3 des entreprises ou par d’autres facteurs.

Même si ces données apparaissent instables sur la période considérée, il nous semble désormais indispensable d’inclure le scope 3 dans les calculs d’empreinte et dans la fixation des objectifs 2030. Cette démarche permet effectivement d’avoir une vision exhaustive de l’impact des émissions financées, ce qui est particulièrement intéressant pour les secteurs où le scope 3 représente l’essentiel des émissions (par exemple, le secteur automobile).

 

La nécessité d’avoir recours à un pilotage actif de la dimension carbone

Compte tenu des évolutions déjà constatées ces dernières années, la fixation de nouveaux objectifs entre -23 % et -37 % pour la période 2025-2030 selon les préconisations NZAOA3, apparaît encore ambitieuse.

La simple décarbonation passive ne sera pas suffisante et les assureurs, assets managers et banques de financement devront nécessairement identifier et surtout mettre en œuvre les leviers de pilotage de leur empreinte carbone avec une déclinaison dans les règles de gestion.

Mohamed Benlaribi, Associé Deloitte France

Nous avons développé une méthodologie permettant de projeter l’évolution de l’empreinte carbone des portefeuilles en considérant différentes hypothèses et paramètres. Ces travaux peuvent être utilisés pour la définition d’objectifs de décarbonation comme pour le suivi rapproché de l’évolution de l’empreinte via la calibration de différents scenarios (prise en compte des engagements de décarbonation des entreprises, arbitrage entre les contreparties, encours constant ou suivant les projections de l’institution financière, etc.).

L’utilisation des leviers de décarbonation identifiés et la combinaison de leurs effets requiert une véritable analyse pour assurer leur efficacité.

De même, les préoccupations environnementales étant multiples (ex : consommation d’eau des entreprises, gestion des déchets, etc.), il est important de veiller à conserver une approche d’ensemble uniforme et cohérente. Bien que la décarbonation des portefeuilles nécessite une analyse granulaire et centrée sur les intensités carbone des contreparties, le financement de la transition ou la protection de la biodiversité sont des critères qui peuvent parfois considérablement nuancer l’appréciation d’une contrepartie. S’ajoutent à cela les critères usuels de performance, notamment pour la gestion benchmarkée, et de risque (par exemple le risque de concentration) qui doivent être pris en compte pour une décision éclairée.

Conclusion

L’intégration de la dimension carbone aux critères habituels de suivi et de pilotage des portefeuilles est crucial pour assurer l’atteinte des objectifs de décarbonation que doivent se fixer les assureurs et assets managers. Si à ce stade la décarbonation passive a pu jouer un rôle majeur, il apparait indispensable de mettre en place un pilotage actif de l’empreinte carbone des portefeuilles s’appuyant sur une analyse détaillée des portefeuilles, et cela sans pour autant faire l’impasse sur les autres considérations économiques et environnementales

Notes et références

1 Increasing Climate Ambition, Decreasing Emissions: The third progress report of the Net-Zero Asset Owner Alliance – United Nations Environment – Finance Initiative (unepfi.org) – page 19

2 A fin mars 2024, indice composé des entreprises suivantes : Deutsche Telekom AG, Adidas AG, Bayerische Motoren Werke Aktiengesellschaft, Ferrari N.V., Hermes International S.C.A., Industria de Diseno Textil, S.A., KERING SA, LVMH Moet Hennessy Louis Vuitton SE, Mercedes-Benz Group AG, Prosus N.V., Stellantis N.V., Volkswagen Aktiengesellschaft, Anheuser-Busch Companies LLC, Danone SA, Koninklijke Ahold Delhaize N.V., L'Oreal SA, Pernod Ricard SA, ENI S.P.A., TotalEnergies SE, Bayer Aktiengesellschaft, Essilorluxottica SA, Sanofi SA, Airbus SE, Compagnie De Saint-Gobain SA, Deutsche Post AG, SAFRAN SA, Schneider Electric SE, Siemens Aktiengesellschaft, VINCI SA, Wolters Kluwer N.V., ASML Holding N.V., Infineon Technologies AG, Nokia Oyj, SAP SE, BASF SE, L'air Liquide SA, ENEL – SPA, Iberdrola, S.A., Adyen N.V., Allianz SE, AXA SA, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria S.A., Banco Santander S.A., BNP Paribas, Deutsche Boerse Aktiengesellschaft, ING Groep N.V., Intesa Sanpaolo SPA, Muenchener Rueckversicherungs-Gesellschaft Aktiengesellschaft in Muenchen, Nordea Bank Abp, UniCredit Bank GmbH

3 Fourchette de -40% à -60% entre 2020 et 2030 de la NZAOA transposée sur un autre horizon de temps

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