Perspectives

Ramener le carbone à la terre

Leadership autochtone dans les solutions climatiques fondées sur la nature

En ce qui a trait aux changements climatiques, nous ne vivons pas tous les mêmes expériences — surtout au Canada.

Le dégel du pergélisol, l’appauvrissement de la biodiversité, les incendies de forêt, les sécheresses et les inondations menacent la sécurité alimentaire, l’économie, la santé et le bien-être des populations. À mesure que la crise climatique prend de l’ampleur, de nombreux peuples autochtones sont touchés de manière disproportionnée en raison de l’éloignement de leurs communautés et de leur dépendance à la terre.

Deloitte a entamé sa recherche qui est devenue ce rapport, Ramener le carbone à la terre : leadership autochtone dans les solutions climatiques fondées sur la nature, en janvier 2023. Nous avons collaboré avec des leaders et des représentants autochtones de partout au Canada pour explorer les moyens de faire progresser les actions climatiques dirigées par les peuples autochtones dans le cadre de projets relatifs au carbone. Et en mai, nous avons animé un forum pour les leaders et les représentants autochtones à Vancouver afin de discuter des défis existants et des occasions pour accélérer la création de projets dirigés par des Autochtones, en particulier des projets relatifs au carbone.

Solutions fondées sur la nature

Stratégies d’atténuation des changements climatiques qui permettent de protéger les écosystèmes, de les gérer de manière durable et de les rétablir tout en soutenant les collectivités et les gens.

Ce que nous avons entendu

Durant le forum, les participants ont exploré différentes avenues pour faciliter et élargir l’exercice d’un leadership autochtone dans des projets relatifs au carbone. Ils ont conclu qu’il fallait d’abord reconnaître les droits fonciers des Autochtones, qui ont une incidence directe sur la capacité d’une Première Nation d’élaborer des projets sur ses propres territoires et de revendiquer les droits carbone qui y sont rattachés. Autre défi important à relever : les entreprises, les gouvernements et les ONG qui soutiennent les peuples autochtones ne comprennent pas suffisamment les visions autochtones du monde et l’importance des lois autochtones.

Les défis des peuples autochtones

Politique et compétence

Les droits carbone et les droits fonciers figurent parmi les défis les plus pressants pour les Premières Nations et les autres gouvernements autochtones qui cherchent à faire progresser les solutions fondées sur la nature en passant par les marchés du carbone. Pour résoudre ces problèmes, il faut que les entreprises canadiennes, les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral et les ONG prennent des mesures pour appuyer et accélérer le leadership autochtone qui se développe déjà dans cette sphère. Les participants au forum ont indiqué que la reconnaissance de leur compétence juridique est essentielle pour permettre aux Premières Nations et aux autres gouvernements autochtones de prendre des décisions concernant leurs terres, d’établir la propriété des droits carbone et des droits fonciers afférents, et de faire avancer les différents projets relatifs au carbone. De nombreux traités conclus par la Couronne avec les Premières Nations visaient à partager le pouvoir décisionnel et les avantages que procurent les terres « aussi longtemps que le soleil brille, que l’herbe pousse et que les rivières coulent ». Malheureusement, cet engagement n’a pas toujours été respecté, comme l’a démontré la poursuite intentée par les leaders du Traité no 9 plus tôt cette année, alléguant que les gouvernements fédéral et de l'Ontario avaient pris des décisions unilatérales à l’égard du territoire visé par le Traité no 9.

Que peuvent faire les gouvernements territoriaux et provinciaux et fédéral?

  • Élaborer des processus afin de permettre aux Premières Nations et aux autres gouvernements autochtones d’exercer leur compétence et leur contrôle sur les droits fonciers et les droits carbone.
  • Adopter des mesures pour reconnaître les droits carbone des Premières Nations et des autres gouvernements autochtones.
  • Réduire le temps et l’incertitude dans l’établissement des droits carbone.
  • Créer des possibilités de financement qui aident les Premières Nations et les autres gouvernements autochtones à négocier et à garantir les droits carbone et les droits fonciers.
  • Augmenter les possibilités de report des droits de tenure forestière ou de retrait des terres pour les Premières Nations, tout en s’assurant qu’elles n’en assument pas les coûts.
  • Lier l’établissement de droits carbone à des initiatives existantes telles que les aires protégées et de conservation autochtones (APCA).
     

Protocoles et marchés du carbone

Au Canada, les marchés réglementaires du carbone pour les projets axés sur la nature ont soit tardé à se développer ou ne permettent pas d’exploiter les possibilités sur les territoires autochtones. Des retards importants dans l’élaboration de protocoles de réglementation ont entraîné un manque de systèmes à jour compatibles avec des projets autochtones sur des terres non privées. Là où les autorités publiques gèrent les marchés réglementaires et l’élaboration des protocoles, les échéanciers n’ont pas suivi l’évolution du marché et des besoins des acheteurs, comme la demande accrue pour le retrait d’émissions carbone. En résumé, la demande de projets misant sur des solutions fondées sur la nature pouvant aider le Canada à respecter ses engagements d’action climatique mondiale n’est pas reflétée dans les politiques actuelles. Dans bien des cas, les Premières Nations sont prêtes à faire progresser les projets de carbone fondés sur la nature. Quand de tels projets sont menés par des Autochtones, ils offrent des avantages communs supérieurs, les rendant beaucoup plus attrayants pour les acheteurs du marché volontaire.

Que peuvent faire les gouvernements territoriaux, provinciaux et fédéral?

  • Accélérer la création et renforcer la pertinence des protocoles pour les Premières Nations et les autres gouvernements autochtones, notamment en intégrant les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) dans les protocoles de réglementation.
  • Élargir l’accès aux marchés volontaires où les avantages communs ont une grande valeur.
  • Financer les organisations autochtones pour élaborer un protocole ou un registre dirigé par les Autochtones.
  • Investir dans la science du carbone des sols et intégrer les résultats dans les protocoles, tout en incluant les connaissances traditionnelles autochtones.
  • Élaborer des protocoles novateurs qui font la distinction entre l’élimination du carbone et l’évitement du carbone pour assurer une meilleure gestion et conservation des forêts.
  • Créer de nouveaux protocoles d’élimination du carbone pour innover les solutions fondées sur la nature (p. ex. le carbone bleu).
  • Mettre en place des programmes pour permettre aux communautés de surveiller les projets à l’aide des pratiques traditionnelles et des technologies existantes.

Autonomisation économique et souveraineté

Nombre de Premières Nations et d’autres gouvernements autochtones croient que les projets de carbone appuieront leurs objectifs de gestion des terres, d’indépendance économique, de souveraineté et de justice environnementale. Cette vision repose sur les aspirations des communautés à améliorer leurs moyens de subsistance, leur santé, leur sécurité alimentaire, leur système d’éducation et leurs infrastructures, tout en protégeant les terres, leur culture, leurs valeurs spirituelles et la biodiversité.

Pour soutenir les aspirations des communautés à accéder à l’indépendance économique, il faut s’assurer, entre autres, que les Premières Nations et les autres gouvernements autochtones peuvent maximiser les retombées des projets de carbone. Les avantages comprennent naturellement les gains tirés des projets, mais aussi ceux que procurent la reconnaissance et la réalisation d’autres avantages socio-économiques et culturels à plus long terme qui contribuent au bien-être collectif et à l’épanouissement des communautés.

Que peut faire le milieu des affaires canadien?

  • Prioriser des modalités équitables dans les projets de carbone pour maximiser les retombées pour la communauté.
  • Mettre en place des outils d’évaluation économique qui reconnaissent et reflètent la valeur culturelle et celle de la biodiversité.

Que peuvent faire les gouvernements territoriaux et provinciaux et fédéral?

  • Créer des possibilités de financement pour que les collectivités acquièrent des compétences et créent des entreprises durables en s’appuyant sur des pratiques traditionnelles qui cadrent également avec les objectifs d’action climatique gouvernementale.

Que peuvent faire ces deux groupes?

  • Renforcer la capacité de comprendre les visions du monde et les lois autochtones afin d’établir de meilleures relations de travail avec des partenaires autochtones. Suivre la DNUDPA, les traités et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation pour orienter les relations de nation à nation avec les communautés autochtones. Veiller à ce que les connaissances et les données autochtones soient protégées en respectant les principes de la PCAP pour les Premières Nations : propriété, contrôle, accès et possession.
  • Créer des mécanismes pour obtenir les investissements initiaux nécessaires au financement de la planification des projets de compensation carbone.
  • Créer des mécanismes novateurs de financement pour des projets de conservation (p. ex. financement de projets pour la permanence, approvisionnement d’entreprise et financement du capital naturel).

Action climatique à la lumière de sept générations

Pendant la rédaction du présent rapport, le Canada était ravagé par des incendies de forêt d’un océan à l’autre. Au cours d’un des nombreux moments marquants du forum autochtone à Vancouver, les participants pouvaient voir par les fenêtres les nuages de fumée qui s’engouffraient dans la ville. Les zones urbaines ont souffert de la mauvaise qualité de l’air, mais les communautés où les incendies faisaient rage ont subi des dommages à plusieurs égards :  perte de leurs écosystèmes forestiers, infrastructures et services clés, habitations, biens personnels, animaux domestiques et bétail, et des perturbations liées aux évacuations. Les communautés autochtones ont de plus eu à déplorer la perte d'objets culturels et cérémoniels et la destruction de lieux traditionnels et sacrés. 

Dans les cultures autochtones, les décisions sur l’avenir sont basées sur les relations, la réciprocité et les répercussions qu’elles auront sur les générations futures. Cette vision « sur sept générations » constitue une planification qui prend en compte les conséquences à long terme des mesures prises pour relever les défis du moment. Devant l’intensification des effets de la crise climatique, les gouvernements, les ONG, les entreprises et les peuples autochtones doivent collaborer plus que jamais dans le respect des impératifs climatiques et pour avoir des incidences positives sur la nature pour les générations à venir.

Avez-vous trouvé ceci utile?