L’une de mes plus grandes préoccupations concernant la reprise économique après le déconfinement est l’éventuel ralentissement (ou carrément le recul) de la croissance de la productivité du travail. Nous avons pu observer que, en moyenne, les travailleurs ont tendance à être moins efficaces lorsqu’ils travaillent à distance plutôt qu’au bureau. Et puisque le télétravail devrait continuer à faire partie de notre réalité d’affaires jusqu’au déploiement complet de la vaccination, la productivité globale est susceptible d’être touchée. Ce phénomène risque d’être aggravé par les règles de distanciation physique dans les secteurs du détail, des finances et du transport, entre autres secteurs de services. Les nouvelles restrictions augmenteront vraisemblablement les coûts et nécessiteront sans doute des investissements dans du capital non productif (barrières, numériseurs, etc.) pour assurer le maintien des activités au bureau, en magasin ou en usine. À défaut de gains de productivité, l’augmentation des coûts d’exploitation exercera une pression à la baisse sur les salaires et une pression à la hausse sur les prix, ce qui rend beaucoup plus plausible le scénario d’une lente reprise.
Mais les sombres perspectives qui planent à court et moyen terme laissent entrevoir de très importants gains de productivité à long terme si les occasions se concrétisent. À des fins d’illustration, envisageons les principales tendances macroéconomiques et géopolitiques à partir de trois points de vue différents.
Premièrement, avant la COVID, l’économie canadienne subissait des changements structurels qui continuent d’avoir une incidence sur les entreprises canadiennes. Citons à titre d’exemple le vieillissement de la main-d’œuvre, l’importance grandissante de l’immigration sur la croissance économique et les politiques visant à lutter contre les changements climatiques.
Deuxièmement, certaines des tendances existantes ont été accentuées par la COVID. En effet, la pandémie a grandement accéléré la transition vers l’adoption et l’utilisation du numérique, et est susceptible d’intensifier le déploiement de l’IA et le recours aux mégadonnées. Par ailleurs, l’avenir du travail est transformé par l’accélération de l’automatisation ainsi que par la transition vers le télétravail, qui devrait persister après la relance de l’économie.
Troisièmement, la pandémie a aussi créé de nouvelles tendances, comme les changements dans les comportements des consommateurs en ce qui a trait à la santé et à la confiance.
Ces forces de transformation devraient entraîner de nombreuses faillites d’entreprise au cours de l’actuelle récession et dans sa foulée. Les fermetures qui sont attribuables uniquement aux perturbations issues de la pandémie constituent une forme particulière de perte économique. Cela dit, bon nombre des entreprises qui vont échouer sont celles qui étaient déjà perturbées par les deux premiers facteurs cités. Par exemple, nous constatons que les entreprises qui ont investi dans le numérique avant la COVID prospèrent, et que celles qui n’avaient pas entrepris le virage numérique battent de l’aile.
Dans cette optique, nous pouvons supposer que le phénomène observé est une accélération de la destruction créatrice qui fait partie intégrante de l’évolution économique – une pierre angulaire de la théorie économique depuis les années 1950.
Nous pouvons déplorer la perte d’entreprises, tout en gardant à l’esprit que les fermetures suscitent l’occasion de créer de nouvelles entreprises au cours de la reprise et de l’expansion qui suivra. En effet, je crois que les décideurs politiques devraient instaurer des mesures incitatives et créer un environnement propice au démarrage d’entreprises, ce qui contribuerait grandement à la relance de l’emploi. Ces jeunes entreprises seront en bonne posture pour prospérer dans le nouveau contexte plus numérique, plus automatisé et plus axé sur l’IA de l’après-COVID, et pour embaucher des travailleurs plus flexibles. Du coup, l’économie canadienne deviendra plus flexible, plus productive et plus concurrentielle.
Il est possible aussi que bon nombre des petites entreprises qui fermeront leurs portes soient celles dont les activités sont centrées sur le mode de vie; c’est-à-dire où l’ambition du propriétaire est d’offrir une bonne qualité de vie à sa famille plutôt que de viser une croissance et une expansion importantes. L’après-COVID pourrait se caractériser par des entreprises plus concurrentielles et optimisées, si les jeunes pousses misent davantage sur la croissance et l’expansion.
En ce qui concerne les données économiques publiées aujourd’hui, la confiance des consommateurs a progressé en mai aux États-Unis. L’indice de confiance des consommateurs du conseil de conférence américain se chiffrait à 86,6 ce mois-ci, en hausse par rapport à une cote de 85,7 révisée à la baisse en avril. L’indice de la situation actuelle a chuté, passant de 73,0 en avril à 71,1, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu de l’ampleur du ralentissement. Cependant, l’indice des prévisions a grimpé à 96,9 par rapport à une cote de 94,3 en avril. C’est tout à fait normal étant donné les plans de relance de l’économie, mais d’énormes incertitudes règnent toujours et le sentiment des consommateurs est susceptible de rester fragile.
Plus près de nous, les grandes banques canadiennes ont commencé à annoncer leurs résultats trimestriels. Compte tenu du repli économique, une attention particulière est accordée aux provisions pour pertes sur les prêts. La Banque de Nouvelle-Écosse, la première à publier ses résultats, a affiché un recul de 41 % de son bénéfice au second trimestre. Le dividende s’est maintenu à 90 cents par action, et la banque a indiqué qu’elle entend poursuivre le versement des dividendes. Les analystes bancaires avaient prévu une progression plus importante des provisions pour pertes sur les prêts. Aussi, nous pouvons nous attendre à un certain début dans les marchés à savoir si les provisions sont suffisantes ou si elles devraient être élargies.